Accueil > Articles > L’Enfer-Travail > Benzoriders

Benzoriders

mercredi 10 décembre 2008

Réveil enroué. Somnifère pas dissipé L’angoisse qui frappe aux paupières dès que tu recommences àpenser. Fatigué, tellement fatigué. Estomac serré. De toute façon pas le temps de déjeuner

Café, et encore Café. Prozac vite avalé.

Métro bondé. Défaillance technique, retard , correspondance manquée. Mouvement social, suicide en direct, SDF effondrés, jeunes contrôlés, sans papiers raflés. Se blinder, pas regarder.

MP3, 3GPlus, MMS, Blue tooth , wifi. Info Matin et Direct Soir. Direct Soir et Info Matin.

Visages composés. Conversations arrangées. Bonjour bonsoir, quelle importance, c’est toujours la même journée. Pointer avec la carte, avec l’œil la main ou le pied.

Eclairage artificiel, climatisation immuablement réglée, bureau standard , coupe papier siglé, cartes postales ou fonds d’écran, la même plage , la même mer figée.

Collègues formatés : petit chef énervé, syndicaliste fatigué, rigolard éculé, de service la cinglée. Surtout éviter d’être catégorisée, pas chialer, pas crier, pas de remarques déplacées, penser às’aseptiser.

Prozac et encore café. Barres céréales allégées.

Se forcer. A bosser ou àparler. Se souvenir de la télé, râler contre les déficits, les parasites, ou les grévistes. Evoquer ses petits bobos pour éviter de causer des gros.

Saisir des données, envoyer paître les usagers. Se souvenir du compteur, de la caméra. Je suis peut être filmé, peut-être enregistré.

Performance, audit de qualité, prime de mérite, participation, objectifs, résultats, comparatifs. Lombalgie, migraine, bouffées de chaleur, stress musculo et squelettique.

Voltarène, anxiolityques, guronzan, amphétamines, alcoolisme honteux, rêve de cocaine pour quand on sera promu.

Pause midi ou pause café. On bouffe ensemble sans se supporter. Publicités filiformées, au régime il faut penser. L’estomac domestiquer.Les coupe faim ont augmenté.

Sveltesse, Slimfast, Taille Fine. Chocolat allégé, une pomme verte et déprimée.

35h Supprimées. Les heures supplémentaires, c’est décrété, faut les aimer. L’entreprise, suspect d’avoir envie de la quitter. Aux résultats s’intéresser.

Innovation, motivation, réaction, esprit d’équipe, tous ensemble se détester mais feindre la convivialité.

Six heures, la nuit est tombée. Rentrer, rêver sur des rencontres fantasmées, mais garder les yeux baissés, pour pas croiser d’autres entités. Danger, danger, racailles, pédophiles, violeurs, jeunes immigrés ou vieux cinglés, l’Autre est toujours l’Etranger.

Caméras, interphone, code compliqué, rondes rapprochées, grilles ajoutées, serrure neuf points, volets fermés.

La famille c’est sacré, ne pas s’avouer qu’on préfère la télé. Mes enfants sont pas enjoués, ils sont compliqués. Obésité, hyperactivité, anxiété, manque de compétitivité.

Chez le psy les emmener. Cinq fruits et légumes, je vais leur faire bouffer. Acadomia, cours particuliers, activités imposées, le chômage leur éviter. Compétitivité, leur faire capter, la vie c’est pas un conte de fées.

Chut, le Président va parler. Tant pis s’il nous fait pas rêver, l’important c’est qu’on soit pas les seuls àcauchemarder. Les autres enfermés, radiés, tabassés, aux frontières repoussés, pas de raison que je sois le seul àmorfler.

Chut, le Président va me parler, il comprend mon anxiété.

Vache folle, hormones de croissance, cancer. OGM, réchauffement, la guerre. La terreur, le sang, le nucléaire, le loyer en retard, trop de crédits pour être propriétaire. Trouver le sommeil.

Lexomil, Atarax, Rohypnol, Dormomyl.

Avant de sombrer, je rêve du non réveil

Texte du R.T.O. publié dans la brochure Réflexions sur le Travail.