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Grèce : Lettre de l’Initiative de Prisonniers Anarchistes de la prison de Korydallos sur l’assassinat de Marian Kola

« C’est la première et dernière fois que vous m’arrêtez. La prochaine, ou je vous tue, ou vous me tuez.  »

lundi 12 août 2013

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[Marian Kola est l’un des 11 évadés de la prison de Trikala, évasion qui date du 23 mai. Il a été tué lors une fusillade dans le nord de la Grèce le 21 juillet, où un flic de l’antiterrorisme a aussi été blessé. Parmi les évadés de Trikala, trois avaient été rattrapés peu de temps après l’évasion, un a été arrêté après un braquage àPeristeri et deux autres ont été tués lors une fusillade avec les flics àKoniska le 3 juillet. Marian Kola était aussi accusé des meurtres d’un flic àDistomo le 17 juin lors d’un contrôle routier et d’une femme lors de la fuite après un braquage le 27 mars àIsthmia qui avait fini en course-poursuite et fusillade (K. Zogali, tuée dans sa voiture par une balle perdue).
La dernière fois que Marian Kola avait été arrêté, en 2010 suite àun braquage àMaroussi où un passant avait été tué par les balles de la police (Nicolas Todi), il avait été très clair face aux flics : « C’est la première et dernière fois que vous m’arrêtez. La prochaine, ou je vous tue, ou vous me tuez. »]

« Nous savons que tous meurent. Mais il y a des morts qui pèsent plus, parce qu’ils ont choisi leur propre chemin. »
Katerina Gogou

Avec la couverture journalistique continue et étendue, la chasse aux évadés de la prison de Trikala continue depuis quatre mois, gardant l’audience en haleine, tous les éléments d’une superproduction étant réunis : évasion "cinématique", assassins "sans scrupules" et "sanguinaires", flics "durs et déterminés", affrontements, morts et chasse àl’homme sur une grande partie du territoire grec.

Le quatrième pouvoir [les médias] est le chaînon le plus central du fonctionnement de la démocratie, assurant la médiation entre les autres pouvoirs et les citoyens et nous rappelant une fois de plus les règles du jeu : le régime démocratique ne ménage ni temps, ni efforts, ni ressources quand le dogme de la sécurité doit être établi.

Tout ce temps, les journalistes anxieux depuis les centre d’opérations, les reportages àla musique imposante, les descriptions des évadés chargées d’émotion, les scènes avec des flics armés jusqu’aux dents, ne visent qu’une chose : la création d’un renversement dans le subconscient social au sujet des fugitifs et l’acceptation de l’omnipotence de l’État. La couverture médiatique des événements est toute aussi utile pour le succès des opérations étatiques que le sont les armes de la police.

Même si certains des évadés, qui vivent encore des moments de liberté, réussissent finalement às’échapper d’une façon ou d’une autre, l’impression doit rester que cela n’est pas dà» àla faiblesse de l’État, mais àcause du réseau de soutien invisible qu’ils ont, àl’aide de l’UCK [1] ou éventuellement grâce àleurs habilités surnaturelles.

L’ESPRIT EST TOUJOURS LA CIBLE

Même si cela peut sembler étrange pour les réflexes humanitaires sensibles de ceux qui ferment les yeux, la peine de mort en démocratie est quelque chose de pleinement accepté. Avec une différence de base, elle est décidée, ordonnée et exécutée non dans un quelconque tribunal mais àtravers le bulletin télévisé, attendant seulement le moyen et l’heure où sa mise en pratique sera possible.

Le sourire qui accompagne les déclarations pompeuses de Dendias [2] pour le renvoi des évadés en justice, « si cela est possible », montre de la manière la plus crue la logique et la morale du pouvoir. Une autorité humiliante qui considère comme une grande victoire et prouesse ultime que des centaines - peut-être des milliers - de flics, avec l’aide de forces spéciales de l’armée et de la marine, avec des milliers d’armes et de moyens techniques mis àleur disposition (hélicoptères, chiens, caméras thermiques) et en alternant entre les équipes (pour qu’ils puissent se reposer), aient réussi - àl’heure où nous écrivons ces lignes - àserrer quatre personnes.

La soif infinie d’acquérir la liberté et la détermination pour la conserver sont le seul motif capable de faire qu’une personne ne se rende pas, ayant face àelle une telle connexion de forces.

Mais le spectacle ne s’arrête pas avec les exécutions des évadés. L’État doit se venger de l’humiliation qu’il a subi. Doivent donc suivre respectivement l’humiliation des insoumis et l’exemplarisation de ceux qui continuent àne pas reconnaître l’omnipotence étatique.

