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Greve de la faim àla section de haute sécurité de Bruges et lettre de Nordin Benallal

mercredi 22 juin 2011

Dans le module d’isolement àla prison de Bruges, qui a été ouvert il n’y a
pas trop longtemps pour isoler et tenter de briser les "prisonniers
récalcitrants, dangereux et avec une volonté de s’évader", deux prisonniers,
Farid Bamouhammad et Nordin Benallal, ont entamé une grève de la faim. Ces
deux sont actifs depuis des années, en mots et en actes, dans la lutte
contre les conditions de détention dans les prisons belges et dans le monde
carcéral en général. Les conditions dans le module d’isolement àBruges, cette prison à
l’intérieur de la prison, ont été dénoncées àplusieurs reprises par ceux
qui y sont passés, comme par exemple Ashraf Sekkaki, qui a écrit plusieurs
lettres sur le sujet. Aussi Nordin a récemment encore publié un récit dont
il dénonce les conditions là-bas. Leur grève de la faim est menée contre les conditions de détention dans ce
module d’isolement. Que la solidarité fasse en sorte que cette action ne reste pas isolée entre
les quatre murs de l’oppression. Voici une lettre de Nordin.

C’est bien possible qu’il y a juste un truc qui cloche avec moi, mais je me suis toujours senti comme un étranger. Dans n’importe quel environnement où je me trouve, je suis étranger. Rien d’autre qu’un allochtone dans ma ville. Depuis la naissance, ils m’ont mis un tampon ’allochtone’. Ils ont changé le système maintenant, « modernisé  » si tu veux, mais le principe reste le même. Je dis allochtone, parce que j’ai passé trop de temps en Flandres, et plus haut encore, chez leurs amis hollandais, ceux qui ont colonisé la Belgique avant que ce ne soit la Belgique. Le pays qui donne l’eau àla bouche encore àces petits ministres flamands, le pays qui leur sert de grand exemple. Je pourrai aussi dire délinquant. Petit marocain ici, berbère là-bas - sale et pauvre - rien de plus qu’un touriste perdu au Maroc.

Je suis resté sourd àla langue de camp de concentration moderne qu’est cette taule de Vught, en Hollande, où j’ai été enterré vivant pendant quelques années. De là, j’ai ensuite bougé àquelques kilomètres, mais le décor a peu changé. C’est d’ailleurs le grand exemple de l’EBI àVught que la Belgique a emprunté pour construire son bloc d’isolement. Enfermé dans un cachot institutionnalisé et permanent dans la prison-usine de Bruges, la différence est dans la couleur des murs. Avec les matons, on n’a pas àse comprendre, je n’ai rien àvoir avec eux, je n’ai pas àêtre ici.

Étranger aux miens aussi. Coup après coup, c’est moi qui me retrouve dans le banc des accusés, je regarde autour de moi, y a personne, étrange. Accusé et condamné en premier lieu par les médias, avec les juges en croupe, et les honnêtes citoyens. Et comble de tout, par de soi-disant complices : c’est devenu tellement de bon ton et si facile de marcher avec la police pour sauver son propre cul. Et ceux qui n’ont jamais rien su, ni vu, ni entendu, ramassent bien, évidemment. Pourtant, je ne penserai même pas une seconde àchanger quoi que ce soit. Comme on dit, la mauvaise herbe repousse toujours. Et j’entends bien être une mauvaise herbe dans leur prairie de bonnes intentions. Face àun monde aussi exécrable, que ce soit ici ou dehors, la seule chose que t’as, c’est ta dignité. Quand tu la vends, peu importe si t’as bien encaissé, tu l’a vendue, ta dignité. A l’intérieur de toi, t’es déjàmort.

Comme c’est l’argent qui fait tourner le monde, la prison n’échappe pas non plus àcette logique. Faire travailler les prisonniers, c’est un vrai business. Toutes sortes d’entreprises ont des contrats ici. Les camions vont et viennent toute la journée. De toutes les prisons que j’ai connues, faut dire que Bruges vole haut. Un peu comme aux États-Unis où règne le monde du fric. Sur les 800 prisonniers qu’il y a ici, une grande partie travaille. Pour une rémunération minable, dans des conditions indignes, mais pas de soucis avec la législation : profit garanti ! Comme pour les sans papiers dehors, l’exploitation n’a plus de limites. La directrice m’a aussi demandé de travailler. Ça, c’était une bonne blague. Moi, j’irais chipoter avec de petits pots en plastique àlongueur de journée pour remplir leurs poches ? Je ne pense pas.

