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Chine continentale : L’émergence d’oppositions massives et radicales au nucléaire
vendredi 14 octobre 2016
En deux décennies à peine, les ravages sanitaires engendrés par l’industrialisation accélérée de la Chine sont énormes, en particulier ceux dus à la multiplication des sites pétrochimiques mortifères. Ces ravages sont l’une des causes des révoltes qui troublent, crescendo, « l’harmonie  » au pays du « socialisme de marché  ». Pour comprendre le sens de ces révoltes, il faut déjà saisir que les secteurs clés de l’économie, au premier chef le nucléaire, demeurent propriété d’Etat ou propriété de sociétés mixtes, placées sous le contrôle de l’Etat. Ainsi, la Compagnie nucléaire nationale chinoise (CNNC) possède et gère, pour l’essentiel, la filière électronucléaire en Chine. Ce qui signifie que les décisions importantes sont prises, en dernière instance, par le pouvoir central, à Beijing. Bien qu’elles soient l’objet de multiples tractations, plus ou moins mafieuses, avec les pouvoirs locaux, qui ne veulent pas jouer le rôle de boucs émissaires en cas d’échec.
Jusqu’à récemment, la pétrochimie était la cible principale des oppositions à l’intoxication générale provoquée par l’industrialisation. Massives et parfois radicales, elles ont déjà conduit l’Etat à suspendre la mise en Å“uvre des chantiers prévus sur les sites sélectionnés en priorité et à chercher à les installer ailleurs, ce qui n’est pas toujours possible. Désormais, c’est au tour de l’électronucléaire d’être pris pour cible. En 2012, le premier coup de semonce fut tiré à Pengze sur le Yangze, en Chine centrale. Le chantier de la centrale nucléaire au fil de l’eau a été gelé depuis, il est vrai pour deux raisons différentes  : l’inquiétude des habitants de la région, en particulier celle des fermiers, et le refus des autorités provinciales du Jiangxi d’assumer la charge principale des coà »ts de construction. Mais il y a plus. Depuis 2013, la réalisation des deux projets pharaoniques prévus dans le plan d’Etat, aussi dangereux que les centrales, est entravée par l’insubordination des irradiés potentiels. Le premier projet concerne la préparation du combustible nucléaire de base, l’uranium enrichi  ; le deuxième le traitement et le stockage des matières nucléaires créées par la fission de l’uranium dans les réacteurs, à commencer par le précieux plutonium. Dans la mesure où l’Etat compte consolider sa position, à titre de grande puissance mondiale dans le domaine nucléaire, militaire comme civil, la réalisation de tels sites est décisive pour l’avenir du «  socialisme de marché  ».
Les sites privilégiés par l’Etat, susceptibles de les accueillir, sont en priorité situés dans des provinces côtières. En effet, pour l’essentiel, les centrales électronucléaires construites ou en construction dans le proche avenir sont et seront installées le long de la façade maritime de la Chine, pour des raisons à la fois géographiques et stratégiques  : énorme besoin d’eau, densité du réseau ferré, etc. Le premier projet, concernant donc le combustible nucléaire, devait être construit à Jiangmen, partie intégrante de la mégalopole du delta de la rivière des Perles. Il était piloté par Beijing, en collaboration avec les autorités provinciales du Guangdong. Dès l’annonce du choix du site, en 2013, des manifestations de masse ont démarré, accompagnées de tentatives d’occupations de bâtiments officiels, d’affrontements avec la police, parfois de destructions et d’incendies de voitures officielles. Comme souvent en Chine, des drapeaux nationaux furent, de-ci de-là , agités. Par contre, les slogans n’étaient pas ambigus : «  A bas le nucléaire  », «  Nous voulons des enfants, nous ne voulons pas du nucléaire  », «  Nous avons déjà peur de boire l’eau, même sans nucléaire  », etc. Après quelques tergiversations, les nucléocrates de la CNNC ont retiré Jiangmen de la liste, affirmant que «  le maintien de l’ordre et de la stabilité dans le Guangdong était prioritaire  ».
