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A propos d’une fausse-opposition - Réponse àRadioazione

mardi 26 novembre 2013

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Chers compagnons, c’est avec étonnement que nous avons lu sur votre site, précédant une traduction peu rigoureuse d’un communiqué venant d’ici concernant le procès des compagnons Alfredo et Nicola, une courte note d’introduction avec laquelle nous ne partageons àpeu près rien. Tout d’abord, nous tenons àsignaler que si nous soulignons la mauvaise qualité de la traduction, ce n’est pas par soucis de perfectionnisme linguistique, non. C’est que le sens en est changé en plusieurs points, et dans un sens qui bien sà»r, va dans le votre. Nous parlons notamment du passage « â€¦ e non può essere riassunto ne monopolizzato per motivo autoreferenziale che crea la divisione di questa sigla  ». La deuxième partie de cette phrase n’a aucun sens en italien. Traduire le mot « partage  » par le mot « division  » est assez douteux. Surtout lorsque l’on comprend que vous n’avez traduit ce communiqué que pour le critiquer, le minimum de l’honnêteté aurait été de le traduire correctement, c’est-à-dire en lui laissant son sens [1]. Une traduction correcte du texte a été faite ici.

Ensuite cela nous semble clair que la solidarité ne doit pas forcement être inconditionnelle. Elle peut bien contenir aussi une critique, parce qu’on n’a pas besoin de héros, mais de débattre oui.

Sur le fond du problème que vous soulevez, celui de l’anonymat et du caractère diffus de la conflictualité, nous ne comprenons pas bien où vous voulez en venir. Il nous semble tellement évident en effet qu’une attaque, dans la façon dont elle est menée, dans les responsabilités qui sont prises par ceux qui la mènent, n’appartient qu’aux premiers concernés. Qui a dit que ce n’était pas le cas ? Il ne nous semble pas que dans ce communiqué soit proposé d’aviser qui que ce soit de ce que chacun fait àla tombée de la nuit, cela regarde en premier lieu celles et ceux qui prennent la responsabilité d’attaquer. Il ne nous semble pas d’ailleurs, dans ce texte comme dans d’autres que vous ne citez pas mais auxquels vous semblez faire référence, que le débat ne soit jamais allé dans ces eaux-là, qui sont des eaux puantes et boueuses.

Par contre, il nous semble bien plus que le débat se porte sur la question des possibilités de réappropriation d’une action, et non sur les façons de les mener, qui répétons-le, n’appartiennent qu’àceux qui les mènent.
Ici pourrait s’inscrire le fait que bien que la joie et la satisfaction d’une attaque réussie appartiennent en premier lieu àceux qui l’accomplissent, la joie et la satisfaction ainsi que la signification – surtout la signification – peuvent appartenir aussi àbeaucoup plus de monde. On était nombreux, le 7 mai 2012 àêtre satisfaits et contents de la balle dans la jambe d’Adinolfi. Et la signification de cette balle était claire àplus de monde encore : bien plus qu’àtous les ennemis de ce monde, àbeaucoup de personnes « normales » que vous critiquez si souvent sur Radioazione, avec de grosses simplifications (ex. dans « Solidarietàe complicitàcon Alfredo e Nicola »). Et surtout aussi àtous les porcs qui détiennent le pouvoir et/ou le servent, avant tout Adinolfi lui-même.
Que les choses soient claires, l’utilisation de sigles permanents (et nous insistons sur « permanents ») n’est pas notre tasse de thé, mais nous ne sommes pas non plus des obsessionnels de l’anonymat. Nous ne partageons pas, par exemple, les thèses du texte « L’anonimato » publié sur Indymedia Athènes le 31/08/13, qui rentre dans des considérations techniques qui nous dépassent largement et que nous trouvons déplacées, pour les mêmes raisons que nous citions plus tôt, la responsabilité, qui ne peut être selon nous autre qu’individuelle.

Bref, pour le répéter une dernière fois, il ne tient pas ànous de juger qui que ce soit sur la manière dont il souhaite publiciser ou non son action sous prétexte de divergences. Cependant, l’ouverture de débats entre anarchistes partisans et acteurs de la conflictualité diffuse et permanente nous semble nécessaire. Le contraire nous renverrait àla mentalité de caserne des partis. Il nous semble par exemple avoir trouvé cette ouverture dans les deux lettres de Nicola, qui reconnait bien, lui, l’existence de compagnon/nes qui portent des attaques de façon anonyme ou avec des sigles non-permanents, en dehors de la « multinationale » FAI. Et que les deux peuvent bien même être complémentaires.

Contrairement àce que vous semblez insinuer, ouvrir un débat n’est pas une pratique autoritaire.

Sur la question de la réappropriation, nous ne sommes en effet pas d’accord. Et nous trouvons dommage, d’un point de vue révolutionnaire de n’imaginer l’attaque que comme la chasse gardée, le territoire exclusif des anarchistes. Sinon, àquoi bon les attaques populaires menées par des compagnons du passé comme Ravachol ou l’exécution de Calabresi ? La déclaration de Ravachol àson procès, diffusée par les compagnons àplusieurs centaines de milliers d’exemplaires dans les rues de Paris, avant et après son exécution, a permis àdes milliers d’individus de se réapproprier le discours et les actes de ce compagnon. Faisant de lui une figure populaire et appréciée par de nombreux révoltés, et qui reste encore aujourd’hui dans la mémoire collective. Tout cela, parce que Ravachol lui-même, mais aussi les compagnons de l’époque ont tout fait pour que ces attaques ne soient pas que des actes isolés et circonscrits, ce que nous appelons l’ouverture des possibilités de réappropriation, ce qu’ils appelaient àl’époque la propagande par le fait. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreux individus, anarchistes ou non, ont àla suite de Ravachol eu le courage de revendiquer leur dégoà»t en actes de ce monde. Participant àla diffusion de la conflictualité permanente, qu’elle soit anonyme ou non. Et les attaques de Ravachol contre des juges, par exemple, n’appartenaient plus seulement àRavachol ni àses compagnons, mais àtous ceux qui nourrissent cette même haine de la justice et de son monde. Voila selon nous, une belle réussite pour des anarchistes.

