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Que s’est-il passé aujourd’hui ?

lundi 24 août 2009

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« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Â »
Héraclite.

« Quoi de neuf ? La Clio ! Â »
Une publicité Renault.

Le rêve totalitaire du pouvoir est de nous faire baigner non pas deux fois, mais des milliers de fois dans le même fleuve. Les gouverneurs du temps veulent nous forcer àsurvivre derrière les murs d’un présent éternel - la mesure sociale d’un déferrement continu et collectif de la vie àl’avenir.

Que s’est-il passé aujourd’hui ? Les images des produits sur les publicités ont changé. Quelques visages différents sont apparus àla télévision et un présentateur identique àcelui d’hier a relaté les mêmes faits mais dans un ordre différent.
Un homme d’Etat a disparu dans le vide des informations, après quarante ans au gouvernement. Pendant quarante ans, ce fut d’ailleurs une entreprise difficile que de ne pas entendre par hasard son nom au moins une fois par jour - maintenant il est devenu un parfait canidé. Que s’est-il passé aujourd’hui ?

Le capital a réussi àfaire de presque toutes les activités humaines une répétition identique, jour après jour. La façon dont beaucoup rêvent de faire quelque chose de différent (la carrière, le prix inattendu, la gloire, l’amour) est aussi identique. Mais les corps, mêmes sous-alimentés et atrophiés, diffèrent les uns des autres, d’un moment àl’autre. Tout ce qui est arrivé peut même être reconstruit et réécrit ("on ne sait jamais ce que nous réserve le passé" comme le fit remarquer un ouvrier sous le régime Stalinien), mais les corps ne sont pas récupérés, pas encore.

Le pouvoir a recyclé dans tous les sens ses propres pratiques et son idéologie. La science de la greffe - qu’un euphémisme efficace appela "les frontières de la médecine" - a travaillé depuis quelques temps pour que la transplantation de parties du corps assure une survie toujours plus longue àla machine sociale qu’est le corps humain. Comme toute les propriétés du domaine de l’État, l’existence individuelle n’obéit qu’àun seul impératif : l’endurance. Pour quelqu’un qui produit (des automobiles ou des droits, de la résignation ou des fausses critiques, il importe peu), la domination est assez rapide pour remplacer un bras, un foie, un cÅ“ur. Au nom du progrès, n’importe quel organe de n’importe quel individu qui n’est plus de service peut être facilement sacrifié. D’autre part, comme un docteur favorable aux transplantations l’a dit, "si quelqu’un est cliniquement mort, pourquoi gâcher tout ce matériel ?"

Les gens dont les avis sont interchangeables, àla façon des performances exigées au boulot comme dans le "temps libre", doivent avoir les corps qu’ils méritent. Ce monde en série veut que tout soit àson image, àsa ressemblance.

Seule la religion a permission de converser du lendemain (les idéologies, comme c’est bien connu, sont toutes mortes). Le Capital cependant, parle d’aujourd’hui, parle de ce qui doit être acheté et vendu maintenant. Mais au fond ils disent la même chose. La première distance le bonheur, le deuxième apporte la misère au plus près. Pour tous les deux, l’avenir est la chose qui reste toujours statique, pour laquelle on sacrifie le jour précédent qui devient le présent. Et le jour suivant, tout recommence.

Que s’est-il passé aujourd’hui ?

« Vivre au-delàdes lois qui asservissent, au-delàdes règles étroites, même au-delàdes théories formulées pour les générations àvenir. La vie sans croire dans le paradis terrestre. Vivre pour l’heure présente au-delàdu mirage de sociétés futures. Vivre et sentir l’existence dans le plaisir féroce de la guerre sociale. C’est plus qu’un état d’esprit : c’est une façon d’être, et immédiatement. Â »
Zo D’Axa.

« Vite ! Â »
Tag de Mai 68.

La lutte contre l’oppression est simplement le minimum indispensable d’une insurrection effective. C’est maintenant que l’on joue, ni demain ni après-demain. Nos vies sont trop courtes et il n’y a jamais eu autant de rois àdécapiter.

La réalisation échouée du militantisme a produit sa contre-image misérable de partout. Il n’y a plus personne pour parler des devoirs àla Cause et des promesses de la société future. Tous sont pour le "ici et maintenant". En vente partout le militantisme dans sa version la plus fainéante : le réalisme.

À ceux qui parlent du désir de profiter de la vie sans se sentir concerné par les oppresseurs, on ne peut leur répondre que d’une façon : en observant comment ils vivent. On découvrira combien ils acceptent la façon dont les oppresseurs se soucient d’eux-mêmes sur leurs dos.

Celui qui ne cache pas les limites et les impositions par lesquelles il se voit contraint, sait qu’au-delàdes proclamations vides, on ne peut être en dehors de ces contraintes qu’àla mesure àlaquelle on s’y oppose.
Parce que nous voulons beaucoup plus, nous nous propulsons dans la lutte.
Quand il manque de force, il n’a aucun besoin d’une idéologie du plaisir de masquer sa faiblesse et sa crainte. elles existent et font aussi partie du jeu, comme l’amour et la haine, les relations déchirées au-delàde la valeur d’échange et les actes qui crachent àla gueule de l’ordre et de la passivité.

Mes idées, mon activité et mon corps ne sont pas les mêmes qu’hier, ni les mêmes que ceux des autres. Aujourd’hui quelque chose s’est passé. Chaque jour l’individu doit reconnaitre son parfum unique, et se dégager de l’impersonnalité ambiante.
Maintenant secrètement, maintenant avec le hurlement d’une tempête. Alors on pourra aussi parler de demain. il n’y a derrière l’impératif, que de l’esclavage : Faites attention àl’avenir.

Dans un temps qui est toujours le même, les dirigeants de la survie veulent imposer leurs mesures àchacun et àtout. L’immesurabilité de nos demandes est la seule vraie nécessité d’un changement beaucoup plus que nécessaire, et cela veut dire possible.

Aujourd’hui, il s’est passé quelque chose.

Massimo Passamani dans la revue italienne Canenero.
Traduit et adapté par Non Fides dans Non Fides N°IV.