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Et pendant ce temps-là… Sur l’industrie de mort et la guerre aux origines de l’exil

dimanche 4 octobre 2020

L’été, ses promenades au bord de l’eau, ses bains de soleil… et ses expulsions. Le 25 aoà»t 2020, un squat de la Grâce de Dieu hébergeant 160 personnes a été expulsé, àgrand renfort de flics. Ce n’est pas moins que la 9ème expulsion de squat d’exilé-es ordonnée par la Préfecture lors des deux mois d’été. En tout, environ 300 personnes ont été jetées àla rue, des individus isolés, des familles, des gosses qui partagent tous et toutes la même condition de misère.

Au même moment, les soudanais qui tentent de passer en Angleterre via Ouistreham sont toujours plus dans la galère. Confinés de mars àmai dans un centre de vacances àTailleville, un village àproximité, les exilés soudanais tentent depuis de se réinstaller àOuistreham. Mairie locale, préfecture et gendarmerie s’entendent pour empêcher tout retour sur place. Voilàun bel exemple de ce que le confinement a créé comme opportunité pour le pouvoir. Le rond-point où ils avaient leurs habitudes a été « décoré  » de grosses pierres et de grillages, empêchant
tout retour sur place. Les accès àl’eau potable ont été coupés. Dès qu’ils arrivent sur place, ils subissent des contrôles de gendarmes, souvent accompagnés de gaz lacrymo dans la gueule, parfois de destruction de téléphones portables. Les passages en garde-à-vue sont quasi-systématiques et certains sont envoyés en centre de rétention àOissel, près de Rouen. Les témoignages des passages en CRA sont édifiants : problèmes d’hygiène et de bouffe, mauvais traitements, actes de torture, etc.

Le confinement n’a pas seulement créé des opportunités pour le pouvoir.
Celui-ci a continué tranquillement àfaire fonctionner son industrie de guerre et àhonorer ses contrats d’armement. Pendant que des flics foutaient des amendes àtout-va pour l’achat de produits qu’ils ne jugeaient pas de première nécessité (des serviettes hygiéniques par exemple), Etat et patronat s’entendaient pour faire tourner l’industrie
de mort. La nécessité a ses raisons que la raison d’Etat ajuste àsa sauce. Qu’on ne s’y trompe pas, les politiques de confinement mises en place dans la précipitation sont d’abord làpour sauvegarder l’économie.
C’est pourquoi pendant que le cadre télétravaille dans sa résidence secondaire en bord de côte, ouvriers, ouvrières et employé-es vont s’exposer au virus en allant bosser, notamment pour honorer les contrats d’armement. Dès le mois de mars, des circulaires du ministère de la Défense demandent aux industriels de maintenir les cadences pour
continuer de vendre des armes aux 4 coins de la planète. On les retrouve dans les guerres au Yemen, en Lybie, en Syrie, au Mali, etc. Et quand Macron se déplace au Liban, après l’explosion au port de Beyrouth, ce n’est pas pour apporter de l’aide humanitaire, mais avec dans les poches les plans d’austérité du FMI et pour imposer des contrats au profit des entrepreneurs français.

Au Mali, ainsi qu’au Niger et au Tchad, l’Etat français dirige une opération militaire, nommée Barkhane. Officiellement, elle y pourchasse des islamistes, pour la plupart venus de Lybie que l’armée française a bombardé, où elle fournit des armes àtout-va, où elle s’associe àdes chefs de guerre et continue d’y vendre des armes au plus offrant sans se soucier d’autres choses que du fric àse faire. En 2018, l’industrie de guerre française vendait àl’étranger pour 9 milliards d’euros, un peu moins que l’année record de 2015 avec près de 17 milliards d’euros.
Globalement, les ventes d’armes dans le monde des principaux fournisseurs que sont les Etats-Unis, la Russie et la France ne cessent d’augmenter. Pour toujours plus de bombes qui atterrissent sur des gens contraints àl’exil. En 2018, le Haut Commissariat aux Réfugiés estimait àplus de 70 millions le nombre de personne fuyant des combats…

