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Bolivie : Interview du compagnon Henry + note et actualisation de Solidaridad Negra

mercredi 7 mai 2014

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Plus d’informations àpropos d’Henry et de la répression en Bolivie ici.

Au moment de donner l’information qu’une audience prévue aujourd’hui a été de nouveau suspendue pour des raisons absurdes, nous souhaitons partager une interview réalisée par mail avec le compagnon Henry.

En tant que Solidaridad Negra, nous trouvons important de commencer àparler de l’affaire au delàde la répression, c’est-à-dire plus précisément àparler sans la peur de la répression ou des possibles séquelles de cette dernière. C’est pour cela que nous avons décidé de réaliser cette interview puisque le temps est passé et que cela manque de se débarrasser de beaucoup de réactions initiales pour commencer àlancer des nouveaux débats et positions avec plus d’expérience. Nous pensons qu’il est donc nécessaire de diffuser tous ces processus de réflexion et d’expérience anarchiste.

Depuis la tranchée de la contre-information, il est important pour nous de remercier tous les sites et espaces de diffusion d’idées. Le soutien qu’ils ont représenté pour le projet de Solidaridad Negra pendant tout ce temps a été déterminant pour le développement de convictions et d’affinités. La force et l’affection qu’ils ont envoyées au compagnon Henry se sont aussi ressenties de façon constante.

Nous pensons que pendant ce temps nous avons su répondre non seulement àce soutien mais aussi au compagnon avec qui nous sommes solidaires et àtoutes les personnes qui ont cherché àexprimer leur solidarité àtravers ce blog. Nous avons toujours fait très attention àla confidentialité des personnes qui ont écrit sur notre page car l’anonymat des sources est quelque chose de fondamental pour une communication sà»re ; en même temps, nous avons cherché àconnaître les personnes qui ont communiqué avec nous, en leur répondant et en établissant des liens d’affinité malgré le fait d’être un média « Â virtuel  ».

Nous pensons aussi que cela a été un espace qui a contribué d’une certaine façon àla réflexion anticarcérale sur ces terres, réflexion qui était fortement négligée.

De même, et par la teneur de mails et de contacts, nous trouvons important et nécessaire de générer plus d’espaces de diffusion des idées sur le territoire contrôlé par l’État bolivien. Espérons que de nouveaux projets de contre-information voient le jour.

À presque deux ans de la répression, nous réitérons notre engagement pour la solidarité anarchiste que nous pensons être une importante qualité combative.

Solidaridad Negra


Interview du compagnon Henry

Salut compa ! À presque deux ans d’une répression qui a sà»rement reconfiguré ta vie, quelle est ta situation en ce moment ?

Salut compas de SN, c’est un plaisir de pouvoir faire cette interview. Ma vie a beaucoup changé, je suis sorti de prison pour la prison àla maison, et maintenant je peux sortir dans cette grande prison sociale, où l’on perçoit clairement la soumission et la passivité de la société. Ma situation actuelle se poursuit en tant qu’« Â accusé  » dans ce grossier montage maquillé par le pouvoir àtravers ses organes répressifs. On append tous les jours, c’est vrai, j’ai beaucoup appris de la solidarité des compagnon-ne-s qui ont montré que les distances et les frontières ne sont pas des obstacles. Il y a eu beaucoup de confusion, des gens qui ont balancé et ont ensuite essayé de laver leur image avec des justifications absurdes, des « Â intellectuels  » qui ont fait des appels ouverts àla délation. Ce chapitre nous montre la réalité dans laquelle la lutte se trouve, ce scénario a mis en évidence que quand il n’y a pas de convictions ou que l’on mène la lutte seulement comme une affinité musicale, culturelle et esthétique, la répression est plus forte. Tout ce montage a été alimenté par les déclarations de gens qui ont le toupet de se dire anarchistes, leurs déclarations m’ont mis dans une situation complexe profitant ainsi aux délires du pouvoir.

Quelles ont été les principales difficultés pour toi pendant tout ce temps ?

Dans la prison de San Pedro, une des limites a été de ne pas pouvoir avoir un lieu assez commode où me reposer et dormir, je devais vivre dans une cellule (logement) de 7x4 m partagée avec 60 autres prisonniers, nous dormions deux par deux sur un matelas de paille ; l’entassement fait que nous tombons malades, je suis resté longtemps avec une bronchite que je ne pouvais pas guérir, il n’y avait pas d’aération, la nourriture fermentait rapidement, nous étions envahis par les rats et les cafards, et nous n’avions qu’une seule plaque de cuisson pour cuisiner pour les 60. Au début l’alimentation a été un peu difficile, àne pas pouvoir compter sur sa propre plaque pour cuisiner, parce que je ne mangeais pas la nourriture de la prison parce qu’elle contenait des tranquillisants et il n’y a aucune alternative vegan. Petit àpetit je me suis habitué àutiliser la plaque électrique du logement àdes horaires où personne ne l’utilisait, et ainsi j’ai pu contrer cette difficulté. Une chose importante est que les solidaires m’amenaient àmanger presque tous les jours pendant que je m’installais. Les deux derniers mois où j’étais enfermé, j’ai loué une cellule où j’ai enfin pu dormir àl’aise, je devais la louer àun autre prisonnier, parce que l’État ne te fournit ni matelas, ni couverture, et encore moins une cellule. Les douches, les toilettes, le matériel de nettoyage et l’infrastructure sont àla charge des prisonniers. Et au milieu de tout ça il n’y a pas de conscience collective de devoir détruire la société carcérale, le régime pénitentiaire offre plus de « Â commodités et de privilèges  » àl’intérieur des prisons afin qu’il n’y ait pas de « Â révolté-e-s  », mais malgré tout cela il y a eu des mutineries et des révoltes. Une autre chose très commune est qu’il y a beaucoup de drogue et d’alcool àSan Pedro, également dans le but de maintenir la « Â tranquillité  » de la population pénale. Le niveau de vie dépend du facteur économique, plus on est pauvre plus le châtiment est dur, cela met ànu la société bourgeoise telle qu’elle est.

