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Interview des évadés du centre de rétention de Turin, décembre 2011

dimanche 8 juillet 2012

Suite àl’entretien avec des compagnon-ne-s de Torino, nous avions annoncé àla radio la retranscription du témoignages de quelques-uns des évadés du centre de rétention de Torino en décembre 2011. Le voici :

Parlons alors de cette évasion de Noë l, vous dites que s’échapper n’est pas un choix parce que si quelqu’un veut être libre il doit réchapper de ce lieu. Mais le choix a été de le faire ànoë l.

Plus ou moins oui, nous savions qu’àNoë l ils seraient tous bourrés dehors, qu’il y aurait moins de sécurité. Alors nous l’avons fait ànoë l,et réussi !
Nous nous sommes tous mis d’accord. Avec un horaire précis, nous sommes sortis tous ensemble.
Nous nous sommes réunis dans nos chambres, pour décider ensemble.
Toute la journée nous faisions travailler les flics. Quand nous faisons le bordel ils font leur travail. Leur travail c’est de se prendre des fruits pourris que nous leur lançons sur la tête. Le soir on discutait de l’évasion. Pendant une semaine nous nous sommes préparés. Nous ne prenions pas les médocs qui nous font dormir et nous empêchent de tout faire. Nous faisions semblant de les prendre mais nous les jetions pour pouvoir réfléchir ensemble.

Ya t il des balances ?

Oui mais ils vivent àl’isolement. Nous en avons trouvé un, et nous l’avons viré, tous ensemble.

Pensez vous qu’il est possible de corrompre les gardes ?

Non, je crois pas et en plus on n’a pas d’argent

Quelle a été la différence qui a fait que cette fois ci vous avez été une cinquantaine àvous enfuir.

La préparation a été importante. Quand nous avons ouvert la porte ils n’étaient que 10 alors que nous étions très nombreux. Celle la n’a pas été comme les autres parce que nous l’avons bien préparée. Nous étions tous cachés et nous avons choisi ce jour de noë l parce que nous savions que 80% d’entre eux seraient bourrés. Ils faisaient la fête àl’intérieur, ils ne s’occupaient pas de la sécurité. Nous avons ouvert toutes les portes, pas comme la dernière fois, ou une seule section avait été ouverte. Si il n’y en a qu’une ouverte ils sont assez nombreux pour nous faire retourner àl’intérieur. Cette fois ci lorsqu’ils sont sortis toutes les sections étaient ouvertes, il ne pouvaient rien faire. Très peu de gens sont restés derrière. Les premiers sortis ont ouvert les portes des autres sections.
Quelqu’un a essayé d’ouvrir les portes de femmes, mais ça ne l’a pas fait. Je suis désolé pour elles. Les flics arrivaient et nous avons du partir. Mais elles étaient contentes pour nous et insultaient les flics.

Le fait que vous ayez ouvert aux autres était préparé ?

Oui, bien sur. Toute la journée on fout le bordel dans le centre. Une seule section qui ouvre la porte ne peut rien faire. C’est une question d’expérience. Du coup cette fois ci on en a parlé. Dès qu’une section ouvre la porte, elle va ouvrir aux autres. L’un d’entre nous, a pris le canon àeau, et a aspergé le garde dans la guérite. Ils viennent avec le canon àeau
et les lacrymos, nous avec des bouteilles, des fruits, des pâtes, la nourriture du centre. Avec le canon àeau ça a fait un militaire de moins. Les flics essayaient de s’échapper autant que nous, àl’intérieur ils ne pouvaient rien faire. Ils n’ont rien compris. Ils devaient attendre des renforts pour pouvoir faire quelque chose. Nous sommes restés 20 minutes dans le centre après avoir ouvert les sections et toujours pas de renforts. Ils n’ont rien fait il fuyaient eux aussi.