Le deuxième projet qui vient de capoter, au cours de l’été 2016, c’est celui concernant le traitement et le stockage des matières de fission. Calqué sur l’usine de La Hague, en France, c’est le consortium créé par Areva et la CNNC qui doit le réaliser. La mairie de la ville côtière de Lianyungang, située sur la mer Jaune, dans la province du Jiangsu, était en train de proposer discrètement sa candidature au consortium lorsque la nouvelle a filtré. Ce qui a suffi pour mettre le feu aux poudres. Il faut dire que la région est déjà sérieusement nucléarisée. En particulier, la réputation des deux réacteurs de la centrale de Tianwan, à trente kilomètres du centre-ville, est épouvantable. Dans quelques années, le site comprendra six réacteurs supplémentaires, deux sont déjà en construction, ce qui en fera l’une des plus grosses installations nucléaires du monde. Cet été, des manifestations, entraînant des dizaines de milliers d’habitants de la préfecture de Lianyungang, ont donc démarré. Manifestations de plus en plus violentes vu que la police a tué deux personnes. De plus des grèves sporadiques ont eu lieu dans la zone portuaire pour protester contre la brutalité policière. Bien que, parfois, l’hymne national ait été chanté, les slogans lancés et repris par les manifestants ne laissaient planer aucun doute sur leur colère et sur leur détermination. Pour citer les plus repris : «  Nous aimons notre Lianyungang, pas de poubelles nucléaires !  », «  Protégeons-nous du nucléaire  », «  Protégeons les prochaines générations  », «  N’oublions pas Fukushima  » et «  N’oublions pas Tokaïmura  ». Tokaïmura, c’est le site nippon de préparation du combustible nucléaire où, en 1999, des réactions en chaîne incontrôlées avaient démarré, arrosant les régions environnantes de radiations. Bref, par peur que la situation devienne explosive dans la préfecture de Lianyungang, les autorités locales, avec l’aval de Beijing, décidèrent de retirer leur candidature. Mais, depuis lors, elles tentent de faire signer aux dockers, et à d’autres employés des entreprises dépendant de l’Etat, des papiers dans lesquels ils promettent de ne pas participer à des activités ou à des assemblées hostiles au nucléaire. Sous peine de perdre leur travail. Ce qui montre que ladite hostilité n’est pas réductible à l’environnementalisme dont font parfois montre les nouvelles couches moyennes en Chine, d’ailleurs plus ou moins inféodées au Parti.
Actuellement, la révolte contre les «  zones mortelles du nucléaire  » dépasse déjà le cadre délimité par les membres d’ONG écologistes, souvent pourchassés, tabassés, enlevés et emprisonnés par la police. Pourtant leurs leaders, encore tolérés à Hong Kong, clament qu’ils partagent l’esprit des lois édictées par Beijing contre les pollueurs. Lesquelles visent seulement à sacrifier quelques boucs émissaires hais, accusés de corruption. Lors de l’affaire de Jiangmen, les leaders autoproclamés avaient conseillé aux manifestants à rester «  pacifiques  » et de ne pas «  provoquer  » le Parti. De suivre, en quelque sorte, le précepte confucianiste selon lequel les humbles doivent, avec le respect dà » à l’autorité, présenter leurs requêtes à genoux. Mais les premiers concernés ont manifestement décidé de passer outre.
Il est impossible de prédire ce qu’il adviendra de telles oppositions, en termes de généralisation et de radicalisation ultérieures. Mais elles sont grosses de menaces pour le «  socialisme de marché  ». Ce que l’Etat a compris. Mieux compris que pas mal de «  révolutionnaires  » européens d’obédience marxiste qui, même lorsqu’ils séjournent en Chine, les ignorent, voire les méprisent, dans la mesure où elles dépassent leur champ de vision borné. Ils sont focalisés sur les seules luttes qui aient grâce à leurs yeux  : les grèves, certes importantes, des «  mingong  » qui symbolisent pour eux les nouveaux «  sujets prolétariens  », en particulier ceux concentrés dans les usines casernes du Guangdong. Alors même que des «  mingong  », installés depuis des années dans la province, ont participé aux affrontements à Jiangmen ! Mais nos idéologues font preuve de myopie en Europe lorsqu’ils sont confrontés à des choses analogues. Alors, en Chine... • 
[/ Lao She (Vieux Serpent) ,
Octobre 2016.
Pour correspondre  : lao.she@free.fr/]