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Grèce : Pensées du compagnon Andreas-Dimitris Bourzoukos depuis la prison de Korydallos

vendredi 31 janvier 2014

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Andreas-Dimitris Bourzoukos est l’un des compagnons accusés du double braquage de Velvendo/Kozani, plus d’infos sur cette affaire ici.

« Tant de lumière était encore nécessaire avant que le jour ne se lève mais je n’ai jamais accepté la défaite  »

12h25 La dernière fois que j’ai regardé ma montre. Derrière nous une voiture de patrouille, dans le van mes deux compagnons, l’« Â otage  » et moi. Nos émotions étaient complètement différentes àpeine quelques heures plus tôt. Pendant peu de temps et en apparence, tout allait bien, jusqu’àce qu’ils arrêtent notre compagnon dans « Â l’ambulance  ». La situation nous fît alors perdre espoir, mais nous gardâmes malgré tout nos esprits clairs, autant que ce fà»t possible alors, et ainsi nous réussîmes àassurer la fuite de nos compagnons.

Mais revenons àl’image de départ : nous trois dans le van avec l’« Â otage  » et une rencontre « Â accidentelle  » (elle n’était pas seulement accidentelle puisque l’alarme retentissait dans tous les villages environnants) avec une voiture de patrouille. Le compte àrebours de nos dernières minutes de liberté avait déjàcommencé. Ce qui a été dit dans le van ces minutes-làest d’une moindre importance pour notre histoire, ce qui compte est notre décision finale. Nous n’allions pas tirer ni mettre la vie du docteur en danger. C’était le seul choix que nous avons pu faire àce moment-là. Finalement la seule arme que nous avions dans ces conditions était notre passion pour la liberté. Nous l’avons utilisée du mieux que nous le pouvions. Après une course-poursuite dans les rues de Veria, presque comme dans un film, nous nous sommes finalement fait bloquer dans une ruelle par une voiture de patrouille qui se trouvait làpar hasard. Je ne sais pas s’il est utile de répéter ànouveau le reste de l’histoire.

La seule chose que je ressens le besoin de clarifier, vu que cela a pris de grandes proportions, est la partie qui concerne les tortures. Je sais que pour une grande partie de la société l’image d’un homme tabassé peut engendrer la peur, la compassion ou le doute. Mais pas pour nous compagnons. Je peux de plus dire que l’État a intentionnellement permis que nos photos soient rendues publiques, avec pour but de terroriser ceux qui pensent agir de la même manière que nous. Il se peut aussi que cela fut une « Â erreur  » hâtive due àl’automatisme qui caractérise désormais n’importe quelle opération de l’antiterrorisme. En tout cas, je ne veux pas me concentrer sur cela maintenant. Je veux brièvement exprimer mon opinion sur ces heures de tabassage.

Depuis le début et pas un seul moment je ne me suis vu comme une victime et bien sà»r je ne veux pas me considérer comme tel. Pendant ces quatre heures de tabassage incessant, l’une des choses auxquelles je pensais était les scénarios possibles de « Â fin  » de ces lâches ordures. Ni peur ni douleur, juste de la rage. Au-delàde la souffrance que crée la vérité, tu agrippes ta volonté par les cheveux et tu la mets àgenoux. Tout ce temps où les coups s’ensuivaient, toutes ces années où j’ai choisi de me tenir face àce système pourri se confirmaient en moi. Tous mes choix et toutes mes idées se concrétisèrent. Peut-être qu’enfin juste une minute les mains déliées aurait suffi. Peut-être que finalement ces moments de torture étaient le cachet du système corrompu.

Mais parlons d’argent maintenant. Cet argent qui coule àflots (encore dans ces temps difficiles que nous traversons) dans les succursales bancaires, le fisc et dans chaque type d’investissement boursier (comme Cosco). Le sang du capitalisme.

