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Notre ennemi

Par Luigi Bertoni (octobre 1915)

vendredi 2 février 2018

Le dernier Congrès international anarchiste est celui tenu àAmsterdam, en aoà»t 1907. Un nouveau congrès était convoqué àLondres pour le mois de septembre 1914, mais la guerre éclatant un mois auparavant, il fallut y renoncer.

Il nous paraît utile de reproduire aujourd’hui la motion, approuvée àAmsterdam, sans discussion, concernant l’antimilitarisme :

Les anarchistes, voulant la délivrance intégrale de l’humanité et la liberté complète des individus, sont naturellement, essentiellement, les ennemis déclarés de toute force armée entre les mains de l’Etat : armée, gendarmerie, police, magistrature.

Ils engagent leurs camarades — et en général tous les hommes aspirants àla liberté — àlutter selon les circonstances et leur tempérament, et par tous les moyens, àla révolte individuelle, au refus de service isolé ou collectif, àla désobéissance passive et active et àla grève militaire pour la destruction radicale des instruments de domination.

Ils expriment l’espoir que tous les peuples intéressés répondront àtoute déclaration de guerre par l’insurrection.

Ils déclarent penser que les anarchistes donneront l’exemple.

L’espoir a été déçu ; quelques dizaines d’anarchistes — pour autant que nous sachions — ont été condamnés pour leur désobéissance aux ordres de l’autorité ; mais l’exemple n’a pas été assez important et connu pour exercer une influence quelconque, ni même pour pouvoir caractériser notre attitude.
La décision d’Amsterdam n’en reste pas moins la seule logique, dont puisse s’inspirer, aujourd’hui comme hier, notre conduite.

L’insurrection n’ayant pas été possible, ce serait désespérer àjamais de l’humanité, que de ne pas la croire possible plus tard, d’autant plus que nous ne connaissons que trop les raisons de la soumission universelle aux ordres les plus criminels des gouvernants.

C’est le résultat de toute une longue éducation étatiste, accomplie non seulement au nom de l’ordre et de l’autorité, mais aussi au nom d’un certain socialisme, qui voulant se réaliser par la conquête du Pouvoir, ne pouvait qu’en enseigner le respect.

A part les anarchistes, personne n’a affirmé le droit — on pourrait presque dire le devoir — de ne pas se conformer aux ordres de l’Etat. Et notre attitude avait tellement bouleversé Messieurs les législateurs, qu’ils n’ont pas hésité àpromulguer un peu partout des lois d’exception contre les anarchistes, considérant des actes comme délictueux non pas en eux-mêmes, mais uniquement si accomplis par des anarchistes ou avec un but anarchique. Peu importe, d’ailleurs, si cela aboutissait àla négation du principe de l’égalité de tous devant la loi ; les scrupules n’ont jamais embarrassé les faiseurs de codes.

Tous ceux qui ont propagé le dogme que l’Etat ne saurait être en aucun cas désobéi ni la loi transgressée, ont leur part de responsabilité indéniable dans la guerre actuelle, dont tout le monde feint de s’étonner, bien qu’il en ait été largement question dans la presse, dans les livres et dans les congrès avant qu’elle n’éclate. Et comment n’aurait-elle pas éclaté puisque tous les Etats employaient àla préparer des centaines de millions ?

Certes, il est toujours particulièrement douloureux d’avouer son impuissance ; mais celle-ci ne pourra que s’accroître dans la mesure où nous oublierons nos principes. Il est àremarquer, du reste, que notre défaite est uniquement matérielle et nullement morale.

— La patrie, la nation, l’Etat triomphent ! — Très bien, mais personne ne saurait leur envier un triomphe ne représentant qu’un massacre monstrueux et des maux sans nombre frappant l’humanité toute entière, sans qu’il soit encore possible d’en prévoir un résultat quelconque, car après comme avant la guerre il n’y aura pas moins de populations sans patrie et annexées de force àd’autres nations.

La situation actuelle ne se dessine-t-elle pas chaque jour davantage comme n’ayant pas d’issue diplomatique possible, comme ne pouvant aboutir qu’àun statu quo, signe de l’impuissance des armées les plus formidables que le monde ait jamais vues, ou àquelques changements territoriaux sans importance décisive ? Et c’est le moment que d’aucuns choisissent pour s’allier sous une forme plus ou moins déguisée àun groupe d’Etats contre l’autre !

Allons ! la solution, encore et toujours, ne peut venir que des peuples contre les gouvernants, tous les gouvernants et surtout ses propres gouvernants. Le Pouvoir aurait-il cessé de représenter la défense du passé, des droits acquis, des intérêts établis de quelques privilégiés contre l’avenir, les droits et les intérêts de tous ?

Demeurons, donc, anarchistes, rien qu’anarchistes et n’envisageons d’autre union que celle visant àruiner et jamais àappuyer, sous aucun prétexte, notre ennemi, notre maitre !

[/ Luigi Bertoni.
In Le Réveil communiste-anarchiste n°421, 9 octobre 1915./]