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Les prisons ne fonctionnent pour personne, sauf pour ceux qui en profitent

Grande-Bretagne : Lettre de la prisonnière anarchiste Emma Sheppard – Mars 2015

mercredi 8 avril 2015

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La nuit dernière, j’ai vu la lune et une étoile. C’était la première fois depuis longtemps. Ça m’a fait penser àtous mes amis, anciens et récents, et je me suis demandé ce qu’ils faisaient sous sa lueur. Je me sens si chanceuse de faire partie d’un grand réseau de personnes. Rien ne semble impossible quand nous savons que nous avons du soutien. Mais bien que ces pensées me rendent la prison supportable, je n’oublierai jamais la violence du système.

Les prisons sont presque pleines. Donc ils en construisent davantage. De Topshop àTesco, de DHL àLend Lease, et de Virgin àGeoamey [1], il y a beaucoup d’argent dans le régime carcéral. Maintenant, des ‘Community Rehabilitation Companies’ [entreprises de réinsertion, NdT] privées dirigent le service probatoire. Christopher Grayling a annoncé une autre « Â initiative de réinsertion  » pour le ministère de la justice. Les prisonniers fabriqueront des sacs de sable, des piquets de clôture, de l’équipement (des kits) pour les forces armées, dans le but « Â d’apprendre d’importantes nouvelles aptitudes  » et « Â la valeur de dures journées de travail  ».

Le terme de réinsertion n’est jamais loin dans l’enceinte de ces murs. Mais la prison a une ombre étendue : elle isole, sépare et détruit des vies. Beaucoup de choses ont été écrites récemment àpropos des femmes en prison. Même Vicky Pryce, ex-femme d’un député conservateur, a appelé au changement. Mais tandis que les femmes en prison ont certainement, pour employer le langage des matons, des « Â besoins complexes  », les appels àla réforme établis sur des principes genrés simplifient le problème àoutrance. Les prisons ne fonctionnent pour personne, sauf pour ceux qui en profitent.

Et qu’est-ce que signifie le terme même de « Â réinsertion  »Â ? Se repentir de ses crimes ? S’écraser devant des systèmes prétendument bienveillants qui nous sont proposés comme des « choix  »Â ? La réinsertion est utilisée comme une carotte après laquelle nous sommes supposés courir. Mais je ne participerai pas àune course visant àfaire des sacs de sable. Il n’y a pas de réinsertion dans un IPP, CSC ou un Seg [2]. Lorsque les gens sont engagés sans avertissement, ce n’est pas de la réinsertion.

Assata Shakur a décrit l’un de ces nombreux procès-spectacles auquel elle a été soumise. Même sans me comparer d’aucune manière àelle, je partage sincèrement son sentiment :
« Participer àun procès dans le New Jersey était dénué de principe et incorrect. En participant, je prenais part àma propre oppression. J’aurais du m’y attendre et ne pas donner de crédit àcette comédie. Au bout du compte, les personnes sont notre seul soutien. Nous sommes les seuls àpouvoir nous libérer.  »

Certaines personnes réussissent àse désintoxiquer en prison, beaucoup rechutent. Certaines abandonnent leurs relations abusives, beaucoup y retournent. Tout comme le mythe de la « Â protection  » que la police perpétue, la « Â réinsertion  » est une façade commode pour cacher une violence systémique. Les décisions que les gens prennent en prison peuvent leur bénéficier ou leur nuire. Mais n’importe quel changement positif pris par l’individu se produit en dépit de et non pas grâce aux « Â opportunités  » qu’il reçoit. Je n’oublierai jamais les barbelés et le bruit des clés dans la porte mais même si vous m’enfermez, je ne suis pas seule.

Amitiés,
Em x [Emma Sheppard].

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[Traduit de l’anglais de l’ABC Bristol par Le Chat Noir Emeutier.]


[1En France, plusieurs entreprises exploitent les détenus àleur guise : SODEXO leur sert d’intermédiaire pour leur fournir une main d’oeuvre bon marché (deux fois moins chère) : confectionner les pièces des Airbus, des équipements et réparations pour la société JCDecaux… la liste est longue. NdT

[2IPP pour ‘Imprisonment for Public Protection’ ou ‘Indeterminate sentence for Publics Protection’ : c’est une loi qui signifie que les détenus peuvent être maintenus en prison après que leur peine soit terminée pour la « protection du public » et même si cette loi a été abolie en 2012, plus de 5000 personnes sont toujours enfermés sous cette loi. Elle est destinée aux détenus (y compris pour des « délits mineurs  ») pour n’importe quel prétexte (surtout lorsqu’il s’agit d’actes de révolte contre l’enfermement et ses agents). Les personnes concernées par cette loi n’ont aucune idée du moment où elles seront libérées, et certaines pourraient être maintenues en taule le reste de leur vie.
CSC pour ‘Close Supervison Centres’ : en gros un régime d’isolement spécial pour certains détenus. Une prison dans la prison. Deux brochures au sujet des CSC sont disponibles sur le site de l’ABC Bristol (voir ici : https://bristolabc.wordpress.com/2012/04/26/close-supervision-centres-torture-units-in-the-uk-new-pamphlet-from-bristolabc-april-2012/ et là: https://bristolabc.wordpress.com/2013/08/03/close-supervision-centres-in-the-uk-2-a-brief-follow-up/)
Seg = Segregation = Solitary confinement. L’isolement.