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Réponse àun lecteur

Nous ne les laisserons pas enterrer l’humain

dimanche 5 avril 2009

Dans le numéro 2 de Non Fides (aoà»t 2008), un lecteur répondait àun article intitulé « Minoritaires…oui, et après ?  », paru dans le premier numéro de notre journal. Nous avons tenu àpoursuivre la discussion engagée.

La publication de cet article, ou plutôt sa rédaction, était en quelque sorte une réaction directe àl’échec d’un mouvement social dans lequel pas mal de monde avait placé des espoirs. Espoirs de radicalité, qu’une grève devienne contagieuse et mette K.O. sans distinction la canaille syndicale et la vermine patronale. Réaction de déception, sentiment de dépit, impression de déjà-vu dans le sempiternel retour àla normale. Sentiment semblable àla « déprime post-CPE  », cet étrange blues qui frappa beaucoup d’enragé-es àl’époque.

Depuis quelques temps, qui peut dire qu’il ne s’en prend pas plein la gueule ? Qui n’a pas été, parmi les populations, acculé àla lutte nécessaire, àla juste colère ? Dans le désordre : Tziganes pourchassés un peu partout en Europe, cheminots grévistes, sans-papiers proies de l’Etat- Nation, émeutiers àVilliers-Le-Bel, malades non remboursés, lycéen-nes tabassés par les services d’ordre, étudiant-es, routiers, marins- pêcheurs, chômeur-ses. La liste serait longue, elle imposerait de dresser un panorama global de l’oppression, làn’est pas le propos.

« L’anarchiste souffre de toutes les injustices qu’il perçoit dans le monde  » nous disait ce lecteur. Pour cela, il faudrait avoir des épaules en titane, pour supporter le poids de toutes les sévices que le Pouvoir inflige àl’humanité aux quatre coins de la planète.

Nous ne pouvons pas rester dans le domaine de la souffrance. L’empathie est notre point de départ, mais elle ne doit pas nous fixer, nous paralyser, ni nous empêcher de « nous occuper de nous-mêmes  ». Parallèlement, notre révolte personnelle a besoin de complices pour s’exprimer.

Ces complices existent. Lorsque nous apprenons que des pavés ont brisé des façades de banques qui collaborent àla traque aux sans-papiers (la BNP), ou de n’importe quelle banque du reste, nous savons que nous avons des complices. Lorsque des ouvriers en grève, ici et là, envoient balader leurs syndicats, nous savons que nous avons des complices. Lorsque des cellules de prisons sont réduites en cendres par les détenus, comme àVincennes, àNantes, au Mesnil-Amelot et ailleurs, cela renforce la rage et contribue àla diffuser.

De fait, les réseaux « de tout ce qui bouge, qui vit, qui aime la vie dans sa gratuité  » existent. Ils se bâtissent, parfois patiemment, parfois spontanément, dans le feu du combat, dans une communauté de désirs.

La complaisance dans le constat, l’éternelle plainte, il faut la laisser de côté. Certes, la peur et la renonciation, la fatalité sont compréhensibles dans la logique de ce système qui pose le turbin quotidien et le fermage de gueule comme seuls piliers constitutifs. Nous comprenons que « la violence rampante de la société capitaliste  », celle-làmême qui pousse au désespoir, qui fait que « des gens honnêtes, sensibles, intelligents préfèrent se suicider plutôt que de se révolter  », nous comprenons qu’elle ai suffisamment de puissance pour répandre la désolation partout où elle étend son empire, jusque dans les cÅ“urs des militants qui voudraient se donner l’image inébranlable d’êtres particulièrement courageux et solides.

Mais il s’agit d’enrayer cette spirale, làoù d’autres y collaborent, par opportunisme ou par adhésion idéologique. Il s’agit de diffuser le sabotage et la résistance làoù l’on peut le faire, làoù nous trouvons des complices.