Ici, un homme est maintenant attaché àune chaise, mains et pieds liés, c’est comme ça qu’ils le trimballent àla douche à10 mètres de la cellule. Ses hurlements des dernières semaines ont cessé, il ne fait plus que pleurer, jour et nuit. Ils bourrent tout le monde de médicaments. Ils disent que ce sont des vitamines, je leur réponds que s’ils en ont quelque chose àfoutre de notre santé, qu’ils nous donnent des fruits. Ou qu’ils nous libèrent tout court. Les infirmières passent trois fois par jour. Parfois plus, quand nécessaire, comme cette fois où ils avaient besoin de vraiment droguer les gens au point qu’ils ne pouvaient plus parler, ni bouger ; c’était quand la télé est passée il y a deux semaines, avec le souci de bien montrer comme tout va bien ici, bien selon les règles. Quand, évidemment, ils ne pouvaient pas parler avec ceux qui auraient peut-être eus quelque chose àdire. Mais on a largement dépassé le stade où il suffirait de dénoncer ce qui se passe. De toute façon, ça ne choque pas. Beaucoup plus qu’exercer la répression physique contre les gens, ils ont réussi àrentrer dans leur tête. À partir de ce moment-là, c’est perdu : les gens ne voient plus que le monstre que les médias ont créé, l’étranger. Ce genre de régimes ultra-répressifs tombent pas du ciel, il y a des personnes qui lui donnent forme, qui le perpétuent jour après jour. Ce sont eux les responsables. Comme monsieur Meurisse et sa bande de laquais, ce monsieur qui a dà» se cacher dans un bunker avec sa famille quand un prisonnier a réussi às’évader d’ici. Pendant que des flics armés jusqu’aux dents protégeaient la prison de Gand, sa résidence officielle. Tous les autres, tous ceux qui exécutent ses ordres, se cachent derrière lui, pour se déresponsabiliser, comme des lâches.

La question de la prison, c’est vraiment très simple. Dans cet environnement, il n’y a pas dix mille options. Pour être franc, il y en a trois. Soit tu deviens fou, soit tu te suicides, soit tu t’évades. Vraiment très simple. Tout ce que ces hypocrites font, c’est caqueter réinsertion ici, resocialisation là. Et entre-temps t’es enfermé ici, et c’est une vraie lutte de ne pas perdre tes sens, aussi bien la raison que les choses qui paraissent les plus simples. Toucher, voir, sentir, entendre. Penser la liberté, de presser pour l’atteindre, c’est ce qui te garde en vie.

Kiket


 Nordin parle ici du compagnon de lutte Ashraf Sekkaki. Ils n’ont pas seulement le même âge, mais partagent surtout la même rage contre ce système, et ont un parcours parallèle : en taule depuis des lustres, àl’exception de plusieurs évasions réussites, braqueurs de riches, combattants àl’intérieur des murs. Ashraf a été enfermé pendant plusieurs mois dans ce même bloc d’isolement, où il faisait tout pour en décrire l’atrocité et l’envoyer aux gens dehors. Sa lutte a payé ; il s’est finalement fait transférer vers la section normale de la prison de Bruges. Dans le bel été de 2009, il avait réussi às’évader en hélicoptère (un peu comme Nordin l’avait fait quelques années auparavant depuis la prison d’Ittre). Sérieusement blessé, il a été brutalement arrêté au Maroc deux semaines plus tard. Après un an et demi en détention dans la prison corrompue d’Oujda, il réussit às’évader dans un coffre fin novembre 2010, malheureusement pendant quelques heures seulement. Le directeur de la prison a ramassé plein de thunes en échange de sa collaboration, avant de le dénoncer lâchement. Au Maroc il vient d’être condamné à18 mois pour cette évasion et pour l’évasion de Bruges à12 années. Ashraf est depuis plus de 4 mois enfermé dans la prison ultra-sécurisée de Rabat, la prison où sont enfermés tous les opposants du roi. Il est gardé en isolement total, il n’a droit ni aux coups de téléphone, ni au courrier, ni àla visite. Mais comme on le connaît, il ne baissera pas la tête et tiendra le coup jusqu’àce qu’on reçoive ànouveau des nouvelles de lui.

