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Brèves notes sur « Valognes et après  »

samedi 3 mars 2012

Le texte « Valognes et après  », malgré des tentatives louables de prendre de la distance envers l’appel du même nom, n’en tourne pas moins autour du pot. En effet, tout est présenté comme si, dans le cadre de la préparation du blocage du train de poubelles nucléaires issues de l’usine de la Hague, les divergences, qui ne sont pas minces aux dires même de l’auteur, avaient été laissées en suspend, volontairement et d’un commun accord, et leur discussion remise en plus tard, aux lendemains de l’action. Cela au nom de « l’accord minimal de se défaire du citoyennisme et de sa passion pour l’Etat  », qui aurait déjàété acquis et sanctionné par « L’appel de Valognes  ».

Or, il n’en est rien. Lorsque des divergences ont commencé àapparaître dans des réunions, y compris dans l’Ouest, elles ont été souvent écartées au nom de l’urgence dans l’action, par les personnes qui étaient les principaux rédacteurs de « L’appel de Valognes  ». La critique affichée de « la passion citoyenne de l’Etat  », question essentielle, était d’ailleurs bien peu partagée puisque, pour bon nombre de gens impliqués dans l’affaire, y compris les rédacteurs, elle consistait surtout àstigmatiser le pouvoir central, en laissant dans l’ombre le rôle des pouvoirs locaux subalternes, àcommencer par les mairies des zones rurales concernées par le nucléaire. Mais les rédacteurs voulaient faire passer en force leur propre position, dans la plus pure tradition des partis léninistes. Ils comptaient élargir leur audience en direction des populations de l’Ouest, quelque peu sensibles aux dangers du nucléaire, du moins en termes de transhumance des poubelles nucléaires et de construction de lignes de distribution de l’énergie électronucléaire en provenance de la centrale de Flamanville, située en Normandie, mais qui, en règle générale, comptent sur leurs maires pour retarder les échéances. La question soulevée n’était donc pas d’opposer la « pureté  » présumée totalisatrice des révolutionnaires à« l’impureté  » d’actions partielles, y compris celles portées par les premiers concernés dans l’Ouest. Et, par suite, de les exclure du champ de l’activité souhaitée, voire de les stigmatiser, position attribuée aujourd’hui par les adeptes de « L’appel  » àleurs adversaires, car ils ne veulent pas que l’on touche àleurs propres conceptions. Mais de déterminer dans quel sens agir, dans quel sens infléchir des actions entamées, etc., sans, bien entendu, exagérer la capacité d’intervention de poignées de révolutionnaires.

Or, le sens donné par les promoteurs de « L’appel de Valognes  » aux actions déjàengagées ou préconisées dans le proche avenir est clair. Il est régressif par rapport au stade de critique déjàatteint par les oppositions radicales au nucléaire, au cours des décennies précédentes. La position frontiste desdits promoteurs, au sens où l’entendaient les partisans du Komintern d’antan, àl’époque de l’antifascisme, consiste, derrière des gesticulations àla mode appelliste, destinées àmobiliser les poignées de radicaux potentiels, locaux ou venus d’ailleurs, àracoler large en direction des associations écologistes et des mairies de même obédience. Quitte àfaire l’impasse, de façon opportuniste, sur toutes les questions essentielles de l’heure en présupposant que l’action, effectuée sur des bases minimalistes, va créer le terrain favorable pour d’ultérieures discussions, rencontres, actions, etc. Dans la pure tradition du Komintern, la réalisation de la prétendue unité d’action passe aussi par la recherche d’alliances avec des notabilités et des associations, susceptibles de couvrir l’action, de lui offrir la façade respectable bien que contestataire nécessaire, et de proposer quelque prétendu sanctuaire àpartir duquel les activistes puissent courir les bois et se replier, dans la tradition fantasmée de la résistance armée antifasciste en France. A la façon de nationalistes staliniens comme Georges Guingouin, dont on fait, àTarnac et ailleurs, l’apologie. Récemment, en Normandie, les aficionados de « L’appel de Valognes  » sont donc partis àla recherche de leur José Bové du bocage. Jean-Claude Bossard, maire du Chefresne, situé sur le tracé de la future ligne THT, promoteur du capitalisme écologique de proximité sur la commune et agacé par l’attitude du parti écologiste concernant la construction de la ligne qui va passer au-dessus des champs des villageois du coin, est manifestement en tête de liste de leur OPA.