Nous étions une centaine dans le centre, il en manquait 46 àl’appel, et d’après la presse 21 ont réussi às’échapper. il y a 5 sections, de 5 chambres, avec 5 à7 détenus dedans. Beaucoup sont restés derrière, parce qu’ils avaient peur, ou qu’ils avaient des situations particulières, enfants ou femmes àTorino ou choses dans le genre. En revanche beaucoup qui n’avaient pas prévu de s’échapper, en voyant les autres le faire nous ont suivis. Il y avait toutes les nationalité pas seulement les tunisiens et les marocains. Dehors il y avait des italiens, certains parlant avec les flics, d’autres nous indiquant le chemin le plus sà»r. Des gens bien comme des connards, comme il y en a partout. Mais beaucoup de gens qui nous ont ouvert la porte, dit de se cacher ici ou de fuir par là.
Nous avions tout bien préparé, fait ça de sang froid.Pour exemple l’un d’entre nous a même préparé son dentifrice et sa brosse àdent. Nous n’avions pas peur parce que c’est eux qui avaient peur. Nous étions plus nombreux qu’eux et ils devaient attendre 20 à25 personnes en renfort pour faire quelque chose. Nous voulions tous sortir, nous étions déterminés. C’est aussi pour cela qu’ils avaient peur. il n’y a pas eu de blessés car les flics s’enfuyaient. ils ne cherchaient pas l’affrontement. Dehors s’ils t’attrapent, ils te tapent. Mais àl’intérieur, il pouvaient rien faire. Ceux attrapés sont en isolement ou en Tunisie.

Si les flics veulent arrêter quelqu’un àl’intérieur, ils se trouvent face àun mur d’autres personnes solidaires. Par exemple, quelques jours avant, ils voulaient en expulser un, du coup il est monté sur le toit. Lorsqu’ils ont essayé d’aller le chercher ils se sont retrouvés face àun mur d’hommes, et ont été obligés de battre en retraite, ce qui lui a permis de s’échapper.

A propos de l’évasion du 31 décembre, pourquoi cela n’a pas marché aussi bien ?

Parce que il y avait beaucoup plus de flics, de gaz lacrymos. Qu’on avait moins préparé et que les gens en parlaient beaucoup plus,
se vantaient de vouloir s’enfuir. Quand nous avons lancé les cordes pour passer le mur, les flics ont tiré beaucoup de lacrymos, ce qui a refroidit pas mal de monde dans les sections pourtant ouvertes grâce àdes trous préalablement prévus. Dans la section jaune, y avait un trou mais on attendait tous que les autres sortent pour sortir. Quand on a réussi àouvrir les portes des sections, les flics, les carabiniers et les militaires sont arrivés. Nous étions 15 àêtre sortis et les autres se sont dégonflés et sont rentrés àl’intérieur. Nous nous sommes aidés pour monter le mur, on n’y voyait rien, il y avait beaucoup beaucoup de fumée, ça brà»lait les yeux.
Nous sommes peu àavoir réussi du coup. Il y avait aussi plus de médicaments, certains en ont pris ça les a détruits. Y avait un mec qui voulait sortir il lui ont défoncé la tête, il avait la tête gonflée. Ils ont dit que c’était le chef, mais ici il n’y a pas de chef, que des gens qui se donnent du courage vu la merde dans laquelle on est.

(…)

Les femmes n’avaient pas fait de trou mais nous les remercions, elles ont tout de suite hurlé et fait le bordel, lancé les bouteilles d’eau sur les flics. Elles n’ont pas pu s’échapper ce soir là, comme beaucoup des hommes mais se sont montrées solidaires.

Un mec sénégalais a été attrapé, il était énervé parce que sa femme est venu le visiter, et que le garde l’a fouillée. C’est pas normal qu’un mec fouille une nana la regarde comme ça. Le mec a vu rouge. Déjàqu’on nous traite comme des animaux àl’intérieur. Beaucoup de flics sont venus, il l’ont tapé. Du coup il a voulu s’échapper. A noë l il faisait partie de ceux qui voulaient rester car il avait une vie en Italie, mais là, voir sa fiancée se faire traiter comme un animal, ça l’a motivé pour s’enfuir. Il a juré qu’il allait tous les tuer, pendant deux heures. Il a juré qu’il voulait partir le jour même, quand il a réussi a s’enfuir, ils l’ont rattrapé. Comme s’enfuir du CIE n’est pas un délit, ils l’ont accusé de violences. De toute facon un étranger sans papier personne ne le croit, même un étranger avec un permis de séjour. En plus contre la police, ce n’est pas la peine d’essayer. Ils l’ont mis a la prison, dans la cellule d’isolement, comme un chien avec seulement un matelas, impossible de parler àpersonne. Je ne sais pas ou il en est, il y est peut être encore, peut-être au pays, dans un autre centre.

De toute façon, ils le traiteront mal, il est nerveux.

Repris de sanspapiersnifrontieres.