Mon refus de devenir un rouage bien huilé de plus dans ce système est l’une des raisons parmi d’autres qui m’ont conduit au braquage de banque (que je définis personnellement comme « Â expropriation  »). J’entends par làque je n’ai jamais eu envie d’être un « Â passant  » de plus sur cette terre, avec un travail « Â normal  », une vie « Â normale  ». Cela ne m’a pas pris longtemps dans ma vie pour comprendre que le travail a pour seule visée l’instrumentalisation de l’humain et a toujours pour but le profit de chaque « Â capital  ». Une accumulation continue de capital dans les mains de toujours moins de monde, quelque chose qui n’a pas tardé àmontrer ses effets secondaires. C’est quelque part par ici que je mets sur la table mes questions. Est-ce-que ce sont des incidents isolés d’abus et de corruption qui ont mené le système àla crise, ou cette même crise fait-elle partie intégrante d’un plan bien conçu pour un profit encore plus grand ? Le « Â crash  » du système bancaire était-il dà» àla « Â bulle  » des emprunts ou bien était-ce un subterfuge capitaliste pour une accumulation, une capitalisation dans de plus grandes proportions ?

Nous faisons bien sà»r face àune crise entièrement nouvelle de la réalité capitaliste et elle était bien sà»r précédée par le « Â crash  » du système bancaire. Mais dans ce cas précis nous parlons de l’envers du décor de cette même fausse monnaie.

Le capitalisme ne pourrait exister sans le système bancaire. Il lui manquerait un des moyens de base de l’accumulation du capital. Le capitalisme n’existerait pas. Comme dans la chute éventuelle du système bancaire, l’État a été appelé pour remplir les caisses des banques et ainsi, plus tard, devant la chute imminente du système étatique, les banques ont été appelées àétayer les investissements pour que s’ensuive une nouvelle capitalisation des banques. Un cercle vicieux avec pour seul but que le capitalisme moribond ne rende pas l’âme.

En regardant la brève histoire de la Grèce dans l’Union Européenne, on pourrait traduire sa chute économique seulement comme un projet pensé àl’avance. Autant pour la Grèce que pour les autres pays européens qui ont été frappés par la crise. En entrant dans la zone euro avec la « Â logistique créative  » (appelée Logistique Grecque) de Simitis [Premier Ministre de 1996 à2004], présentant l’économie de la Grèce comme assez forte et en constante évolution, tout comme les autres États de l’UE, une période faste commença. Chaque petit-bourgeois pouvait espérer le paradis capitaliste lors de cette période. Jusqu’àce que la « Â bulle  » du capitalisme ne commence às’esquisser comme système, avec le crash de 2008 et le début de la dégringolade. La « Â logistique créative  » a une nouvelle fois suivi, cette fois avec G. Papandréou [Premier Ministre de 2009 à2010], et avec pour but « Â l’entrée  » de la Grèce dans le mécanisme du soutien financier (FMI-BCE). Pour en arriver aujourd’hui au le bradage définitif de la vie humaine et l’annihilation substantielle de la dignité humaine. Chose qui est bien sà»r liée aux investissements bon marché et àla chance de mettre àsac la nature, comme cela est amené àse produire dans d’autres endroits aujourd’hui.

Les vécus et la pression insupportable qu’endure la société suffisent àdévoiler nettement la sale face du capitalisme. Je reconnais mon action comme une expropriation. Les véritables voleurs sont pour moi ceux qui dirigent les banques et le mécanisme étatique.

La conséquence naturelle de la crise systémique est la répression. Répression ciblée mais aussi généralisée avec pour but de terroriser et d’affaiblir la société toute entière. Le milieu large anarchiste/subversif constitue un fer de lance et presque une cible constante. Un milieu qui a de nombreuses fois agi comme détonateur ou catalyseur, déclenchant des révoltes et des résistances incarnant la colère et la rage qui grandit dans diverses strates de la société.