L’urgence, nous la ressentons en vérité au quotidien, parce qu’un jour sans révolte est un jour où la spirale du désespoir prend de l’ampleur, devient plus implacable. En ce cas, nous ne pouvons pas être patient-es. La révolution peut se permettre ce « luxe  », mais ni la colère ni la révolte ne le peuvent.

Les gens qui brà»lent sincèrement d’en découdre avec la domination, ne peuvent pas se permettre de tout sacrifier pour LA révolution. Avant de parler de « rupture décisive  », de « Grand Soir  » et autres chimères vieille comme le milieu militant, il faut bien que des étincelles partent, se rejoignent, se multiplient. Et parfois, la survie même impose d’en passer par la révolte, ne serait-ce que pour tenir, trouver de la force.

Aussi, condamner une explosion de caméras de surveillance àla massue, ou un dynamitage de chantier de prison, c’est comme condamner une grève sauvage, sous prétexte que ces actions interviennent en dehors de tout processus révolutionnaire, ce qui leur ferait perdre toute « légitimité  ».

Foin de tout cela ! Si les déclassés veulent ne plus « se sentir responsables de leur mise àl’écart  », si les « victimes  » du système veulent ànouveau être possédé-es par la "capacité de contestation  », il ne peut être question de remettre la résistance pratique au lendemain. Il y a plus àperdre dans l’apathie que dans la spontanéité.

Étant donné le désastre ambiant, qui paraît àce point insensé qu’on peut se sentir incapables de mettre des mots dessus, le sens peut naître du refus en lui-même. Le refus de ce monde absurde et répugnant et de la logique qui le détermine. Le refus de continuer àbosser pour n’importe quoi, n’importe quand et àn’importe quel prix. Le refus de l’esclavage salarié, le refus de donner son ADN dès qu’un flic le réclame, le refus d’acquitter àla loi de la marchandise, de payer le métro, de considérer l’adaptation et l’intégration comme les totems de la vie moderne. Le refus de laisser des imbéciles et des haineux foutre les clandestins en taule, le refus de laisser un « Nouveau Parti  » berner tout le monde ànouveau.

Tout cela a un sens. Tous ces refus parlent, il n’est pas nécessaire de vouloir catégoriser la propagation de la révolte : « par le fait  », « par le tract  », « par le texte  », etc…

Alors que les simples manifestations, tout comme la grève, sont menacées de tomber sous le coup de l’interdit étatique, alors que le simple fait de ne pas être d’accord peut vous conduire dans l’étau de l’anti-terrorisme, les populations n’ont pas attendu des « agitateurs de la mouvance anarcho-autonome  », tout comme nous n’avons pas besoin des « masses  » (ou de la majorité, pour le dire autrement) pour être convaincus de la nécessité de lutter.

Comme le dit le lecteur : « Tout ceci peut paraître farfelu, mais en période de crise certaines idées (et les pratiques qui y correspondent) font parfois un chemin inattendu  ».

Pour ce qui est de la « question de la violence  » et de la « question insurrectionnelle  », il n’est peut-être pas très pertinent de théoriser l’une comme l’autre. La violence, celle du système capitaliste, celle de l’Etat, nous sommes bien placé-es pour la ressentir, et pour dire qu’elle existe de fait.
Si l’on considère que nous répondons àcette violence (parce qu’au fond, nous sommes pour que le monde vive en paix), que nous nous défendons contre leur entreprise de terreur, et bien il semble que les pavés sur les flics, les flammes dirigées sur les préfectures revêtent le même sens qu’un tract appelant àabolir l’exploitation de l’humain par l’humain. L’insurrection n’est pas vraiment une doctrine ; si insurrection il y a, il y aura des raisons àcela. C’est parce que, auparavant, de plus en plus de personnes auront, au-delàde la colère diffuse, intériorisé des idées et des pratiques anti-autoritaires. Cela sera une expression, une conséquence, mais qui ne nuira pas, du moins je ne pense pas, ni àla cohérence, ni àla radicalité de ces idées et pratiques.

Extrait de Non Fides N°III.