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Du quadrillage numérique en Lozère

« société de demain  », « abolition de la distance  », « l’épine dorsale optique  », « flux d’avenir  »...

mercredi 8 juillet 2009

Les Nouvelles Technologies de l’Information
et de la Communication (NTIC) jouent un rôle
primordial dans le développement de « la société de
demain  ». Le déploiement de l’Internet àhaut et très
haut débit (ADSL, Wifi, Wimax et fibre optique)
s’opère en étroite collaboration entre États et entreprises,
qui voient d’un très bon oeil la multiplication
des réseaux de télécommunication, et des outils
logistiques l’accompagnant.

Avec la civilisation àgrande vitesse, on assiste au
« ré-étalonnage  » de la distance. La « distance virtuelle
 »
, calculée en Kilo-bits-seconde, sépare désormais
les pilotes du développement des arriérés du
Progrès. L’« abolition de la distance  » permet la concentration,
en zone ultra-spécialisée, des connaissances
et de la production ; la proximité est calculée
au poids des transferts de données faisant fi des rapports
directs. Les nouveaux systèmes d’échanges
numériques, monopolisés et taxés, offrent de
nouvelles opportunités au capital. Les rapports
d’exploitation, invariants de l’organisation sociale,
profitent de l’hypocrisie du virtuel. Les avancées en
matière de communication isolent toujours plus les
individus derrière leurs ordinateurs personnels, créant
de toutes pièces des personnalités d’ordinateur.
Connecté, localisé, identifié, tracé, spécialisé, telles
sont les qualités du citoyen branché.

« Omniprésence des réseaux, publicité invasive,
intégration et usages des technologies dans les services
territoriaux, frontière entre espaces public et
privé, conséquences sociologiques, pollutions – y
compris radioélectriques, technologies invisibles,
surveillance, gestion des populations (...). Les élus
et les techniciens des territoires doivent s’emparer
rapidement des problématiques posées par
l’apparition de ces technologies afin d’en maîtriser
au mieux les impacts .  »

Délégation interministérielle àl’aménagement
et àla compétitivité des territoires - Novembre 2008 -
Aménagement numérique et développement durable
des territoires, propositions d’actions.

La Lozère, dernier département au classement
du déploiement d’Internet, a affirmé dès 2005 son
intérêt pour les NTIC. Au nombre des fanatiques
du développement techno-économique, Jean-Paul
Pourquier, président du conseil général de la Lozère
(également président du syndicat mixte A75 et président
du syndicat mixte d’étude et de promotion
de l’axe Toulouse-Lyon N88), maître d’oeuvre du
chantier fibre optique, et Pierre Morel-à-l’Huissier
(député de la Lozère), auteur du rapport sur le télétravail
et le travail mobile (2005), déplorent la « fracture
numérique  »
.

Car voilà, le déploiement d’Internet en Lozère
n’intéresse pas grand monde. Pour les opérateurs,
les perspectives de profits sont trop faibles pour
investir. En 2006, 86% de la population lozèrienne
est couverte par le moyen et le haut débit.
Mais 80% des Lozèriens ayant accès àl’ADSL ne
s’abonnent pas. On comprend le risque commercial
des projets « fibre optique  » (Très haut débit)...
Sans compter la piètre rentabilité des technologies
« alternatives  » (Wimax, 3G), qui ne rencontrent
pas le succès escompté ( peu de clients, technologie
peu performante, amortissement des installations
sur 10 ans, ...). Qu’àcela ne tienne, c’est du
côté de l’État (financements européens, nationaux,
régionaux, départementaux, communaux) qu’on va
investir dans les infrastructures de couverture du
territoire [1], qu’on donnera en gestion aux opérateurs
privés, chargés de réaliser leurs bénéfices.

En 2008, le numérique répand ses tentacules par
l’installation de 343 km de fibre optique le long de
l’A75, qui constituent « l’épine dorsale optique  », centre
névralgique des « flux d’avenir  ». Aussi, l’extension
de la couverture du territoire, la densification du
« maillage  », est, depuis 2006, la priorité départementale.
Plus de 10 000 km de fibre optique ont été
installés sur le territoire lozèrien, ainsi que des centaines
d’antennes relais (Wifi, Télévision numérique
terrestre : TNT, nouvelles générations d’antennes 3G
pour la téléphonie, etc.). La note s’élève pour l’instant
àquelques dizaines de million d’euros.