Le paradoxe de la politique répressive de l’État est qu’elle cible désormais d’autres parties de la société qui résistent, les décrivant avec une abondante facilité comme illégaux et terroristes ayant pour seul but la destruction. La contre-attaque spasmodique de l’État aux Skouries en constitue un exemple caractéristique. L’incendie volontaire spectaculaire et complet du chantier de la mine d’or [voir ici] fut désigné de façon sommaire comme une attaque terroriste. C’est un geste avec lequel je suis d’accord et qui me place aux côtés des personnes qui l’ont fait. Le seul dialogue qui peut exister avec une entreprise multinationale qui veut détruire et saccager la nature pour le profit est l’attaque implacable. Je reconnais le courage des personnes qui sont passées àl’action directe, prenant en main leurs vies. Ils ont occasionné une blessure critique autant àl’entreprise "El Dorado" qu’àl’État. C’est aussi la raison pour laquelle quelques jours plus tard le village de Skouries fut envahi par les forces répressives et que s’ensuivirent raids et perquisitions dans des maisons d’habitants du village, une scène rappelant la guerre civile et qui montra le totalitarisme qui caractérise l’État, transformant le village en une zone de guerre [1].

Ils n’ont bien sà»r pas oublié de parler de l’implication de « Â terroristes anarchistes  » dans cette action. Dès le début les médias se sont empressés de déterminer les « Â terroristes  » meneurs de l’attaque.

Les tactiques des médias sont connues et invariables : dénoncer, terroriser et calomnier, bien sà»r toujours suivant les pistes et les instructions de chaque vecteur, que ce soit la sécurité d’État, l’antiterrorisme ou directement la ligne gouvernementale. Les authentiques « Â travailleurs  » de l’oppression et de la soumission creusent des tombes – assez profondes pour que tous puissent entrer dedans – pour qu’ainsi le bras répressif et la mafia judiciaire enterrent chaque personne qui résiste.

C’est par ici que débute aussi le délire (propagande du genre de Goebbels) des médias, tout de suite après nos arrestations. L’information idéale pour le bulletin de terreur et les scénarios de fiction antiterroriste. Je ne pouvais pas ne pas reconnaître la ligne politique claire qu’ont suivi les médias, assurant notre participation certaine dans d’autres actions au-delàdu braquage, avec l’emphase et le sentimentalisme indispensables. L’État grec tente de réprimer chaque forme de résistance suivant une tactique similaire àcelle utilisée au milieu des années ’90 en Italie pour frapper le milieu anarchiste (opération ORAI [2]).

Je ne pouvais pas ne pas prévoir ce qui allait suivre les jours suivant mon arrestation. Un quelconque juge d’instruction spécial, en charge des affaires « Â terroristes  » (peut-être s’appelle-t-il Mokkas ?), me ferait comparaître de temps en temps sans la moindre preuve et, sans aucune raison particulière (en-dehors des conjectures de l’antiterrorisme), me désignerait membre d’une quelconque organisation. La confirmation de mes prévisions n’a naturellement pas tardé àvenir.

Finalement, le juge d’instruction spécial (du nom de Mokkas) m’a convoqué et m’a inclus dans la Conspiration des Cellules de Feu. Je reconnais bien sà»r l’action de la CCF et de ses membres comme révolutionnaire, mais cela ne m’empêche pas de déclarer que je n’ai aucun lien avec l’organisation. Je n’en ai jamais été membre et des différences de base nous séparent, autant sur le plan des perspectives que dans la perception générale de la société entière. C’est un moyen facile pour l’État d’augmenter les accusations et de rallonger les années de prison en m’incluant dans la CCF.

Mais, pour moi, c’est un amalgame flagrant, un regroupement qui abolit automatiquement n’importe quelle attitude politique caractérisant chaque combattant.

« Le prix de l’autodétermination n’est jamais bon marché, dans certains cas il est incroyablement élevé.  »

Bien sà»r, le chemin vers la révolution et l’anarchie ne pourrait être couvert de pétales de roses, de même qu’il ne saurait être le seul et l’unique, indépendamment de la situation actuelle. Nos moyens sont connus et ils doivent constamment évoluer, la gamme de choix dans notre armurerie est assez large. Je pense que chaque révolutionnaire doit avoir la perspicacité et le calme pour choisir les « Â armes  » les plus appropriées en accord avec les conditions correspondantes. Le chemin de la résistance présente de nombreux aspects et il est sà»r qu’une lutte polymorphe est nécessaire. Que ce soit une affiche pour un rassemblement lors d’une grève, une occupation d’un quelconque bâtiment étatique, un incendie contre une banque, une attaque àla bombe contre un mécanisme de l’État ou encore le pillage de l’argent étatique, le but est toujours le même. D’une part, un coup contre les structures et fonctionnements du capitalisme, d’autre part, la diffusion des moyens, des pratiques et des conceptions de lutte, pour l’anarchie, pour la liberté.