L’opération Barkhane, c’est surtout plus de 5.000 bidasses protégeant des intérêts stratégiques, telles les mines d’uranium. C’est aussi une aide pour mâter les révoltes. En juillet 2020, une révolte populaire s’est enclenchée au Mali contre le gouvernement en place. Elle a été réprimée dans le sang par les forces antiterroristes maliennes. Ces
dernières sont entraînées par des officiers européens et nord-américains, en particulier par le RAID français. Cette répression, qui a donc bénéficié de l’expertise de l’Etat français, a fait au moins 14 morts selon l’ONU. Le putsch militaire qui a suivi en aoà»t n’a pas grand-chose àvoir avec cet élan populaire : il s’agit de destituer le
président Ibrahim Boubacar Keita, ami de l’Etat français, mais sans changer grand-chose et maintenir les accords avec la coalition militaire présente là-bas, Etat français en tête.
Dans le coin aussi, on peut rencontrer les plus hauts intérêts stratégiques de l’industrie de mort. Cherbourg a été pendant longtemps une base stratégique de la marine militaire. Il en reste l’Ecole des Applications Militaires de l’Energie Atomique (EAMEA) dans les locaux de l’école militaire des Fourriers. Celle-ci est intégrée au pôle nucléaire normand et àla filière nucléaire nationale, jusqu’àCadarache et Saclay. 900 élèves par an de la Marine et de l’Aviation y sont formés àla propulsion nucléaire et àl’art subtil de balancer des bombes atomiques. Les bidasses annoncent que leur école a le vent en poupe, avec de nouveaux jouets prévus dans les prochaines années : les fameux futurs sous-marins nucléaires d’attaque Suffren, de nouveaux missiles dès 2025 et de nouveaux avions de chasse àl’horizon 2040, qui seront aussi vendus partout sur la planète. La guerre a de beaux jours devant elle. Les camps de réfugié-es et les foules d’exilé-es aussi.

Nous sommes dans des sociétés basées sur l’élimination d’une frange de plus en plus importante des populations. A l’image des déchets qui s’accumulent avec la consommation, de plus en plus de personnes sont considérées comme des rebus, des indésirables. Les modes de gestion de l’économie sont de plus en plus brutaux, depuis les expulsions de logement, les pollutions dues àl’extraction minière ou àl’industrie nucléaire obligeant àl’exil, en passant par l’appropriation par des pays riches, comme la Chine, de terres agricoles en Afrique ou ailleurs, expulsant des paysans et paysannes. Le durcissement continu des peines de cette machine àbroyer qu’est la Justice et les prisons sont aussi làpour accueillir les rebus de nos sociétés. La taule est d’abord un outil d’élimination sociale – qui est parfois purement et simplement une élimination physique. Les bombes qui pleuvent et les mitraillettes qui font mouche aux 4 coins du monde ont quant àelles pour fonction d’éliminer une partie du surnuméraire. Faire bouffer de la merde qui tue àpetit feu en toute connaissance de cause élimine aussi une partie des classes populaires. Cible prioritaire de la propagande publicitaire, le pouvoir les a en plus dépossédées de toute parcelle d’autonomie au profit d’une dépendance matérielle àl’industrie alimentaire.
L’empoisonnement rapporte du fric. Tant pis pour les morts ! L’être superflu par excellence est bien sà»r l’exilé-e, pris dans des mécanismes qui sont en réalité des formes d’élimination sociale.

Cela n’empêche pas les sans-papiers soudanais, par exemple, de s’auto-organiser àleur manière. A Ouistreham, ils ont remonté un camp de fortune, résistent aux gendarmes àcoups de pierre, leur tiennent tête dès qu’un des leurs est malmené et se rassemblent devant le commissariat àla moindre arrestation. Il y aurait làbien de quoi nous inspirer pour s’opposer au pouvoir. Mais beaucoup préfèrent fermer les yeux, attendre une hypothétique situation plus favorable ou des élections, ou encore négocier avec le pouvoir. Pourtant, tout ce qui renforce l’Etat et ses moindres structures liées àlui, y compris associations humanitaires et caritatives, le renforce et finit dans le même temps de consolider ses intérêts et son industrie de mort. Sans oublier que s’en remettre àl’Etat, c’est faire le jeu de la tendance politique qui l’incarne le mieux en ce moment : l’extrême-droite.

Toutes les sirènes de l’extrême-droite proposent une forme de pseudo-subversion, une fausse transgression de l’ordre existant. C’est pourquoi les classes dirigeantes peuvent les appuyer, afin de mettre en défaite des luttes et des révoltes qui transgressent réellement les fondements de l’ordre existant. De notre côté, nous n’avons pas oublié que les luttes et les révoltes résonnent d’un bout àl’autre de la planète, et qu’elles peuvent faire jaillir un horizon plus désirable ici comme là-bas.

Révolté-es et exploité-es de tous les pays, unissons-nous !

[/ Des anarchistes. /]

[Texte diffusé dans les rues de Caen lors d’une manif samedi 5 septembre en solidarité avec les sans-papiers.]