Par sa pénétration en profondeur, les décideurs
entendent rentabiliser le territoire. Les entreprises
et offices de tourisme, souhaitant accentuer leur
présence sur le territoire, mettent en place une
stratégie conjointe basée sur le développement
d’Internet. De même, le Comité bassin d’emploi
(CBE), en collaboration avec les entrepreneurs de
Lozère, entend mettre en place un fichier croisé
des « ressources humaines  », pour une exploitation
optimale de la main-d’oeuvre du département. La
présence d’Internet est censée attirer une population
nouvelle, télé-contrôlée par GPS pour des ballades
en période estivale, télé-aliénée toute l’année
grâce au travail àdomicile, nourrie par livraison
e-commerce, et télé-soignée àdistance. L’objectif
annoncé par Sarkozy lors de sa visite en Lozère en
2006 est de porter la population à100 000 habitants
en 2013. On aménage donc le territoire pour
faciliter le télé-travail. Le travail àdomicile permet l’activité économique jusque dans les
régions les moins rentables (relief, etc.).
En réalité, il permet aux urbains fortunés
un « retour àla terre  ». Les riches,
les seuls ayant accès àla terre et au logement
(objets de spéculation), pourront,
dans un îlot qui leur est réservé, éloigné
des foules, les « manager  ». Le télétravail,
quant àlui, est concentré dans des
télécentres urbains (comme àMende,
au sein du Pôle Lozèrien d’économie
numérique : POLEN), au plus proche de
la main-d’oeuvre àexploiter. Les nouvelles
technologie de l’information, pour leur
part, assurent une surveillance efficace
jusque dans le fin fond des vallées. De
nombreuses entreprises et États investissent
dans ce domaine, et des maniaques
inventent les nouveaux outils de contrôle
(drônes, sondes, pisteurs, etc.). POLEN a
d’ailleurs pour projet pilote le programme
« Sécurité 2010 en Massif Central  ». Pour
assurer un contrôle toujours plus total
des individus, le quadrillage numérique
du territoire s’avère être l’idéal.

« L’exemple de l’apparition des objets
communicants est assez éloquent. Ces
objets peuvent porter de l’information
mais aussi la recueillir (où ils se trouvent,
quel est leur état, celui de leur environnement)
pour les partager avec ce qui les
entoure (autres objets, réseaux). L’espace
est donc en passe d’être “augmenté†de
couches d’informations. Les prospectivistes
estiment que notre environnement
sera envahi de ces technologies d’ici
une décennie : plus de 1 000 milliards
de senseurs reliant monde “physiqueâ€
et “numérique†seront en circulation.
Objets communicants, poussières intelligentes
et technologies “invisibles†,
vidéo-surveillance et logiciels de reconnaissance
des visages ou des mouvements
inhabituels, murs de téléprésence
et technologies permettant de “sentir†sa
famille àdistance, objet qui bloggent,
recours aux robots pour relever le défi
du vieillissement au Japon... Toutes ces
technologies existent et seront utilisées
massivement àmoyen terme.  »

Délégation interministérielle
àl’aménagement et àla compétitivité des
territoires - Novembre 2008 - Aménagement
numérique et développement durable
des territoires, propositions d’actions.

L’imprégnation du territoire par les
NTIC ne dépend pas seulement de
l’ardeur des fantasmes d’un Morel ou
d’un Pourquier, mais aussi de l’audience
dont elles bénéficient dans les populations.
C’est en comptant sur notre participation,
et en profitant de la fascination
qu’elles suscitent, qu’elles prennent leur
place dans notre quotidien. La structuration
du territoire àl’ère numérique
s’accompagne d’une multiplication
d’injonctions àutiliser Internet. Internet,
c’est plus facile ! C’est on ne peut plus
vrai quand on n’a plus le choix, quand
les différents centres administratifs entre
lesquels on nous trimbale (MSA, impôts,
etc.) sont centralisés au niveau régional,
et « remplacés  » localement par des accès
web. ANPE et ASSEDIC mettent Internet
au service de tous, laissant le faux choix
de pointer tous les mois dans des agences
bondées, ou en payant par téléphone,
ou sagement par Internet. Indispensable
même !, répondrait le Conseil général
de la Lozère, en choeur avec la Chambre
de commerce et d’industrie (CCI), arrosant
de subventions les entrepreneurs
aux projets de e-commerce, e-tourisme,
e-ferme... Des plaquettes d’information
Haut débit sont distribuées dans toutes
les mairies. On installe Internet dans
les écoles et collèges, pour rendre indispensable
les nouvelles technologies dès le
plus jeune âge. Et on crée dans toutes les
communes de Lozère des accès àInternet,
« Cyber-base  » subventionnées, et à
0,50€/h, pour démocratiser le processus.
La Lozère nouvelle, quant àelle, témoigne
chaque semaine son admiration pour
le e-dieu ; créant dès 2005 une rubrique
« Haut débit  » qui donne la parole aux
entrepreneurs et autres fanatiques (association
de promotion d’Internet, citoyens
passionnés etc...).

