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Uruguay : La liberté jusqu’àl’excès...

lundi 4 novembre 2013

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Le 14 aoà»t 2013, des émeutes éclatent lors d’une manifestation àMontevideo en Uruguay. Se déroulant chaque année, cette manifestation avait lieu pour commémorer la mort de l’étudiant Liber Arce, assassiné par la police en 1968. Sont attaqués des symboles de l’État, du capital et de la religion (des distributeurs de billets, des banques, des bâtiments du gouvernement, des églises, des magasins de luxe, des restaurants …). Après la manifestation, deux anarchistes sont arrêtés par des flics qui étaient infiltrés dans le cortège. Les compagnons ont été inculpés mais relâchés.

Le 24 aoà»t, sur le chemin vers une autre manifestation de commémoration (àl’hôpital El Filtro, où il y a eu un mort en 1994 lors d’affrontements entre des flics et des manifestants qui essayaient d’empêcher que de présumés membres de l’ETA soient expulsés vers l’Espagne), 12 anarchistes sont arrêtés par les services secrets de renseignement, le département des opérations spéciales et Interpol. Les compagnons sont emmenés au commissariat où ils sont photographiés et interrogés sur la manifestation du 14 et leur participation àdes groupes anarchistes. Tout cela est accompagné de coups, d’insultes, de menaces de torture et de viol. Un compagnon est menacé avec une arme. Personne n’a été conduit devant le juge et le même soir, tout le monde est relâché sans accusation.

Le 29 aoà»t, une compagnonne qui réside en Uruguay doit se rendre au service d’immigration. Là, elle est arrêtée par la police sur ordre des services de renseignement. Le lendemain, une autre anarchiste est poussée dans une voiture de police et conduite au commissariat. Les deux compagnonnes sont interrogées àpropos de leur participation au mouvement anarchiste. Elles sont toutes les deux relâchées sans accusation le 30 aoà»t.

Entre temps, plusieurs textes sont sortis autour de ces coups répressifs. En beaucoup d’endroits àMontevideo, des tracts ont été distribués et une manifestation a été prévue. A Buenos Aires (Argentine), la compagnie de ferry qui navigue àMontevideo et l’ambassade d’Uruguay ont reçu des visites nocturnes de solidaires.

Voici une traduction du texte qui est apparu dans un journal d’agitation local (El Refractario) et sur le blog du journal Anarquía.

La liberté jusqu’àl’excès...

« Que nos paroles aillent de pair avec ce que nous faisons, et que les autres apprennent àle prendre en compte... »

Si c’est la banque qui me tient endetté, moi et ma famille, si elle garde l’argent qu’elle rend nécessaire pour vivre et ensuite le retire de ceux qui en ont le plus besoin, pourquoi est-ce que je devrais la respecter, pourquoi est-ce que je ne devrais pas l’attaquer ? Une vitrine vaut-elle plus que de montrer la nocivité de l’argent ?

Si c’est l’église qui vit du mensonge, si elle est responsable d’avoir maintenu pendant des siècles et aujourd’hui encore, des milliers de personnes sous la soumission de son autorité et d’avoir imposé une morale ajustée aux intérêts des puissants, pourquoi est-ce que je ne crierais pas contre elle, pourquoi est-ce que je ne briserais pas ses vitres ? Des vitres valent-elles plus que la liberté des gens ?

Si ce sont ces murs partout, ces bâtiments de l’État, ces commissariats, ces bureaux qui vendent les plus débiles des illusions, qui nous bombardent avec des offres, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas répondre, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas les repeindre, dire comment ils nous trompent, nous emmerdent, nous emprisonnent ? Pourquoi, au final, est-ce que je n’attaquerais pas, en réponse àce qui m’attaque, pourquoi est-ce que je ne me défendrais pas ?

Le même système qui oblige certain.e.s àmanger dans les poubelles, alors que d’autres ont plus que ce qu’ils pourraient consommer sur plusieurs générations, et qui accule la nature, n’est pas un être métaphysique ; ce n’est pas un fantasme qui ne serait qu’une image et dénué de corps. Le système, l’État a ses gardes, ses défenseurs, ses lèche-cul, ses voitures, ses armes, ses bâtiments, etc. Quand nous nous faisons entendre, quand nous parlons vraiment, c’est au moment où nous agissons. La pensée est fondamentale, les mots nous permettent d’imaginer et de projeter notre liberté, mais leur limite est notable si on les compare àdes actes. Aucun politicien ne pourra empêcher l’acte libre, la rébellion en chair. Ils peuvent essayer de récupérer les actions pour leurs rangs, jouer aux démocrates indignés, aux savants qui savent comment transformer la société, et même dire qu’ils ont la recette pour faire une “révolution†(leur euphémisme pour un coup d’État) etc., etc. Mais au final, ce sont toujours les actes qui dépassent les discours des manipulateurs et des dupés. C’est la morsure qui fait le chien méchant et pas ses aboiements.

