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La mémoire est courte...

mardi 16 mars 2010

Ce dimanche 14 mars, nous étions quelques uns àfaire une balade dans certains quartiers d’Anderlecht, laissant derrière nous une trace d’affiches contre les centres fermés, des dizaines de slogans contre les prisons, les différentes faces de l’exploitation ainsi que des tags qui réfèrent aux compagnons tombés sous les balles des flics. Une voiture de ISS Cleaning ainsi que la façade d’une succursale de Dalkia ont été taguées, référant àleur collaboration dans le carcéral. Le tract ci-dessous a été distribué. A la prochaine.

Aujourd’hui nous partons en balade. Mais même si c’est dimanche, ce ne sera pas une
tranquille balade familiale qui se termine avec des gaufres. Ce ne sera pas non plus le
défilé ennuyeux de politiciens. Non, nous vous invitons àdéambuler avec nous pour
prendre le temps et l’espace de parler. Parler de choses qu’on oublie trop vite. Parler
de choses dont les médias ne parlent pas, ou si mal. Dire quelque chose qui ne soit
pas un slogan de parti politique ou de syndicat, mais qui, par contre, nous invite à
penser par nous-mêmes.

La mémoire est courte. De jour en jour, nous sommes bombardés d’informations. Les écrans
nous dictent le sujet du jour, et le lendemain, il faut déjàparler du prochain sujet. Pour se
poser, discuter et réfléchir un peu, il n’y a pas de temps. Et quand on n’a pas le temps, la
possibilité que nos idées se transforment en action est anéantie. En effet, il nous faut prendre
le temps par la force, l’arracher avec toute la violence que respire notre volonté de penser par
nous-mêmes.

La mémoire est courte. En mai 2009, la construction d’un nouveau centre fermé pour sanspapiers
a débuté àSteenokkerzeel. L’Etat a voulu le construire dans l’ombre, sans faire trop de
bruit àpropos de cette prison pour étrangers. Il a peut-être fallu que des enragés dévastent les
bureaux de l’entreprise BESIX en octobre 2008, pour arracher l’espace nécessaire àsa remise
en question. Pour rappeler que la régularisation et la construction d’un nouveau centre fermé
sont effectivement les deux cotés de la même médaille. L’Etat veut gérer et contrôler la migration
selon les besoins de l’économie : d’un coté en octroyant des permis de séjour toujours plus
courts sur la base de
contrats de travail,
d’un autre, en expulsant
ceux qui ne sont
pas « utiles  » àl’économie
et nuisent par leur
présence àla « sécurité
 ». Et déjà, des dizaines
de rassemblements, de
harcèlements, d’actions
directes, de sabotages
contre les rouages de
la machine àexpulser
(les constructeurs de
centres fermés comme
Besix et Valens, les financeurs comme la Banque de la Poste, les nettoyeurs comme ISS Cleaning ou les fournisseurs comme S.A. Délicatesse
et Sodexo), se sont succédés, auto-organisés, hors des partis politiques et des syndicats,
pour lutter contre la construction de ce nouveau centre fermé.

La mémoire est courte. Fin janvier, toute la clique politique et la police crie au loup. Parce
que les vols et les braquages se sont multipliés. Parce que des gens expriment de manière
inacceptable leur colère. Parce que des policiers ont été blessés lors d’affrontements. Et ils proclament
la tolérance zéro, c’est-à-dire un prétexte pour pouvoir faire ce qu’ils veulent, tabasser
quand ils veulent, humilier ceux qu’ils veulent, dans la rue comme dans les commissariats. Ça
fait la une des journaux et ça limite nos possibilités d’en parler par nous-mêmes. Parce que
leur « crise  » nous touche tous de plus en plus. Parce que le spectre de la pauvreté se rapproche
toujours de plus de gens, peu importe leur couleur de peau. Parce qu’il serait absurde de ne
pas aller prendre ce dont nous avons besoin.

La mémoire est courte. La tolérance zéro, les flics l’appliquaient déjàbien avant janvier 2010.
Un détenu suicidé àla prison d’Andenne, un jeune tué dans un commissariat àAnvers, un
sans-papiers assassiné avec des médicaments au centre fermé de Vottem, un braqueur tué par
des balles dans la tête, dans les rues de Molenbeek. Tous ces morts en moins d’un mois, tous
ces meurtres parce que ces gens, d’une manière ou d’une autre, résistaient àleur enfermement.
Parce qu’ils ne voulaient pas passer leur journées derrière les barreaux où même le soleil ne
pénètre plus.

La mémoire est courte. Il y a quelques semaines, une quinzaine de policiers de la zone
Midi ont été inculpés pour les tortures qu’ils ont pratiqué sur des dizaines de sans-abris, de
sans-papiers, d’ex-détenus auprès de la gare du Midi. C’est la même section de police qui a
maltraité et torturé des prisonniers àForest lors de la grève des matons en octobre 2009. Qui
se souvient encore de ça ? Apparemment, il fallait brà»ler le commissariat de la zone Midi à
Anderlecht ou encore mitrailler la façade de la prison pour rappeler les faits et riposter.

La mémoire est courte. La semaine passée, les matons de Saint-Gilles ont entamé une énième
grève pour exiger plus de barreaux, plus de sécurité. Et les prisonniers ont protesté en occupant
le préau. Qui se rappelle encore des dizaines de mutineries et de protestations dans les
taules belges ces dernières années ? Ce vent de révolte qui soufflait fort àl’intérieur des murs
gris qui respirent toujours les mauvais traitements, la désolation, la privation de liberté, l’annihilation
de l’individualité ; qui se le rappelle encore ?

Aujourd’hui, nous nous heurtons de front àcette courte mémoire. Nous voulons
prendre le temps et l’espace nécessaire pour réfléchir et agir, hors des cadences dictées
par le pouvoir et ses médias. Et cette balade, on la fait ici, àAnderlecht, dans le
quartier. Pas devant les institutions, pas devant les sièges des médias. Parce que c’est à
nous-mêmes de parler, directement, sans médiation. Parce qu’envers les institutions,
toutes les institutions, nous ne pouvons parler que le langage de l’attaque.

Source.


Tract en PDF