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Hamilton (Canada) : A propos d’une balade fracassante àtravers l’un des quartiers bourges de la ville et de représailles citoyennes

mardi 13 mars 2018

Samedi 3 mars, en milieu de soirée, une balade ingouvernable est passée dans le centre-ville d’Hamilton, en Ontario. Des dizaines de commerces (bars et magasins) et de voitures de luxe ont été attaqués. Il y en aurait pour plus de 100.000 dollars de dégâts.

Aux alentours de 22h, une balade d’environ 30 personnes, toutes de noir vêtus et cagoulées, ont déambulé dans la centre-ville d’Hamilton, derrière une banderole clamant haut et fort : « nous sommes ingouvernables  ». Les bourges, qui profitaient de leur samedi soir pour trinquer, n’en croient toujours pas leurs yeux, comme le rapporte une bourgeoise du secteur : « Soudainement, entre 25 et 30 personnes habillées comme des ninjas ont descendu la rue avec cette immense bannière et des feux d’artifice […] C’était épeurant  ». C’est bien leur monde de propriété et de marchandises qui a volé en éclats àtravers le fracassage de dizaines de vitrines de magasins et de banques. Les voitures de luxe garées dans le quartier n’ont bien sà»r pas été épargnées. Au milieu des fumigènes, des oeufs de peinture ont également volé sur les façades et de nombreux tags sont venus redécorer la ville aseptisée. Sur les coups de 22h, la police, alertée par des badauds, a envoyé deux agents sur les lieux. Mais ils n’ont pu que constater le saccage, impuisssants, contraints àse replier sous une pluie de pavés.

Quelques minutes plus tard, ce sont plusieurs unités de police qui se sont rendus sur les lieux pour mettre fin aux attaques àla propriété. Mais àpeine arrivés, tout le monde avait disparu. Aucune arrestation n’a eu lieu. Dans leur fuite, des k-ways et autres affaires ont été récupérés par les flics, qui ont annoncé procéder àdes analyses.

La police a indiqué qu’elle enquêtait sur un éventuel lien entre cette manifestation et la tenue d’une foire aux livres anarchistes qui se tenait dans une école secondaire durant la fin de semaine.

D’après les estimations de la police d’Hamilton, les dégâts sont estimés àpas moins de 100.000 dollars.

Enfin, il semblerait que cette balade ingouvernable s’inscrit dans le contexte d’une lutte globale contre l’embourgeoisement urbain, et ce depuis plusieurs mois : les premières attaques remonteraient àjuin 2017, selon un bourgeois du secteur de la rue Locke. Il y aurait eu une douzaines d’attaques contre bars et magasins, produits de la gentrification croissante du secteur.

[Reformulé depuis divers articles de presse par Sans Attendre Demain.]


Hamilton : Ingouvernables et pleurs de bobos : un samedi soir àLocke Street.

Chaque jour, que ce soit les propriétaires qui touchent de plus en plus de loyers pour des apparts toujours plus merdiques, des patrons qui vous poussent àtravailler toujours plus ardemment, des associations de commerçants qui militent pour davantage de flics, ou juste l’Audi qui vous coupe aux heures de pointe… Les riches nous pourrissent la vie. Chaque jour, nous devons faire face àleurs attaques mais de temps en temps, nous pouvons trouver un moyen pour rendre les coups.

Samedi soir, j’ai retrouvé un groupe de gens dans le quartier ‘Durand’ : nous avons flâné le long ‘d’Aberdeen’ et dans certaines rues du secteur, en attaquant des véhicules de luxe et des hôtels particuliers qui étaient sur notre chemin, en faisant du bruit avec un sound system portable des feux d’artifice. La balade s’est ensuite rabattue sur ‘Locke’ en attaquant le maximum de commerces de bobos que nous pouvions avant de prendre la décision de se disperser. La police a dit que nous avions fui, mais je n’ai pas vu un seul flic après qu’ils ont été chassés ‘d’Aberdeen’.

Pour tous les anti-capitalistes indubitablement sincères qui, sur Internet, se demandent pourquoi les Starbucks n’ont pas été détruits, contrairement aux petites entreprises et commerces locaux, c’est seulement parce que ceux-ci étaient situés juste un peu trop au nord. Mon seul regret de la soirée.