Je me trouve dans cette société très variée, luttant toujours pour moi, pour mes compagnons, pour la destruction définitive du système et le renversement total de l’existant. Sans vouloir dire que j’arrête d’exercer une critique destinée àtous ceux qui, de par leur tolérance et leur indifférence, maintiennent et reproduisent un système pourri et oppressif.

« Â Cette révolution doit être violente, même si la violence n’est pas juste en elle-même. Il serait absurde de penser que les privilégiés reconnaîtront la souffrance et l’injustice causées par leurs privilèges et qu’ils décideront de les abandonner d’eux-mêmes.  »
(Errico Malatesta et la violence révolutionnaire, Alfredo M. Bonanno, 2003)

La violence prend sa source en nous et elle est la seule réponse digne face àla paupérisation et la misère qu’a engendrées ce système.

La radicalisation de la société est un fait illusoire de notre temps. La question d’importance historique qui se pose est : dans quelle direction tend cette polarisation ? Un exemple tangible de celle-ci est le pourcentage d’Aube Dorée qui a particulièrement augmenté aux élections et les phénomènes assez récurrents d’attaques racistes dans le centre d’Athènes. C’est, bien entendu, une prise de position superficielle « Â extrême  » vu qu’elle manque de conscience. Avec le profil d’un soi-disant parti anti-système, Aube Dorée a réussi àconcentrer un pourcentage de rage d’une partie de la société.

Naturellement, je ne suis pas un supporter de la « Â théorie des extrêmes  » et je ne considère pas non plus qu’Aube Dorée soit anti-système. Il est très clair pour moi qu’il fait partie de ce système et qu’il est en même temps son arme. C’est aussi la raison pour laquelle ce phénomène ne doit pas retenir plus d’attention qu’il ne le mérite.

Organisons-nous pour mettre en avant une lutte polymorphe et constante. Détruisons le travail dans ses fondations comme une relation oppressive de plus, expropriant consciemment la richesse capitaliste avec pour but l’exacerbation et le soutien de la lutte. Passons àl’attaque sur tous les fronts contre le système capitaliste en suivant la voie de l’action directe. Avec une communication constante et une fermentation continuelle au sein du milieu anarchiste/subversif, mais aussi dans des parties plus larges de la société, nous pouvons diffuser les relations anarchistes d’auto-organisation et d’autogestion de nos vies. Avec notre présence continuelle dans les rues et dans les batailles urbaines enragées s’élaborent les consciences, se forme l’esprit de bataille, et la violence combative se répand.

Non, les molotovs et les barricades ne sont pas un passage nécessaire pour passer au niveau des bonbonnes de gaz, des bombes et àla lutte armée. Ils constituent une partie intégrante de la même lutte. L’un complète l’autre. Les batailles de rue sont nécessaires tout comme les sabotages de nuit contre les structures des mécanismes étatiques par chaque moyen. La lutte armée est une manifestation de la bataille, nécessité qui doit soutenir et doit être soutenue par les luttes plus larges des mouvements. N’importe quel sabotage, coupé des luttes des mouvements et des revendications plus larges, a beaucoup de chance de rentrer dans les détails de l’histoire comme événement et de finir par être passé sous silence.

Laissons une « Â empreinte  » indélébile dans l’histoire. Le moment est venu, rendons la révolution possible et détruisons la ploutocratie, pour l’anarchie.

Andreas-Dimitris Bourzoukos
Prison de Korydallos, Aile A
Mars 2013

[Traduit par nos soins du grec de Indymedia Athènes.]


[1Plus d’informations sur cette lutte contre la mine d’or et sa répression ici.

[2Organisation Révolutionnaire Anarchiste Insurrectionaliste. Organisation fictive, plus d’infos ici.