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Stuart Christie (1946-2020), militant anarchiste, écrivain et éditeur
dimanche 30 août 2020
Stuart Christie, fondateur de la Croix Noire anarchiste et de Cienfuegos Press, coauteur du livre Les coulisses de l’anarchie, est mort paisiblement après une bataille contre le cancer du poumon.
Né à Glasgow et élevé à Blantyre, Christie attribuait à sa grand-mère le mérite d’avoir façonné sa perspective politique, en lui donnant un sens moral et un code d’éthique clairs. Sa détermination à suivre sa conscience l’a conduit à l’anarchisme : « Sans liberté, il n’y aurait pas d’égalité, et sans égalité, il n’y aurait pas de liberté, et sans lutte, il n’y aurait ni l’une ni l’autre.  » Cela l’amena d’abord à mener campagne contre les armes nucléaires puis à rejoindre la lutte contre le dictateur fasciste espagnol Francisco Franco (1892-1975).
Il s’installa à Londres et entra en contact avec l’organisation anarchiste clandestine espagnole Defensa Interior. Il fut arrêté à Madrid en 1964, transportant des explosifs destinés à être utilisés dans une tentative d’attentat contre Franco. Pour dissimuler le fait qu’il y avait un informateur au sein du groupe, la police affirma qu’elle avait des agents opérant en Grande-Bretagne et (faussement) que Christie avait attiré l’attention sur lui en portant un kilt.
La menace du garrot et sa condamnation à une peine de vingt ans de prison attirèrent l’attention de la communauté internationale sur la résistance au franquisme. En prison, Christie noua des amitiés durables avec des militants anarchistes de sa génération et celles d’avant. Il revint d’Espagne en 1967, plus âgé et plus sage, mais tout aussi déterminé à poursuivre la lutte et à utiliser sa notoriété pour aider les camarades laissés derrière lui.
À Londres, il rencontra Brenda Earl, qui deviendra sa compagne, dans la politique comme dans la vie. Il rencontra également Albert Meltzer, et tous deux vont refonder la Croix Noire anarchiste pour promouvoir la solidarité avec les prisonniers anarchistes en Espagne et la résistance en général. Son livre Les coulisses de l’anarchie promeut un anarchisme révolutionnaire en rupture avec les attitudes de certains qui avaient rejoint l’anarchisme après le mouvement pour la paix des années 1960. Lors du congrès de l’Internationale des fédérations anarchistes de Carrare, en 1968, Christie prit contact avec une nouvelle génération de militants qui partageaient ses idées et son approche de l’action.
L’engagement politique de Christie et ses relations internationales firent de lui une cible de la British Special Branch. Il fut blanchi de l’accusation de conspiration en vue de provoquer des explosions lors du procès « Stoke Newington Eight  » en 1972, affirmant que le jury pouvait comprendre pourquoi quelqu’un voulait faire sauter Franco et pourquoi cela ferait de lui une cible pour les « policiers à l’esprit conservateur  ».
Libre mais apparemment sans emploi, Christie lança Cienfuegos Press, qui allait produire une multitude de livres anarchistes, et l’encyclopédie Cienfuegos Press Anarchist Review. Orkney devint rapidement un centre d’édition anarchiste avant que le manque d’argent ne mette fin au projet. Christie continuera néanmoins de publier et de chercher de nouveaux moyens de le faire, notamment des livres électroniques et par l’Internet. Son site christiebooks.com contient de nombreux films sur l’anarchisme et des biographies d’anarchistes. Il utilisa Facebook pour créer des archives de l’histoire anarchiste qui n’étaient disponibles nulle part ailleurs, tout en racontant des souvenirs et des événements de sa propre vie et de celle des autres.
Christie a écrit The Investigator’s Handbook (1983), partageant les compétences qu’il avait mises en pratique dans sa dénonciation du terroriste fasciste italien Stefano delle Chiaie (1984). En 1996, il publia la première version de son étude historique Nous les anarchistes : une étude de la Fédération anarchiste ibérique (FAI), 1927-1937.
L’impression de petits tirages lui permit de produire trois volumes illustrés de l’histoire de sa vie (Ma grand-mère m’a transformé en anarchiste, le général Franco m’a transformé en « terroriste  » et Edward Heath m’a mis en fureur – 2002-2004) qui ont été condensés en un seul volume, Comment grand-mère a fait de moi un anarchiste : le général Franco, la Brigade de la colère et moi (2004). Ses derniers livres ont été les trois volumes de Pistoleros ! Les chroniques de Farquhar McHarg, les récits d’un anarchiste de Glasgow qui rejoint les groupes de défense anarchistes espagnols dans les années 1918-1924.