Comme le camarade Kirk Burgess [1] l’a expliqué sur twitter :

« Imaginez que vous êtes si fâchés vis-à-vis de la gentrification, que vous vous rassemblez avec quelques potes en galère, que vous vous masquez le visage, et que vous déchaînez dans l’un des quartiers les plus riches de la ville. En jetant des pierres sur les maisons et les entreprises. Vous êtes répugnants.  »

C’est plus ou moins ça Kirk, moi et mes ami.e.s galériens.

Tous mes pires patrons ont été propriétaires de petites entreprises. Le problème ne réside pas dans la taille de l’entreprise, mais bien dans la relation d’exploitation. Quand une personne décide d’être capitaliste, de faire de l’argent par le biais de ses investissements plutôt que par son travail, sa position par rapport aux changements dans la ville devient fondamentalement différente. La gentrification, par exemple : lorsque les loyers augmentent, cela signifie qu’ils gagnent plus d’argent (plutôt que de perdre leur maison) ; quand les prix montent et que les riches emménagent, cela signifie une chance de vendre des produits de luxe (alors que nous travaillons au salaire minimum) ; quand davantage de police et de surveillance arrivent, cela sécurise votre investissement (pendant que nous sommes harcelés et expulsés). Ils deviennent riches parce que nos vies se détériorent.

Bien sà»r, les propriétaires de petites entreprises peuvent travailler de longues heures, mais même si je mets 12 heures àcôté de mon patron, et que nous nettoyons les toilettes, le fait qu’ils possèdent et que je travaille signifie que notre relation au travail est totalement différente. Quand les affaires sont bonnes (ou quand ils réussissent àfaire du financement collectif), ils entérinent un nouveau bail sur une voiture ou signent une hypothèque sur une propriété d’investissement alors que mon chèque est mangé par le loyer, les factures et le magasin d’alimentation. Je n’ai pas d’autre choix que de me présenter demain alors que leur capacité às’enrichir augmente.

Fuck les riches. Fuck les capitalistes (même ceux qui vendent des produits de boulangerie haut de gamme). Et àtous ceux qui veulent se plaindre de la violence, souvenez-vous que la seule raison pour laquelle ces parasites parviennent àgarder leurs mains propres est que, le plus souvent, leurs attaques ressemblent àdes affaires des plus banales.

Devrions-nous continuer àécrire des lettres en espérant que Jason Farr [2] « Je-veux-un-magasin-Apple  » fasse quelque chose ? Ou croire que d’une façon ou d’une autre, Andrea Horwath [3] arrêtera de lécher le cul du BIA de Locke Street [4] ? Ou nous pourrions nous perdre dans le fait que la solution àl’oppression économique résiderait dans des start-up plus innovantes, ou bien dans la charité ? Est-ce que je devrais garder le sourire face au connard de riche en espérant qu’il me donne un pourboire plus important ?

La rue Locke a été la première rue embourgeoisée du centre-ville, sa « success story  », comme pourrait le dire le maire Fred, les quartiers environnants étant les premiers àvoir les hausses de loyers qui finissent par dominer tant de nos vies. Retourner des tables et finir par contre-attaquer samedi soir m’a aidé àme débarrasser de la peur et de la frustration qui s’accumulent lorsque vous êtes embourbés dans une situation désespérée. Que les riches se rappellent qu’ils sont toujours àla portée de toutes les personnes qu’ils écrasent.

[Traduit de l’anglais de Northshore par Sans Attendre Demain.]


Après la balade émeutière de Locke Street de samedi 3 mars, le Centre Social Anarchiste The Tower àHamilton (Ontario, Canada) a eu sa vitrine défoncée dans la nuit de dimanche et la porte pétée la nuit de mardi.

Communiqué de The Tower sur les événements récents

Nous avons attendu jusqu’àmaintenant pour écrire un communiqué public, car ce n’est vraiment pas notre volonté d’avoir des conversations sur internet, un endroit si toxique et aliénant. Mais puisque notre local a été attaqué deux fois dans les derniers jours, nous pensons qu’il est important de partager quelques réflexions et d’être clairs sur notre position.