Une des critiques habituelles, souvent exprimée de manière haineuse, mais parfois aussi venant d’une position sincère, est celle qui essaye de s’interroger autour de ce qui est productif, de ce que les actions produisent et génèrent. Qu’est-ce qu’elles changent, qu’est-ce qu’elles apportent avec une petite fracture, ou avec une banque repeinte ? Personne qui ne soit pas idiot ne pense qu’une institution financière ou policière taguée est un acte révolutionnaire. Mais cette broutille, cet “infime†, cet acte de rébellion isolé et simple est loin d’être rien. Ces petits gestes, détails en fait, presque insignifiants si on les compare avec ce que mérite un monde qui maintient la majorité de sa population dans la misère et qui nous arrache le temps et l’espace tous les jours, ouvrent toujours la possibilité d’un commencement. Plus encore, ils valent plus que ça, ils valent quelque chose en soi. Personne ne peut nous arracher d’avoir fait quelque chose, certes petit, isolé, fou... mais vrai. Qu’est-ce qu’ils ont àdire sur cela tous ces beaux parleurs de grands discours ?

Toute grande transformation commence toujours avec de petits, minuscules, presque imperceptibles gestes. Un sourire simplement complice d’un manifestant qui voit comment une institution qui l’attaque n’est pas respectée, peut se convertir en futur geste d’un complice, d’un compagnon. Beaucoup des manifestants qui étaient présents le 14 aoà»t savent qu’une action vaut plus que mille mots. Qu’il est nécessaire de se rendre compte, àl’heure de se souvenir de ceux qui sont tombés, que faire une fête ou donner des discours politiques est une insulte àleur mémoire, àla mémoire de toutes et de tous. Pour la transformation sociale, pour la recherche de la liberté la plus étendue, l’action est nécessaire. La révolte n’est pas et ne prétend pas être la révolution sociale, mais c’est elle qui ouvre des chemins.

Ce qui est clair...

En ce qui nous concerne, nous sommes pour la révolution sociale, pour la transformation la plus libertaire possible de nos vies, pour l’expansion de nos rêves les plus audacieux, pour le plus grand développement personnel et collectif. La fin des uns qui vivent des autres, la réussite d’un monde plus en équilibre avec la nature et beaucoup plus libre, est un chemin qui commence aujourd’hui. Cette recherche signifie la destruction de l’État (physiquement et non verbalement), de ses institutions et finalement de tout pouvoir. Parce que nous ne connaissons pas de frontières politiques ou nationalistes, nous sommes des frères de tous celles et ceux qui luttent n’importe où contre l’oppression et qui ne veulent opprimer personne àleur tour. Nous sommes des frères de celles et ceux qui se sont battus au Brésil ces mois passés, de ceux qui n’acceptent aucune dictature, ni religieuse ni laïque en Égypte, et de celles et ceux qui combattent pour défendre la terre au Chili ou en Bolivie. Quoiqu’il n’y ait pas de modèle unique pour la contestation et que chacun.e doive trouver son propre chemin, un même esprit parcourt la planète, c’est l’esprit de la révolte.

Le 14 aoà»t, l’action directe est mise en pratique, certain.e.s peignent des banques, des institutions financières, des églises et même une voiture de luxe, mais nous devons être conscient.e.s que l’action directe est aussi beaucoup plus. L’action directe signifie faire sans médiateurs, faire en autonomie, en auto-organisation avec d’autres. Faire sans faux dialogues, cherchant le dialogue réel, celui qui se fait entre égaux et pas avec les autorités. Faire pour transformer, faire pour chercher la liberté, la liberté jusqu’àl’excès...

PS : Nous ne prétendons pas parler pour les autres, nous ne pouvons pas dire ce que pensent, ce que ressentent toutes les personnes qui ont participé àla manifestation et qui ont poussé les choses plus loin que de chanter et d’agir comme leurs “dirigeants†ou leurs partis l’exigeaient. Mais nous pensons que c’est bien de clarifier que nos manières d’agir sont loin de la pensée d’aller àune manifestation et d’obliger l’autre àfaire ce qu’il ne veut pas faire, qu’il doive subir les flics qui tirent ou se faire arrêter par exemple. Ceux qui ont manifesté ce jour-là, celles qui ont réellement revendiqué les luttes du passé et du présent, cherchaient àrester dignes et àexprimer leur rage. Ils ne cherchaient pas àce que les autres aient às’adapter àune façon de lutter. Il n’y a pas d’« infiltrés », comme le répète la presse, la police et les dirigeants politiques, les uniques infiltrés ont été les patoteros [1] qui voulaient empêcher les protestations, les flics qui ont attaqué la manifestation pour protéger les institutions de l’État et les dirigeants syndicaux qui monnaient les conflits àtravers leurs négociations. Nous pensons que la liberté est contagieuse, dans les méthodes de décision et d’action directe loin des partis et autres organisations étatiques. La liberté ne peut pas s’imposer, elle exige de rompre les chaînes.

Des anarchistes.

[Traduit de l’espagnol par Contrainfo.]


[1patotero : celui qui agit toujours en bande, se réfère ici àceux qui se lient aux groupes parastataux ou pro-gouvernement.