Accueil > Articles > Les Illusions Gauchistes > Entrevue avec V, rescapé...

Entrevue avec V, rescapé...

...de Lutte Ouvrière

dimanche 12 octobre 2008

1-Peux tu te présenter ?

Salut, je m’appelle V. et j’aime beaucoup les balades en forêt.
Entre autre, je me considère comme actant anarchiste.

2-A quelle période as-tu fréquenté la LO et combien de temps y es-tu resté ?

En arrivant dans une grande ville de cette partie du monde, ne savant pas où aller un ami àmoi m’avait conseillé d’aller dans un foyer de jeunes travailleurs. C’est làqu’ils me sont tombés dessus. Il m’a fallu plusieurs années pour me rendre compte de la manipulation, car si je savais qu’ils recrutaient dans les foyers, je pensais en revanche que les sorties genre cinéma, balade qu’on organisait étaient purement amicales et en dehors du parti, en fait, ce n’était que pur calcul. J’y suis resté 6 ans, mais sans jamais dépasser le stade du « sympathisant actif  », trop gauchiste àleur goà»t.

3-Ça se passait comment concrètement ? peux-tu nous en dire un peu plus sur le fonctionnement interne du parti ?

Ben pour ce qui est du fonctionnement interne du parti, je n’en sais pas beaucoup plus que ce qui est dit dans la presse. Un jour, alors que cela faisait déjàun bon bout de temps que je ne comptais plus les heures au service de l’organisation, j’ai eu l’audace de demander àun proche camarade àquoi ressemblait la tête de l’organisation. La réponse fut brève : t’es de la police ? Et c’est finalement par la presse, lorsque l’un des grands manitou a sorti un livre sur sa vie et l’organisation, que j’ai pu avoir un début de réponse. Après lecture de ce livre, très ennuyeux. A l’époque déjàj’avais trouvé suspect que pour parler de l’organisation on présente la vie d’un type. Tant qu’àfaire un bouquin, j’aurais préféré un exposé des buts et des moyens de l’organisation, mais c’était pas vendeur qu’on m’a dit. En fait, cette confusion entre l’individu et l’organisation n’était pas innocente. Sinon, je n’avais souvent qu’un seul camarade de contact avec l’organisation. Nous nous retrouvions dans un café, 2 à3 fois par semaine, pour discuter de lecture et de politique. Ponctualité et régularité de rigueur. Il était également bien vu d’être disponible à100% pour toutes les activités de propagande genre diffusion de tracts, vente du journal. En fait, ça occupait la plus grande partie de ma vie, mais je ne décidais de rien.

4-Quand as-tu commencé àte poser des questions sur cette organisation ?

J’ai commencé àavoir des doutes lorsque certaines de mes questions politiques sont restées sans réponse, notamment sur l’URSS. Comme par exemple en plein communisme de guerre, le soutien militaire des bolcheviques aux nationalistes Turcs ? Plusieurs fois posées... Làoù ça a vraiment commencé àm’inquiéter, c’est quand on m’a fait comprendre que certaines décisions de l’ordre de ma vie privée n’étaient pas compatibles avec mon engagement. Ensuite je me suis retrouvé un peu tricard, parce que je n’avais pas su quelles étaient les véritables priorités.

5-Y a-t-il eu un déclic particulier pour que tu quittes le parti ?

Quand j’ai commencé ma « carrière  » de militant de boîte, car àLO soit t’es un intellectuel, soit t’es un prolétaire d’usine. Au début, j’étais intérimaire, alors la priorité c’était de se faire embaucher, et pour ça il a fallu que j’accepte toutes les compromissions, àcontre cÅ“ur. J’étais impatient, révolté, et je sentais bien qu’il était possible de faire des choses, làmaintenant avec les collègues précaires, mais il fallait la fermer. J’ai tout de même commencé àfaire des choses, notamment en rencontrant un type qui se disait anarchiste. Ils m’ont clairement dit de ne plus le revoir. J’ai obéi, et m’en suis voulu terriblement, beaucoup de remords. Puis le doute a commencé à
s’installer. Finalement, j’ai ouvert ma gueule, et je n’ai pas été embauché. Comme il y avait déjàeu l’épisode avec mes affaires privées ça faisait beaucoup et je voyais bien qu’ils pensaient qu’ils ne feraient jamais rien de moi, alors j’ai commencé àprendre mes distances.

