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Au peuple souverain

Mars 1905 : Le procès des travailleurs de la nuit et Alexandre Marius Jacob

lundi 22 avril 2013

La foule veut voir [Alexandre Marius] Jacob ; chaque jour, elle vient rôder autour de l’antre des chats-fourrés, dans l’espoir d’apercevoir ses victimes, car ils sont bien tes victimes, foule esclave, foule souveraine d’un jour, foule moutonnière, foule acclameuse de sabres, de drapeaux et de politiciens.

Contemple ton œuvre, peuple roi, peuple électeur, peuple travailleur. C’est bien toi qui, par ton avilissement, ton ignorance, ta lâcheté, ton poirisme, a forgé les fers qui meurtrissent nos fiers camarades expropriateurs de tes maîtres. C’est bien toi qui bâtis leur prison et les gardes.

Tu es complices dans la fabrication des iniques lois scélérates, en vertu desquelles on les enverra mourir àpetit feu sous le soleil brà»lant de la Guyane. N’est-ce pas toi qui nommes les députés fripons, et les conseillers électeurs des sénateurs gagas aussi libidineux que féroces ? N’es-tu pas la meute qui se rue àla poursuite du malheureux qui a volé quand la police le pourchasse en criant au voleur !

Et ne donnes-tu pas la main par ta veulerie et ton approbation tacite àla crapule enjuponnée qui le condamne inexorablement àvivre des mois et des années en prison, loin de sa femme et de ses petits ?

Si tu n’étais pas leur complice et leur meilleur soutien, est-ce que l’on pourrait voir se promener impunément en plein jour ces vieux jugeurs au faciès de gorilles qui ont des milliers d’années de prison ou de bagne et des têtes de guillotinés sur la conscience ?

Qui tient en définité Jacob et ses amis ? Est-ce Régnault et Wehekind ? - Non ! Ce sont tes fils, les soldats qui menacent de leurs baïonnettes et leurs Lebel. Les roublards commandent, toi, tu obéis aveuglement en esclave.

Tu élèves péniblement tes enfants pour leur donner tes filles àsouiller comme bonnes àtout faire, et tes gars pour leur servir de larbins, de mouchards et de prétoriens.

Mais pour te récompenser, lorsque tu ne seras plus apte àenrichir tes maîtres qui t’éclaboussent du luxe insolent que tu crées par ton servile labeur, on te condamnera àton tour - toi l’honnête imbécile - non pour vol - car tu n’as pas l’énergie de prendre ce qui pourtant n’appartient qu’àtoi, créateur inconscient de toute richesse, - mais pour mendicité ou vagabondage - le crime des vieux - quand tu en seras réduit àtendre ta main usée par le travail, ou quand le propriétaire dont tu as construit la maison et édifié la fortune, te fera jeter àla rue comme un chien avec ta femelle, par les recors pour ne pas avoir payé le loyer que tu as consenti.

Alors tu boiras le calice de misère jusqu’àce que tu débarrasse la bourgeoisie de ta sale carcasse sans valeur qui les empêche de digérer en paix. Ils sont si dégoà»tants ces vieux mendiants !

Ayant vécu en esclave, tu crèveras de même … A moins qu’un rayon de lumière éclairant ta raison endormie ne te fasse briser dans un jour de colère les idoles qui t’écrasent et que tu adores.

J.Ouin, dans Germinal n°11 (19 au 25 mars 1905).