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A propos de la « conscientisation  » et de son racket

Base pour une lutte anti-politique

lundi 28 mars 2016

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« Toi, oui toi, ta naissance fait de toi le sujet le plus propice àrévolutionner. Tu as toutes les cartes en main (c’est àdire aucune) pour réaliser tes potentialités révolutionnaires. Il y a juste une chose, tu ne le sais pas encore.  »

Dans le monde chimérique et restreint du militant politique, Les êtres devenus « sujets révolutionnaires » errent dans les limbes de l’inconscience jusqu’àce que l’un d’eux, tel l’ange Gabriel, vienne les en soustraire par voie de conscientisation. La révélation, Le tract miracle, le choix des bons mots, la tactique infaillible, la théorie révolutionnaire scientifiquement prouvable sont autant de stratagèmes au service de l’envoà»tement des masses ; car àce niveau làde déshumanisation, on peut bien parler de « masses », ou encore de « peuples », de « races » ou de classes, ou de n’importe quelle autre catégorie socio-politique assujettissant l’individu àce qu’il n’a pas choisi d’être ou àla pression d’un groupe social.

L’exploitation n’est pas uniquement un fait mathématique tangible en toute occasion, elle ne peut devenir insupportable qu’àcelui qui la ressent et qui souhaite s’en libérer. Mais dés lors qu’elle est supportable et souhaitée, peut-on parler avec justesse d’exploitation ? C’est une question que nous souhaitons poser, car nous ne prétendons pas avoir plié la question, par exemple àl’aide d’une pirouette théorique sortie d’un siècle poussiéreux. Par contre il ne fait aucun doute qu’en terme de complicité, des liens ne peuvent aucunement s’établir avec un exploité satisfait de sa situation, avec qui une ambiguïté autoritaire s’insinuerait forcement dans les rapports. Forcer une personne àêtre libre, selon une schématisation de la liberté qui n’est pas la sienne, voici le pire des fourvoiements ; le meilleur cul-de-sac imaginable et possible pour une bonne intention, dont l’enfer est d’ailleurs pavé. Avec de telles conceptions, chaque militant est un guide suprême àsa petite échelle, rendant des comptes àun plus vaste superviseur, lui aussi bien intentionné, comme le curé àson évêque, l’évêque àson cardinal, les divers degrés de conscience étant l’engrais d’une nouvelle hiérarchie. Dans le petit jeu de la politique, tout le monde est dominé, et tout le monde domine -sauf le dernier maillon de la chaîne : LE sujet révolutionnaire progressivement conscientisé, encore une fois baisé par de belles illusions.

La conscientisation est une excuse tombée du ciel pour pratiquer la démagogie et le populisme sans complexer pour autant. De ci de làfleurissent des discours simplistes, réduit au minimum (syndical) pour pouvoir être contenus dans de vulgaires slogans kitch, accrocheurs et folkloriques. C’est que le sujet révolutionnaire erre encore dans le dernier cercle, le degré de conscience le plus médiocre. C’est pourquoi le militant se doit d’être lisible jusqu’àparfois s’abaisser au niveau de livres pour enfants. Mais après tout quelle différence entre un enfant de 6 ans, un labrador et un sujet révolutionnaire ? Tous remuent la queue lorsqu’on leur fait des promesses ou qu’on leur parle de lendemains qui chantent.

Qui, de ceux qui se sont déjàengagés dans des collectifs de soutien aux sans-papiers n’a t il jamais entendu de remarques frustrantes du genre « Je te rappelle que ce tract est censé être diffusé dans un quartier populaire  » pour justifier son néant ou la faiblesse de son argumentation ? Qui dans des luttes de travailleurs n’a jamais entendu de remarques du type « On ne peut pas encore dire ça, vous allez trop vite » ? Alors, il ne s’offre plus au militant que la possibilité d’une pensée slogan. Des slogans comme « police partout justice nulle part » ou « de l’argent il y en a, dans les caisses du patronat » sont typiques du nihilisme militant. Comme si pour se débarrasser du capitalisme il fallait prendre l’argent aux riches pour devenir riches nous même ou pour le redistribuer plutôt que d’abolir totalement les relations économiques et monétaires.

Le militantisme est l’art de faire passer ses idées de mains en mains jusqu’àce qu’elles disparaissent, car derrière cette volonté de clarifier leur pensée, les militants finissent par approfondir la confusion. Déjàlargement malmenée, la sincérité du militant se retrouve littéralement dans les égouts àessayer de concurrencer les émissions télévisuelles de divertissement en se mettant àleur niveau, constat fait de leur succès parmi les classes populaires. Dans cette course àl’échalote de la popularité nécessaire du militant, quelle peut être la limite si l’on considère que la révolution ne peut dépendre que de cons décérébrés réduits àl’état de pions àplacer sur une grande carte stratégique de la révolution ? La tactique sert alors de façon plus ou moins décomplexée àmanipuler la chair àcanon électorale ou révolutionnaire ; et nous sommes tous du gibier àmilitant. Après nous avoir refourgué son thé, son repas gratuit, il nous inflige son idéologie dans la plus pure tradition du racket politique.

Prolétaire, exploité, indésirable, retourne ton arme contre ceux qui font de toi un sujet politique, ceux qui t’analysent et te transforment en sujet d’étude perpétuelle, les maquereaux qui se donnent pour rôle de te dompter sur la vraie voie révolutionnaire.

Jacques Heurie.

[Extrait de Non Fides N°IV, juillet 2009.]