6-Quels sont les souvenirs les plus marquants que tu en gardes àl’heure actuelle ? et quelle était la vision du parti des relations extérieures (amour, amitié, rapports humains, tout ça tout ça) ?

Des souvenirs marquants j’en ai plein, comme par exemple ce copain qui avait des problèmes avec la drogue et que l’organisation a exclu pour ne pas avoir de problème. Normalement on ne devait même plus lui adresser la parole, alors nous nous rencontrions en cachette. A un moment donné, nous étions tout un groupe de jeunes camarades, et on se retrouvait souvent lors de soirées bien arrosées. Un jour y a eu un rapport, et on nous a tous pris un par un en nous expliquant qu’il nous était désormais interdit de nous voir en dehors des activités militantes. Encore ce souvenir de ce flirt avec une camarade où nous avions du dire àl’orga que nous étions ensemble, afin qu’il n’y ai pas d’embrouille. J’en passe et des meilleures.


7-Quelle est la vision àl’intérieur du parti du mouvement anarchiste (organisé et autonome) ?

Ben en théorie, c’est très bien. Un jour on m’a même dit que Lénine avait laissé une partie de l’URSS aux anarchistes pour qu’ils fassent leurs expériences, mais le camarade ne savait pas ce que c’était devenu. Puis il y a le POUM, trotskistes et anars main dans la main. Puis eux ils s’occupent du lumpenprolétariat et LO de la partie noble de la classe ouvrière, une sorte de division du travail en quelque sorte. Sauf que dans la pratique, ils ne les aiment pas trop. Blague vaseuse sur Kronstadt. Ca aussi, ça fait partie des trucs que j’ai jamais pu avaler. L’épisode de boîte avec le collègue anarchiste en est encore une autre illustration.

8- As-tu gardé contact avec d’anciens Kamarades de LO ?

Un seul oui, mais nous ne nous voyons plus très souvent.


9-Le parti a-t-il durablement modifié ta façon d’appréhender les
choses au quotidien ?

Oui et non. Ce qui est sà»r c’est que mes convictions se sont renforcées dans cette organisation et que maintenant elle sont encore plus présentes car je les vis au quotidien. Pour ce qui est des aspects négatifs, je crois que j’ai réussi àles dépasser, comme par exemple sur mon ancienne vision du monde àtravers les lunettes marxistes.

10- Peut-on parler de lavage de cerveaux àLO ?

Les choses sont bien plus subtiles que ça car tu es volontaire de l’expérience. En fait, plutôt que lavage de cerveau, il faudrait plutôt parler d’emprise psychologique. Par les lectures qu’ils imposent, par le fait qu’au bout d’un certain temps, la plupart des relations que tu as sont avec des personnes du parti. Et le pire, c’est qu’en faisant de la propagande, tu reproduis ça àl’identique. Effrayant.

11-Peux-tu nous parler de ton parcours depuis cette rupture ?

Le plus dur après avoir quitté cette organisation était de se dire que c’était eux qui étaient le plus proche de la « vérité  », et que partir, c’était se résigner àl’inaction. J’ai beaucoup déprimé durant cette période, j’ai tenté de voir ce qui se passait ailleurs, mais rien de convainquant. Puis tout a basculé lors de ma première émeute avec un groupe de copains. Pour la première fois depuis longtemps, j’avais l’impression de pouvoir mettre en pratique tout ce que je ruminais depuis des années. Puis j’ai rencontré un militant anarchiste, et en quelques heures, il a su répondre àla plupart des questions que je me posais depuis des années et qui étaient restées sans réponse et ça a donné un nouveau sens àmon combat politique. D’ailleurs, mes copains émeutiers sont également devenus actants anarchistes.

12-Peut-on parler d’une reconstruction progressive ?

Plutôt d’une profonde transformation dans ma façon de voir les choses, et pas que sur un point de vue politique. J’ai arrêté de travailler, alors qu’avant je considérais le travail comme essentiel et passe maintenant mon temps àvivre et àlutter.

13-Le mot de la fin ?

La pensée marxiste, par sa vision économico-centrée des phénomènes humains a créé les chimères étatistes qui ont ensanglanté le 20ème siècle, et les organisations qui s’en réclament ne font que reproduire ce vers quoi elles tendent. L’anarchie n’est pas une doctrine, mais plutôt une façon d’appréhender le monde et son rapport aux autres, avec forcément des implications politiques. L’anarchie est une pensée vivante et qui se vit.

Extrait de Non Fides N°2