Lors de certaines visites ils ont restreint l’entrée pour venir me voir, montrant une attitude xénophobe de la part des matons profitant de l’occasion d’avoir du « Â pouvoir  » sur les autres, même certains prisonniers serviles ont tenu le rôle d’agents de surveillance pour suive tout ce qui se passait.

Pendant mon arrestation domiciliaire totale, j’ai été trop isolé ; j’ai pu surmonter toutes ces difficultés grâce au soutien de ma famille, mes ami-e-s et mes compagnon-ne-s.

Actuellement, une des difficultés est qu’ils continuent de suspendre les audiences, pendant toute la période on m’en a supprimé une trentaine, cela est très typique de l’(in)justice bolivienne. L’affaire a déjàdépassé les délais, la période d’investigation s’est terminée en novembre 2012 mais elle est gelée, preuve évidente du ralentissement de la justice, d’une forme d’étalement de la peine jusqu’àl’impossible. J’ai essayé d’affronter toutes ces difficultés avec dignité, àla hauteur de ma conviction et de mon discours.

Quelle est la différence entre la solidarité locale et celle internationale ? À quoi crois-tu que sont dues ces différences ?

La solidarité locale a été très limitée, la famille, avocat-e-s et ami-e-s m’ont suffisamment aidé, les compagnon-ne-s qui sont resté-e-s fermes malgré les limitations sont rares, ils m’ont aidé de façon très intense, en me faisant parvenir des livres, des lettres, de la nourriture etc. Le reste de l’éventail « Â libertaire  » avec ces compagnon-ne-s ont agi de manière parapolicière, parce qu’ils ne soutiennent pas les prisonniers qu’ils défendent. L’international a d’autres caractéristiques, car àtravers les blogs, revues, radios et journaux, le soutien a été énorme. De manière générale les compagnon-ne-s d’ici et d’ailleurs ont fait beaucoup pour m’accompagner dans ce procès. Quelque chose d’important est que le blog Solidaridad Negra s’est tenue au courant de l’affaire, en actualisant et en informant, je remercie son énorme soutien.

Comment vois-tu la scène anarchiste en Bolivie en ce moment àpresque deux ans de la répression ?

Je peux constater qu’il existe des petits groupes de gens àstructure hiérarchique ou paraétatique, comme l’OARS et des skinheads ; d’autres prétendus révolutionnaires de bureau qui demandent àgrands cris àce qu’on les reconnaisse comme « Â anarchistes intellectuels  » avec leurs laquais suiveurs, ce dernier groupe va plus avec l’aspect « Â culturel  ». Tous ces petits groupes ont normalisé la délation et cherchent toujours àêtre « Â reconnus  » par la société, au delàde faire une critique de la société de classes et carcérale.

Au niveau punitif, y a-t-il beaucoup de risques pour toi et les autres inculpé-e-s ?

Je ne compte pas sur cette justice coloniale et bourgeoise, ils peuvent toujours utiliser le pouvoir en leur faveur par les moyens du montage et des infiltré-e-s, si je me retrouve dans une situation d’arrestation domiciliaire modifiée cela ne signifie pas que les choses sont plus douces, ce qui a amené àcette modification de ma situation est le ralentissement de ce procès par une protection institutionnelle, mais je ne désire pas parler en termes d’avocaillon, je sais seulement que quand on lutte avec conviction la répression est prête pour persécuter toute personne qui lutte, dans un lieu où nous avons vécu plus de 500 ans d’oppression la société continue d’avoir soif de vivre la vie civilisée et individualiste consumériste, beaucoup de nos ancêtres ont donné leur vie avec honneur, et ceux qui un jour vivront dans leur chair la persécution, la prison, l’isolement et la torture sont ceux qui font la réplique exacte de la répression. Peut-être que la torture a changé de méthode, aujourd’hui elle est plus psychologique que physique, mais au final le résultat est le même, donc le risque est toujours latent tant qu’existe l’Etat-Capital, s’assumer dans la guerre sociale est un motif pour être toujours préparé pour ce qui arrive.

Y a-t-il d’autres compagnon-ne-s sujets àune nouvelle chasse aux anarchistes ?

Oui, il y a une compagnonne en fuite, la persécution a été de deux côtés : le premier, par l’appareil répressif du Pouvoir et le deuxième par la « Â police libertaire  », àl’intérieur du second groupe l’infamie a été telle qu’ils/elles ont même fait l’apologie et des appels àla délation àtravers les moyens électroniques.

Si l’on peut tout attendre de cet État démocratique populaire, avec la même intensité que l’on peut attendre tout acte répressif de la part de tout gouvernement dictatorial, il est clair que l’Etat de gauche ou de droite agit pour protéger les intérêts du Capital.

Quelle est la situation des collectifs et personnes avec lesquelles tu étais en relation avant le 29 mai (2012) ?

Ma relation avec les collectifs est nulle, et presque nulle avec les gens avec qui j’étais en relation avant, non pas parce qu’ils ne me soutiennent pas, mais bien parce qu’ils ont montré de quel côté de la barrière ils sont.

Quels sont tes projets futurs ?

Diffuser les idées et les pratiques conte l’autorité, contre la domination et contre le spécisme où que ce soit.

[Traduit de l’espagnol par nos soins de Solidaridad Negra.]