Alors que quelques-uns fabulent sur la
puissance libératrice des sciences et de la
technique, et de leurs dernières innovations,
ne nous laissons pas aveugler par
les flashs des « nouveautés  ». Les nouvelles
technologies àgrande vitesse sont
des produits conformes au monde qui
les engendre. Qu’elles soient, comme le
calculent les associations de consommateurs,
cancérigènes, polluantes, moches
sur les cartes postales, ou encore implantées
plus ou moins àproximité des écoles,
ne change pas grand-chose au fond.
Dernières-nées de la logique ancestrale
« plus et plus vite  » de la société capitaliste,
et dans l’euphorie collective, elles
nous revendent des désirs stérilisés de liberté,
conçus comme une course effrénée à
l’accumulation. Elles n’en sont pourtant
que l’énième génération, clone aux tares
fidèles et immuables. La modification des
conditions matérielles, aussi high-tech
soient-elles, n’apportera aucun changement
qualitatif ànos vies. L’amélioration
de nos conditions d’existence, individuelles
et collectives, ne peut naître d’une
société basée sur l’exploitation, aveuglée
par le pouvoir, et inféodée au Progrès
(technique, scientifique, civilisation, etc.).

Extrait du Bulletin de Contre-Info en Cévennes N°8, téléchargeable dans la fanzinotheque.


Une brève chronologie d’événements récents

Californie, 10 avril 2009 : deux opérations coordonnées
de sabotage ont privé une partie de la Silicon
Valley d’Internet et de téléphone dans la nuit
de jeudi àvendredi. Quatre câbles en fibre optique
du réseau AT&T auraient été volontairement sectionnés
près de San Jose, ainsi qu’un câble Sprint,
puis un autre d’AT&T dans la région de San Carlos.
AT&T propose une forte prime (100 000 dollars)
pour trouver le saboteur.

Cameroun, 1er avril 2009 : un câble de fibre
optique a été sectionné, àl’intérieur même de la salle
technique où elle venait d’être installée, dans la station
régionale CRTV àDouala.

Algérie, juillet 2008 : vol de deux stations
d’antenne-relais àAnnaba. En 2006, Algérie
Telecom faisait état de pas moins de 41 vols et de
destruction du réseau de Chlef, ayant occasionné
des dégâts de l’ordre de 1,3 milliards de centimes.

Japon, mai 2008 : les corneilles construisent leurs
nids grâce àde la fibre optique qu’elles découpent.
Ce ne sont pas moins de 1 400 coupures qui ont
été dénombrées àcause de ce volatile. Les autorités
sont impuissantes face àcet oiseau qui mesure
près d’un mètre d’envergure et possède un bec
énorme et des griffes acérées. On lui impute également
des coupures de courants et courts-circuits.
Depuis 2001, des patrouilles spécialisées ont déjà
tué 93 000 oiseaux mais il en reste encore 150 000
àéradiquer.

Madagascar, juillet 2007 : en l’espace de deux
mois, le réseau Est de Telma (« premier opérateur
fixe-mobile-internet  ») a été saboté huit fois. La
direction fait savoir que la société va mener des
actions de sensibilisation pour responsabiliser la
population.

Bastia, juin 2007 : les câbles de fibre optique ont
été cisaillées àla pince coupante àhauteur des
boîtiers de commande sur deux sites distincts,
àPigno, près de Bastia, et àSisco, dans le Cap
Corse, privant 4 à5 000 foyers de ligne téléphonique.
Une partie du personnel de l’entreprise
dans l’île est en grève depuis onze jours pour protester
contre une réorganisation salariale.

Mali : en septembre 2002, un quidam a grimpé
sur un pylône de plus de 200 m de hauteur pour
arracher un coffret de l’interconnexion du réseau
fibre optique reliant le Mali au Sénégal. Le réseau
fibre optique qui relie Bamako àSikasso et qui se
prolonge vers la frontière avec le Burkina Faso a
aussi été touché par un acte malfaisant le 1er octobre
2005. Le même réseau a été endommagé dans
la nuit du 23 janvier 2006. La chambre de liaison
téléphonique de Koulouba (le palais présidentiel)
a été, pour la énième fois, sabotée dans la nuit de
jeudi 14 àvendredi 15 juin 2007.


[12004 : loi autorisant les
collectivités locales à
investir dans les NTIC.
Dès lors, de nombreuses
collectivités investissent
 : Sarthe 38 M€,
Maine-et-Loire 30 M€,
Pyrénées-Atlantique 40
M€, Moselle 83M€.

Janvier 2006 : création
du comité de pilotage
haut débit en Lozère,
présidé par J.P. Pourquier.
Novembre 2006 :
Vers un territoire 100%
numérique, DIACT.

11 juillet 2006 : plan
couverture en Haut
Débit des zones rurales
par le Comité interministériel
pour la société
de l’information, CISI.
Mai 2008 : inauguration
de la fibre optique
sur l’A75.

Octobre 2008 : France
numérique 2012. Plan
de développement de
l’économie numérique,
Eric Besson.