Pour finir, les sous-entendus que vous faites apparaître en quelques lignes nous sont insupportables. Entendre que critiquer les sigles permanents équivaut forcement àse vautrer dans l’oisiveté de la critique sur internet est une insinuation dégueulasse. Vous semblez ignorer beaucoup, mais avec une certitude fière d’elle-même.
Nous voyons bien, sur votre site comme sur d’autres par exemple, que certaines formes de conflictualité ne vous intéressent pas du tout. Pourquoi ne parle-t-on jamais de la France sur Radioazione ? Parce que les sigles y sont absents. Pourquoi n’y parle-t-on jamais de l’Allemagne ou de la Belgique ? Pour les mêmes raisons. Pourtant tout le monde sait, l’Etat en premier lieu, que les attaques anonymes ou non n’y manquent pas. Mais elles ne trouvent pas grâce àvos yeux, visiblement, parce qu’elles n’insistent pas sur un quelconque commun basé sur des critères identitaires.

En France aussi des anarchistes ont été mis en examen et incarcérés, accusés d’attaques incendiaires contre des banques, d’autres contre la police ou les prisons, elles et eux aussi n’ont rien lâché face àla vengeance de l’Etat, dans des proportions certes différentes, mais en refusant tout dialogue ainsi que les catégories d’innocence et de culpabilité et restant dignes face àleurs geôliers. Ceci n’est pas une requête, car nous nous foutons que Radioazione s’intéresse ou non àtout cela, ce problème (et les questionnements qui devraient aller avec) vous appartient, lui.

Ce que nous essayons de dire ici, c’est qu’il existe tout un monde qui attaque, ailleurs que dans la constellation FAI, et même en dehors des divers mouvements et milieux anarchistes sclérosés, et depuis toujours, que vous le vouliez ou non. Il n’y a pas d’un coté la FAI et le « nouvel anarchisme », et de l’autre des vieux esclaves anarchistes oisifs qui ne se contentent que de critiquer ceux qui attaquent pour maintenir le vieux-monde. Il faudrait sortir de cette fausse-opposition puérile véhiculée par le biais d’internet et des nouvelles technologies. Il faut être aveugle, ou ne se référer qu’àdes sites comme le votre pour ne pas s’en rendre compte. Mais les bulles sont faites pour éclater.

La plupart des attaques de ce monde, en effet, ne sont pas menées par des anarchistes. C’est ce qu’on appelle la guerre sociale, avec ses aspects positifs et aussi les nombreux aspects négatifs. Elle est bien présente, ici comme ailleurs, elle n’a pas besoin de sigles ni de références identitaires. Heureusement, personne n’a le monopole de la critique en acte de ce monde.

Et puis, la FAI serait-elle le « nouvel anarchisme », comme on lit sur certains sites anarchistes ? Nouveau pourquoi ? Et en quoi ? Parce que la FAI mène des attaques ? Les anarchistes n’ont-ils pas toujours mené des attaque ? Vous semblez ignorer des choses évidentes. Encore dans « Solidarietàe complicitàcon Alfredo e Nicola », vous écrivez qu’en Italie, « pendant un siècle on a seulement entendu des slogans ; l’année dernière Alfredo et Nicola sont passés aux actes ». Des slogans ? Vraiment ? Encore une fois, Calabresi ne vous dit rien ? Et Stefano Sindona ? Et Alberto Mammoli ? Et les centaines de pylônes électriques abattus dans les années ’80 ? Et les dizaines de compagnon/nes qui ont subi une répression féroce lors de l’enquête Marini, passaient-ils tout leur temps àcrier des slogans ? Et tous les autres, nous tous et toutes ?
La FAI serait le « nouvel anarchisme » parce qu’elle se veut internationale ? Mais est-ce que quelqu’un se souvient encore du vieux Bakounine (qui ne faisait qu’écrire des livres ?), courant tout le continent pour préparer des tentatives insurrectionnelles ?

La question de la violence révolutionnaire est fondamentale. Mais qu’il soit clair qu’elle n’appartient pas àun club fermé. Ni la FAI, ni n’importe quel autre. Et si on veut vraiment en finir avec ce monde il faut que la violence révolutionnaire se diffuse le plus possible, bien au-delàdu mouvement anarchiste. Se présenter comme des surhommes, une petite secte de héros éparpillés aux quatre coins du monde, qui mènent des attaques pour se transmettre des clins d’œil entre « affinitaires » (qui pour la plupart ne se sont jamais rencontrés), au lieu de viser une révolte généralisée, tout en se présentant comme opposés àdes vastes masses d’esclaves volontaires éternellement destinés àservir, tout cela peut servir àflatter l’ego de quelques uns, mais certainement pas ànous rapprocher de la révolution.


[1Il y a aussi le passage « Diffusons les pratiques […] en soutenant en paroles et en actes celles et ceux qui ne lâchent rien » traduit comme « Diffuser des pratiques offensives […] c’est soutenir les paroles et les actes de ceux qui ne lâchent rien face àla répression… ».