Tout d’abord, non, les actions qui ont eu lieu samedi soir sur les rues Locke et Aberdeen n’ont pas étés organisés par The Tower, mais oui, nous soutenons ce qui s’est passé et nous sommes solidaires de ceux/celles qui l’ont fait. La guerre de classe se poursuit chaque jour dans cette ville, avec des attaques constantes contre les pauvres et les travailleurs. C’est consternant de voir que de si nombreuses personnes se fassent du souci seulement lors de rares occasions où un peu de rage se retourne contre la domination. Les effets permanents de la gentrification dans cette ville sont déchirants : vagues de déplacements, violence croissante et pauvreté grandissante. On ne peut pas simplement s’attendre àque tout ça reste caché sous le tapis des mots. Nous n’avons aucune larme àdéverser pour Locke Street.

Nous ressentons qu’àchaque famille qui se fait expulser de sa maison c’est bien pire que tout ce qui s’est passé sur Locke Street, même si on croit que tenir des boutiques de luxe est un acte neutre. Et le niveau d’indignation est particulièrement odieux, considérant que ces dernières jours il y a également eu deux femmes lambda qui ont étés poignardées. C’est plus que dégoà»tant de voir que les discussions sur les pâtisseries artisanales dégradées ont la priorité sur les discussions àpropos de la violence sur les femmes.

Ce n’est pas simplement du jemenfoutisme, cela veut dire choisir son camp. Quand les choses tournent mal, nous ne sommes pas du côté des riches et de la classe des affaires. Nous sommes solidaires de tous ceux qui résistent aux pouvoirs dominants dans cette ville et si nous avons des critiques sur la tactique nous les faisons en privé. Nous nous opposons àtoute répression et àtoute collaboration avec la police.

Ces derniers jours, nous avons reçu plusieurs menaces de la part de groupes d’extrême droite, présageant les attaques contre notre espace. Sans surprise, la classe commerçante locale et les suprématistes blancs qui ont organisé des manifestations anti-immigrés en ville l’année dernière se sont retrouvés du même côté.

Tout le théâtre àpropos de Locke Street montre qu’ils ne s’attendent pas seulement àse faire de l’argent en suivant leurs intérêts et en ignorant leurs impacts sur d’autres, mais qu’ils s’attendent aussi bien àêtre aimés pour cela. Nous ne sommes pas « choqués et horrifiés  » d’être attaqués, puisque nous n’avons jamais pensé que les puissants de cette ville et leurs larbins pouvaient nous remercier de s’opposer àeux.

Nous savons que ce ne sont pas les boutiques qui sont le principal facteur d’embourgeoisement et des souffrances qu’il entraîne : ce sont plutôt les investissements immobiliers, la spéculation et les politiques municipales qui les encouragent. Les petits magasins sont souvent sous le feu des projecteurs, mais ce ne sont pas eux qui réaménagent les blocs d’immeubles entiers ou mènent des expulsions massives. Cependant, ce qu’ils ont fait, cela a été de se mettre du côté des spéculateurs et des proprios, se positionnant de manière àprofiter des forces qui portent préjudice àla plupart de leurs voisins. Nous avons choisi de les critiquer et de nous y opposer par le passé, àcause de leur alliance aux riches et aux gros capitalistes, et même s’ils ne sont pas les plus responsables, leurs actions ont des conséquences réelles.

Pour être clairs, nous ne remplirons pas des formulaires de police en lien àces événements, mais nous les gérerons plutôt de façon autonome, en nous appuyant sur des réseaux d’entraide. The Tower continuera àhéberger le même type d’événements et de groupes qu’il a toujours fait, en mettant des ressources en commun et en partageant des idées. Les événements des derniers jours ne changent rien pour notre projet ou nos choix et nous faisons appel àtous/toutes ceux/celles avec qui nous avons partagé des moments par le passé àprendre le temps de souffler et àconsidérer que même si les choses sont plus intenses en ce moment, rien n’a changé au fond.

[Traduit de l’anglais de Northshore par Sans Attendre Demain.]


[1Il parait que Kirk Burgess est un quidam qui a posté ce commentaire marrant sur twitter que l’auteur du texte a décidé de résumer parfaitement la nature de l’action.

[2Jason Farr c’est un membre du conseil municipal, un vrai opportuniste qui ne fait que courir après les riches pour les attirer dans notre quartier (y compris le apple store).

[3Andrea Horwath c’est la cheffe du parti de gauche au niveau provincial, qui est venue poser des messages de solidarité sur les façades fracassées.

[4Un BIA c’est un « Business Improvement Area  », une association appuyée par le gouvernement municipal qui réunit les propriétaires et les petits patrons pour coordonner les affaires des quartiers. Assez dégueu.