Par suite, « L’appel de Valognes  », les déclarations et les propositions qui lui succèdent ne reflètent pas des positions convergentes, susceptibles d’évoluer de façon dynamique, autour desquelles des individus réellement hostiles au nucléaire, comme partie intégrante du capitalisme et de l’Etat, auraient pu se retrouver. Elles sont elles-mêmes pétries d’idéologie citoyenniste et recycle en masse des poncifs écologistes, voire populistes, qui sont en grande partie compatibles avec l’écologisme institutionnel même lorsque des associations sont, àla base, quelque peu distantes envers le sommet de leur propre parti. C’est la moindre des choses vu qu’Eva Joly, l’échéance de la présidentielle approchant et la nécessité d’accords passés avec les socialistes àleurs conditions devenant impérative, fait passer àla trappe le problème du nucléaire. Par exemple, l’article paru dans la tribune de « Libération  » du 21 novembre 2011, nommé « Panique chez les nucléocrates  », signé de Valognes Stop Castor, révèle le degré d’opportunisme envers l’écologisme atteint par des gens qui osent encore, parfois, dans des cercles d’initiés, parler d’insurrection. Au-delàdes rodomontades façon appellisme et des tics de langage, lointaine réminiscence de la tiqqunerie, du genre : « Pour commencer, il nous faut bloquer ce train, afin d’éprouver notre puissance d’agir collective et ouvrir d’autres voies que l’apocalypse promise, pour les siècles des siècles  » et du ton triomphaliste relatif àla « terreur  » qu’inspirerait l’idée du blocage àl’Etat, le discours, lui, est platement écologiste àla mode des lobbies tels que ceux du réseau « Sortir du nucléaire  ». Voir, entres autres perles, les propos sur le rôle de la France qui, seule, s’en tiendrait àl’électronucléaire « vestige du XXe siècle  » ! Ce qui est faux lorsque l’on tient compte de l’ensemble des projets nationaux et transnationaux, civils et militaires, qui existent déjààl’échelle mondiale. Sans compter ceux qui sont en chantier, àcommencer par ITER, de plus grande ampleur encore.

L’auteur du texte « Valognes et après  » passe donc àcôté de la plaque, en faisant l’impasse sur les questions de contenu et en critiquant les aficionados de « l’Appel de Valognes  » essentiellement au niveau des formes d’action. Ce qui montre que lui-même n’est pas si clair que cela en matière de critique de l’écologisme, y compris celui de proximité dont « L’appel de Valognes  » fait l’apologie. De plus, il n’a pas vu que les modes d’associations horizontaux qu’il préconise et qui, d’après lui, ont été réalisées àValognes, sont parfaitement compatibles, en eux-mêmes, avec les modes d’organisation verticaux, depuis que la domination, sous nos latitudes, a repris àson compte bien des critiques partielles qui lui avaient été faites, concernant la rigide hiérarchie dont elle faisait montre autrefois. La page est tournée. Nous vivons àl’époque où l’organisation en parti traditionnel est en perte de vitesse et où elle est doublée, et sera peut-être dans l’avenir supplantée, par l’organisation en réseau, plus moderne et bien plus conforme àl’évolution du capital et de l’Etat. Par suite, la hiérarchie, pour être devenue plus invisible et plus fluide, n’en est pas moins dangereuse.

Les promoteurs de « L’appel de Valognes  », combinant àla fois àla tradition du parti léniniste et le modernisme des réseaux associatifs, évoluent donc sans vergogne dans le monde de la double pensée, du double langage et du double niveau d’organisation, qui font des ravages dans les milieux de la militance, même la plus hostile, àpremière vue, àl’autoritarisme et au partitisme le plus éculé. Manifestement, l’auteur de « Valognes et après  », malgré les réticences qu’ils lui inspirent, continue àles considérer comme des personnes avec qui il était possible de faire du chemin ensemble. Avec qui il reste encore possible d’en faire, àcondition d’aborder enfin, àla loyale, les questions qui fâchent. C’est vraiment faire preuve de grande naïveté, voire de cécité, renforcée sans doute par la proximité des protagonistes dans l’Ouest, que d’imaginer pouvoir discuter avec des individus qui agissent comme de vulgaires politiciens en herbe et dont le pouvoir sur l’entourage repose justement sur l’exclusion des discussions, dès qu’elles touchent àl’essentiel, et la stigmatisation des personnes qui portent atteinte, àtord ou àraison, àla cohésion présumée du groupe de conspirateurs àla petite semaine. De misérables jeux de pouvoir, pour en être locaux, n’en restent pas moins misérables. Il est donc nécessaire de les traiter comme tels.

André Dréan,
Février 2012