Engagé dans l’anarchisme et l’édition, Christie est apparu dans de nombreux salons du livre et festivals de cinéma, mais a dédaigné toute allusion selon laquelle il serait venu pour « emmener  » qui que ce soit où que ce soit.
La compagne de Christie, Brenda, est décédée en juin 2019. Elle s’est éclipsée paisiblement en écoutant Pennies From Heaven (la chanson préférée de Brenda) en compagnie de sa fille Branwen.
Stuart Christie, 10 juillet 1946-15 aoà »t 2020.
[/ John Patten
Traduit de l’espagnol par Floréal Melgar.
Source : « Ser histórico  »./]
Un témoignage de son ami Octavio Alberola
Stuart Christie, le compagnon, l’ami. La nouvelle du décès de Stuart Christie m’a été communiquée par téléphone, avant-hier après-midi, par le compagnon René qui m’a demandé si j’étais au courant de cette autre mauvaise nouvelle, ce qui m’a amené à lui répondre brusquement : qui est mort ? Car, au ton de sa voix, j’ai tout de suite senti que ce devait être la mort d’un proche.
Sa réponse m’a laissé stupéfait ; car, malgré le fait que Stuart m’ait confirmé une semaine plus tôt qu’il était toujours aphone à cause du cancer et que les résultats des tests médicaux n’étaient pas très encourageants, à aucun moment je n’ai pensé à une fin aussi rapide pour lui. Autour de moi, il y a plusieurs compagnons – plus ou moins de mon âge – qui ne sont plus en très bonne santé, et la chose « normale  », pour quelqu’un de mon âge (bientôt quatre-vingt-treize ans), est de penser que c’est son propre temps qui est compté…
Alors, dans le cas de Stuart, comment penser à cela alors qu’il avait dix-huit ans de moins que moi ? En outre, nous avions tous deux des projets communs et étions déterminés à continuer de participer aux combats contre le monde du pouvoir et de l’exploitation.
Pour moi, sa mort n’est donc pas seulement la perte d’un compagnon, d’un ami, c’est la fin d’une collaboration de plusieurs années dans des actions et des initiatives communes pour dénoncer les injustices du monde dans lequel nous vivons et pour lutter pour un autre monde plus juste et plus libre. Un monde possible et pour tous, que nous n’avons cessé de désirer et d’essayer de construire par la pratique conséquente d’une solidarité révolutionnaire et internationaliste active.
De nombreuses années de relation fraternelle, depuis notre première rencontre, en ce mois d’aoà »t 1964, jusqu’à celle de 2020. Plus d’un demi-siècle de nos vies liées, d’une manière ou d’une autre, à une cause commune malgré les frontières… Car, bien que centrée sur les avatars politiques et sociaux du peuple espagnol, d’abord sous la dictature de Franco, puis sous cette fausse démocratie issue de la Transition/Transaction, cette lutte s’est toujours inscrite dans une perspective révolutionnaire internationaliste.
La preuve, en ce qui le concerne, ses expériences de prison en Espagne et en Angleterre, et pour Brenda, sa compagne, en Allemagne, et pour Ariane et moi en Belgique et en France. Expériences qui témoignent de ces luttes sans frontières, conscients que la condition de la liberté est qu’elle soit pour toutes et tous.
Comment, alors, ne pas ressentir le besoin de se souvenir de lui en ces moments où cette fraternisation avec Stuart se termine avec sa mort. Et aussi avec le décès, il y a quelques jours, de la camarade allemande Doris Ensinger, compagne de Luis Andrés Edo, avec qui Stuart a partagé aussi des expériences de prison et de fraternisation dans les luttes ; car il est évident que la disparition de Doris a également signifié pour moi, d’une certaine manière, le point final de ma fraternisation dans les luttes avec Luis. Une fin commencée quelques années auparavant avec sa mort.
Le fait est qu’avec Doris j’ai également été stupéfait, surpris par la nouvelle de sa mort que Manel m’a communiquée ; car cela faisait à peine une semaine qu’elle nous avait envoyé, à Tomás et à moi, un courrier pour nous annoncer qu’elle avait été soudainement appelée à l’hôpital et qu’elle avait subi une transplantation… Qu’elle était déjà revenue chez elle et se sentait bien…
Je me vois donc une fois de plus confronté à la temporalité de notre existence et à la nécessité de préserver la mémoire de ce que nous avons essayé d’être et de faire jusqu’à la mort.
[/Perpignan, le 17 aoà »t 2020.
Octavio Alberola.
Traduit de l’espagnol par Floréal Melgar./]