Depuis le temps d’Homère et de la profanation du cadavre d’Hector par Achille jusqu’àl’ère actuelle d’Internet, l’humiliation de l’adversaire mort est typique de l’arrogance de l’autorité.

Les photos de Marian Kola mort prouvent combien les temps des brigands-voleurs étaient purs, quand les têtes tranchées des « beaux des montagnes » étaient pendues sur les places de villages comme exemple. À l’ère numérique et comme partout dans le monde, le message est d’abord transféré sur écran et - encore plus important - sans le sang et la puanteur qui découlent du contact direct avec le cadavre. L’arène est maintenant digitale et les pouces pointés vers le bas remplacent respectivement les commentaires publics. Du travail propre !

Avec la mort de Marian Kola, le système judiciaire-policier-pénitentiaire sent qu’il restaure son honneur bafoué. Le premier a dès le début été pointé comme le « cerveau », le « meneur » du groupe, le plus « cruel » et « sanguinaire ».

Nous, nous n’avons pas connu personnellement Kola, comme aucun des évadés. Notre but n’est pas de dresser une image de saints ou de faire des héros de quelques-uns. Ni bien sà»r d’écrire des nécrologies, mais, àl’occasion de ces événements, de partager quelques pensées quant àla gestion de la situation par le régime par la communication et la police-armée. En outre, nous avons aussi des informations qui proviennent des médias étatiques, mais notre interprétation des faits diverge.

L’ELAS (la police grecque) avait quelques comptes àrégler avec Kola après son évasion du commissariat de Thiva et encore plus après l’opération àVyrona, en février 2010, où furent arrêtés Kola et Bema. Nicolas Todi fut alors tué par de nombreux coups de feu de la police, c’est-à-dire des tirs avec intention de donner la mort, sans bien sà»r que le flic qui l’avait descendu ne soit poursuivi, ce dernier écopa en effet du qualificatif « cruel ». La veille, àMaroussi, Kola et un autre de ses compagnons avaient désarmé une équipe d’une voiture de patrouille et s’étaient enfuis.

Ils ont tenté de faire la même chose àDistomo, et apparemment la scène aurait fini en un bain de sang si une deuxième voiture de patrouille n’avait fait son apparition. Les événements de Maroussi et de Distomo montrent des hommes définitivement dotés de sang-froid et non des personnes sanguinaires. Tout un chacun comprend combien il est plus dangereux de tenter de désarmer quelqu’un plutôt que de le tuer.

Ainsi, le sens commun nous amène àla conclusion que les descriptions des journalistes sur les fugitifs correspondent seulement au jeu des impressions et non àla réalité.

Bien sà»r que les évadés sont armés et bien sà»r qu’ils utiliseront leurs armes pour éviter de se faire pincer, tel qu’ils l’ont déjàfait tant de fois lors de barrages et de course-poursuites. Mais c’est une chose de tirer sur un homme armé pour assurer sa liberté, c’en est une autre d’exécuter de manière générale « sans scrupules ». Parce qu’il existe une autre chose qui plaide en faveur de tout cela, c’est que les évadés n’ont pas tiré sur un quelconque citoyen malgré le fait qu’ils en ont croisé.

La morale actuelle ordonne de se soumettre aux ordres de la police. La morale rebelle enjoint àla liberté, riant avec ironie des ordres de la police.

Les flics ayant cela en tête, ils n’hésitent pas àse risquer dans des zones très peuplées (Vyronas) ou sur l’autoroute (Isthmia), acceptant la possibilité de blesser ou de tuer des badauds comme N. Todi ou K. Zogali.

En tant qu’anarchistes, nous n’acceptons pas les notions de compensation des victimes ou des dommages collatéraux, elles sont caractéristiques de la logique autoritaire du mépris pour la vie. Après les arrestations de Vyrona, le ministre de l’Intérieur Chrysoxoidis nous l’avait confirmé en le disant si franchement : « un citoyen a été tué mais deux dangereux criminels ont été arrêtés ».

Les médias et la plus grande partie de l’opinion « publique » ont rendu les évadés responsables de la mort des deux personnes àVyrona et Isthmia, sous prétexte qu’ils aient réagi quand la police leur avait demandé de se rendre. Cette opinion ignore que pour certains la défense de la liberté n’est pas négociable. Malgré tout, nous ne pourrions pas ne pas faire remarquer que la principale différence entre les deux événements est que Todi a été exécuté, les flics le confondant avec ceux qu’ils voulaient arrêter, tandis que la mort de Zogali était un accident.

