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Discours à l’occasion de l’inauguration du cercle anarchiste “B. Filippiâ€
Par Belgrado Pedrini (1978)
mardi 28 juin 2016
Très chers compagnons !
Je crois pouvoir interpréter votre pensée en affirmant que vous aussi considérez la reconstitution du Cercle anarchiste « Bruno Filippi  » comme un fait positif : un signe tangible de la volonté des anarchistes carrarais de continuer, avec des forces toujours plus grandes et plus aguerries, le chemin sinueux que Michel Bakounine nous a indiqué dans le but d’arriver, dans les plus brefs délais, à la libération du genre humain de toute forme d’esclavage, d’humiliation et de misère voulue par les Etats et par leurs souteneurs.
Pour les anarchistes, aucun sacrifice n’est assez grand pour aboutir à cette grandiose palingénésie sociale, nous savons tous combien le chemin historique que nous traversons entre les foudres de l’ennemi est escarpé, combien il est hérissé d’obstacles et de périls. Mais nous ne désarmons pas pour autant, certains que l’histoire, la science et la philosophie nous donneront un jour raison. Dans la longue attente, nous ne verserons pas de larmes sur les assauts de l’ennemi, mais nous accourrons et saluerons la mort belle et vindicative, comme Bruno Filippi le fit en jetant sur le bà »cher jusqu’au dernier atome de sa jeune vie.
Pour comprendre combien la foi anarchiste de Bruno Filippi fut grande, combien il l’avait chevillée au corps, il suffit de connaître ce bref épisode : à un lettré qui lui exprimait un jugement sceptique sur l’anarchie en affirmant qu’elle n’aboutirait peut-être jamais, il répondit : « (...) dites à l’hirondelle qui vole vers le printemps qu’elle n’y arrivera jamais ; vous la verrez plier les ailes, perdue et inconsolable. Mais j’insiste, je ne plie pas : je vais vers l’anarchie parce que l’histoire y va aussi ; je vais vers le printemps anarchiste radieux qui rendra joie et sourire aux esclaves et aux opprimés du monde entier  ».
Historiquement parlant, Bruno Filippi ne ferme pas le cycle des grands gestes héroïques, mais continue impassible le chemin tragique des grands iconoclastes de l’anarchisme.
Né à Milan en 1900, c’est après avoir participé au journal anarchiste L’Iconoclasta et à la revue Vertice dirigée par Renzo Novatore, qu’il a accompli à 19 ans le geste bruyant que vous connaissez tous : il amena avec lui la bombe vengeresse que la némésis vindicative lui avait inspirée, dans l’intention de punir les complices directs de la monarchie des Savoie, qui avaient transformé en or la mer de sang versée par le peuple italien et les peuples de la moitié du monde.
Malheureusement, la camorra ventrue qui ce jour-là exultait de joie dans le club des nobles de Milan en fêtant les richesses volées grâce au commerce des fournitures de guerre, n’eut pas la leçon méritée. En ce jour tragique du 7 septembre 1919, la bombe explosa quelques instants avant dans les mains du vengeur, le réduisant en lambeaux. Mais son geste ne fut pas vain. D’un bout du monde à l’autre, un frisson de terreur secoua les veines des massacreurs de peuples. Les anarchistes ne versèrent pas de larmes mais renforcèrent leur conviction pour les revanches à venir, qui ne sont autres que les revanches de la justice et de l’amour.
Admirateurs comme nous le sommes de la pensée révolutionnaire de Bruno Filippi, nous sommes dans ce petit local anarchiste comme dans le trou d’où Marat a fait sortir les flammes qui ont alimenté une des plus grandes révolutions mondiales. Nous lancerons dans l’éther notre cri quotidien de bataille, notre vengeance ardente, notre anathème contre tous les oppresseurs du monde et tous les exploiteurs de la terre. Nous sommes convaincus que le cercle anarchiste « Bruno Filippi  », qui renaît par notre volonté d’un oubli quasi trentenaire, rencontrera, dans le respect des autonomies, la solidarité et la fraternité de tous les groupes anarchistes d’Italie et du monde.
Pour conclure ce modeste discours, j’exprime ma plus vive gratitude à tous les compagnons de Carrare et à ceux du cercle « Francisco Ferrer  » de Gênes, qui nous a offert une contribution matérielle et financière pour la reconstitution du cercle. J’adresse aussi un salut fraternel aux compagnons venus à Carrare pour fêter avec nous ce beau jour où nous voyons la bannière anarchiste flotter au vent, rendant hommage à l’image immortelle de Bruno Filippi.
Vive la pensée libertaire ! Vive l’anarchie !
Belgrado Pedrini.
Extrait de l’Amico del popolo (février 1978-mars 1979).