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On mariait làdedans...

Par Guy de Maupassant (1888)

lundi 11 septembre 2017

Nous avons eu, pour venir ici, un temps délicieux, une petite brise d’ouest qui nous a amenés en six bordées. Après avoir doublé le Dramont, j’aperçus les villas de Saint-Raphaë l cachées dans les sapins, dans les petits sapins maigres que fatigue tout le long de l’année l’éternel coup de vent de Fréjus. Puis je passai entre les lions, jolis rochers rouges qui semblent garder la ville et j’entrai dans le port ensablé vers le fond, ce qui force àse tenir àcinquante mètres du quai, puis je descendis àterre.

Un grand rassemblement se tenait devant l’église. On mariait làdedans. Un prêtre autorisait en latin, avec une gravité pontificale, l’acte animal, solennel et comique qui agite si fort les hommes, les fait tant rire, tant souffrir, tant pleurer. Les familles, selon l’usage, avaient invité tous leurs parents et tous leurs amis àce service funèbre de l’innocence d’une jeune fille, àce spectacle inconvenant et pieux des conseils ecclésiastiques précédant ceux de la mère et de la bénédiction publique, donnée àce qu’on voile d’ordinaire avec tant de pudeur et de souci.

Et le pays entier, plein d’idées grivoises, mà» par cette curiosité friande et polissonne qui pousse les foules àce spectacle, était venu làpour voir la tête que feraient les deux mariés. J’entrai dans cette foule et je la regardai. Dieu, que les hommes sont laids ! Pour la centième fois au moins, je remarquais au milieu de cette fête que, de toutes les races, la race humaine est la plus affreuse.

[/[Extrait de Sur l’eau, Guy de Maupassant, 1888.]/]