Nous serions d’accord finalement avec le point de vue médiatique : les évadés sont - ou étaient - sans scrupules. Ils n’avaient aucune hésitation àdéfendre leur liberté si durement gagnée. Comme l’a écrit Marousko, un co-détenu de Kola qui le connaissait bien : « Mario Kola était un des prisonniers - ou otages - de l’État dont vous pensiez qu’il était enfermé pour son diplôme, calme et distingué, son attitude envers les autres prisonniers était pleine de respect, mais il avait un "vice" comme tous ceux qui se sont retrouvés dans les dents de béton de l’État, il voulait sa liberté àtout prix. Il risquerait aussi sa vie au final, mais pas celle des autres. »

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La militarisation de l’État se déchaîne àun rythme effréné. De plus en plus souvent des solutions de type militaire sont retenues pour diverses choses qui, dans les faits ou potentiellement, perturbent le fragile équilibre social.

Les six derniers mois, les EKAM [3] ont été responsables d’avoir brisé la grève des travailleurs du métro, de raids dans les lieux anarchistes squattés, d’arrestations àSkouries [4], de perquisitions et de tabassages dans les prisons.

La même unité lourdement armée et spécialement entraînée a été utilisée pour des missions si disparates que pour la plupart d’entre elles il n’y avait aucune possibilité d’affrontement armé. La seule raison de s’en servir était l’intériorisation de la peur et de la force oppressive étatique.

Les opérations contre les fugitifs furent une très bonne opportunité pour le renforcement en pratique du dogme des ramifications dans les opérations spéciales. Pour la première fois en Grèce, il existe une coordination et une action de forces spéciales composées de différentes unités dans une aire temporelle et géographique large.

Cela ne veut pas dire que la police n’est pas suffisante pour ce travail. Il serait étrange de penser une telle chose, puisque les groupes des autres forces sont extrêmement limités et que les deux embuscades, jusqu’ici, ont été le fait d’unités de police. Simplement, ce fait est un prétexte pour développer le dogme moderne du poing de la démocratie. Les notions de base de la démocratie civile s’ajustent avec un Å“il sur les futurs conflits sociaux.

Les forces de l’ennemi se regroupent donc, se renforcent, se développent et tentent d’imposer des conditions toujours plus sévères. Face àcette réalité, nous devons mettre en commun nos actes de résistance, nous pourvoir àtous les niveaux - organisationnel, de conscience, logistique - pour évoluer et faire s’épanouir les chemins et les formes de la lutte. Pour casser les divisions artificielles que le monde de l’autorité produit en regardant les points qui peuvent nous mettre en relation avec des gens qui, chacun pour ses propres raisons, se révoltent et contestent dans la pratique l’ordre légitime.

Que ce soit individuellement ou collectivement, en jetant des pierres dans les manifs ou en tournant les kalashnikov contre ceux qui imposent l’absence générale de liberté. Et en commençant àpartir d’expériences communes pour construire un acquis conscient des relations de solidarité.

La solidarité avec les exclus de la société-prison ne s’exprime pas seulement quand cela n’a pas de coà»t, comme un soutien aux prisonniers àcondition qu’ils demeurent passifs, mais quand certains se bougent, s’évadent, revendiquent et défendent leur liberté les armes àla main.

Surtout dans le dernier cas, quand des personnes deviennent littéralement des cibles et que le quatrième pouvoir les calomnie jour et nuit, préparant leurs exécutions. La complicité avec les meurtres étatiques n’est pas seulement les cris assoiffés de sang de la foule connectée, mais également le silence commode.

Initiative de prisonniers anarchistes de Korydallos

[Traduit du grec par nos soins de Athens Indymedia.]


[1Armée de libération du Kosovo.

[2Ministre de la Protection du Citoyen, équivalent en Grèce du ministre de l’Intérieur.

[3Forces spéciales de la police, équivalent du GIGN ou du GIPN.

[4Skouries en Halkidiki est le lieu où une mine d’or est en cours de ré-ouverture. Depuis des années, les habitants de la région se battent avec acharnement contre ce projet. En 2013, les EKAM ont procédé àde nombreuses perquisitions dans des maisons du village de Ierissos, débarquant à3-4 heures du matin, fusil d’assaut àla main et enlevant littéralement les gens. Ces opérations de terreur faisaient suite àune attaque coordonnée menée dans la nuit du 17 février par une quarantaine de personnes armées de molotovs et de fusils et qui avait fait de gros dégâts sur le chantier. Pour plus d’info récentes voir ici.