 La moitié des détenus travaillent, soit environ 5000. Dans certaines prisons, ce sont 98% des détenus qui travaillent, dans d’autres même pas 30%. Les prisonniers touchent entre 60 cent et 2€ de l’heure. Dans le « masterplan prison  », le projet de construction de 10 nouvelles taules, l’augmentation de la capacité de travail est également incluse. Ils veulent mettre tout le monde au boulot. Voir le site de la régie du travail pénitentiaire pour découvrir leurs « atouts  » : ’tarifs concurrentiels’ = faites les bosser pour que dalle, ’grande quantité de main d’Å“uvre disponible’ = ce sont des taulards ! Où est-ce qu’ils vont aller ?, ’flexibilité et possibilité de répondre àdes demandes urgentes dans des délais courts’ = faites ce que vous voulez, ils n’ont aucun droit, ils vont aller faire grève ou quoi ? Ha ha ha . Contrôle et caméras partout ? Ben oui, faut plus aménager l’espace, on est déjàdans une prison !
d’après http://www.rtp-rga.be/


Un mot sur la section de haute sécurité àBruges

Depuis quelque temps, des voix un peu trop critiques se sont élevées contre l’infâme bloc d’isolement de la prison de Bruges. L’Etat a alors fait appel àses journaflics de confiance, toujours prêts àleur lécher le derrière, pour faire un véritable spot promo. Une équipe de Koppen (pour la télévision nationale) y a donc été envoyée pour demeurer 48 heures sur place. Comment ils ont réussi àfermer les yeux et les oreilles àtel point reste un mystère. Pour eux, il n’y a strictement aucun souci avec ces cages àenterrer des humains vivant, les gardiens sont contents, avec un peu de chance les prisonniers aussi. Tout va bien. Tout ce petit monde complice (allant des gardiens àla direction, en passant par les assistants sociaux, infirmières et psychiatres) apparaît avec son nom devant la caméra, fier de son boulot de bourreaux.

Les infirmières avaient soigneusement administré une double dose de calmants (en plus de la dose normale qui leur est donnée trois fois par jour) afin que les détenus ne soient vraiment plus capables de bouger, ni de parler. Meurisse, le directeur, avait donné l’ordre de ne certainement pas parler avec les détenus qui crachent sur leur détention, et évidemment, les journaflics n’ont fait qu’obéir aux ordres. Tout le monde savait que ce devaient être 10 minutes de spot promo et rien d’autre. On voit ainsi comment un psychiatre entre dans une cellule, accompagné par 6 matons, pour “parler†avec le détenu. Cela revient surtout àrépéter le mot d’ordre de Meurisse et de la direction : sans “attitude positive†, sans collaboration, sans résignation, pas de salut. Ceux qui refusent doivent le payer cher.

D’autres choses sont par contre plus difficiles àcamoufler : ils montrent la cage àlions (’préau’ de quelques mètres carrés, entouré de grilles partout), le cachot dans l’aile (un lit au milieu d’une minuscule pièce, et c’est tout). C’est une bande de bourreaux en costume cravate àBruxelles (le Directorat général des prisons) qui décide de ce régime, individuel pour chaque personne. Tous les quelques mois, le régime passe en révision, et c’est alors que le vrai foutage de gueule apparaît.
Après 5 mois d’enfermement, un détenu peut par exemple accéder àun couvert en inox (sinon c’est en plastique ou en playmobil). Les visites derrière les carreaux demeurent, tout comme les refus de demandeurs de visites, le refus de livres, de courrier. Sur les 8 détenus qui y sont actuellement enfermés, certains y sont depuis plus d’un an déjà ! Pour ceux qui y passent quelques mois, c’est un régime ultra-dur qui doit serrer la vis, et domestiquer le détenu. Et pour tous les autres, c’est surtout une arme de dissuasion pour mater l’esprit de révolte préventivement.

Ce que nous relevons de l’attitude positive àadopter, c’est la révolte des détenus qui ont détruit le bloc d’isolement en avril 2009, en la mettant hors service pendant quelques mois, ceux qui se sont évadés après un placement dans cette geôle, et ceux qui continuent àse révolter malgré tout. Vive la bonne tenue.


Repris de Hors Service N°16.