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La Blonderie, Société des hommes blonds

Par Marc Lefort (13 janvier 1921)

mercredi 15 avril 2009

Un manifeste vient de me parvenir :

Camarades, la Société des hommes blonds a enfin vu le jour ! Vous tous dont le cheveu emprunte ses nuances àla sentimentale feuille d’automne ou àla rafraîchissante carotte, venez ànous. Faites-vous inscrire.

La Société des hommes blonds s’appelle « La Blonderie  ». Elle est d’abord, cela va sans dire, une collection d’hommes blonds. Mais elle n’est pas seulement la répétition d’un nombre x d’unités blondes ; elle est quelque chose de plus. Elle est une Synthèse, un Symbole, un Idéal. Elle est une unitè vivante…

La Blonderie est quelque chose de plus grand, de plus haut, de plus pur que les hommes qui la composent. Les hommes sont irrémédiablement ce qu’ils sont. La Blonderie a le privilège surnaturel d’être ce qu’on la conçoit.

Donc, haut les esprits et haut les cÅ“urs ! La Blonderie est la sublimation de ce que les hommes blonds ont, dans tous les âges, aimé, cru, espéré. La Blonderie est toute la tradition des hommes blonds dans le Passé. Elle est la marche jamais interrompue des hommes blonds vers l’Avenir. Vive la Blonderie éternelle, expression spirituelle et pathétique du blondisme !

Hommes blonds, il n’y a de repos et de bonheur que dans ce blondisme. En avant, donc, pour le triomphe de la Blonderie ! Que tous les hommes blonds sans exception soient prêts àmourir pour elle.

Tel est le langage éloquent que ce manifeste me fait entendre.

J’ai bien pensé tout d’abord que si tous les hommes mouraient pour la Blonderie, la Blonderie ne leur survivrait pas longtemps. Mais, je rêvais encore, mon papier dans les mains, que l’ami Moyenhomme est entré chez moi. Il a saisi la feuille, il a lu… Tout àcoup son sourcil s’est froncé, sa bouche s’est plissée, son Å“il m’a dévisagé obliquement.

Il faut vous dire que je suis ou plutôt que je fus blond, jadis, alors que j’avais des cheveux en nombre suffisant pour tracer entre eux une allée selon l’axe longitudinal de mon crâne. Hélas, cette allée aujourd’hui occupe mon cuir chevelu en entier ! — Il faut vous dire aussi que Moyenhomme est un brun foncé qui tient du pâtre sicilien et du marchand de cacaouettes (sic)…

J’ai senti tout de suite que dans son for intérieur, il me traitait en ennemi. Quoi, pensait-il, j’allais faire bloc contre les bruns !… Un malentendu sournois se glissait entre nous, assez ténu pour ne pas donner matière àexplication, assez net pour que Moyenhomme tristement pris congé. Il sortit avec lenteur. L’affection qu’il m’avait portée plaidait encore en ma faveur. Il y eut une émotion dans la façon dont, sur le seuil, il me serra la main. Mais c’était l’agonie d’une amitié de vingt ans.

***

Voilàmaintenant qu’il est parti… J’ai envie de lui courir après. C’est trop bête après tout. On aurait pu s’expliquer. Ces hommes blonds émettent des paroles dorées comme leurs chevelures, mais, au demeurant, ils sont stupides comme leurs pieds. Je voudrais tenir l’un d’eux àcette minute. Je lui dirais :

Vous êtes mon ami, tout àfait fou. Qu’est-ce que cette Blonderie pour laquelle vous vous déclarez prêt àmourir ? Par quel artifice singulier avez-vous transporté dans cet être imaginaire le besoin de bonheur dont vous êtes habité ? La Blonderie est-elle une réalité en dehors des hommes blonds qui la composent ? Hommes blonds, aimez-vous, pensez-vous, souffrez-vous dans un autre être que vous-mêmes ? Il y a-t-il donc, pour considérer la vie, un point de vue extérieur au moi ? Vous m’offrez un échantillon de ce mode de penser paradoxal et pitoyable qui est le mode de penser collectif. Vous vous détournez des individus tels qu’ils sont dans leur réalité et dans leur chair pour ne plus voir au-delàde cette réalité et de cette chair, qu’un je ne sais quoi, — vapeur, image, reflet, — qui n’a d’existence que dans votre esprit.

Hommes blonds, descendez de votre abstraction oiseuse. Revenez au point de vue individuel. Aperçue du point de vue individuel, toute chose devient claire et s’illumine.

***

Des gens comme vous, se sont trouvés groupés, non en raison de la couleur de leur poil, mais en raison de la zone de ce globe qu’ils habitent. Entre eux un fleuve coule et les divise en une sorte de Blonderie et une sorte de Brunerie. Tous leurs gestes sont conduits par l’une ou l’autre de ces abstractions. Ils n’ont plus d’intérêt personnel. Il s’agit d’agrandir le Vaterland et pour cela dix millions d’hommes s’ébranlent au devant du voisin.

Si chaque homme, parmi ces dix millions d’hommes, s’était demandé au départ, non pas ce qu’allait gagner le Vaterland, l’abstraite Blonderie, mais ce qu’il allait gagner, lui, individuellement, — ils seraient tous restés chez eux.

Si chacun de leurs adversaires s’étant demandé, avant de se contraindre àla Victoire, non pas ce que pouvaient y gagner l’abstraite Brunerie, mais les concrets hommes bruns — ils se seraient épargné une gloire dont ils meurent.

***

Hommes blonds ou bruns, on vous proposera souvent encore de « mourir pour l’Idée  ». C’est alors qu’il importera de voir les choses du point de vue individuel. Individu, demande-toi ce que ça te rapportera, àtoi, de mourir pour l’Idée. Demande-toi, avant de marcher, si la révolution de demain n’est pas faite, comme les guerres d’hier, au profit d’une illusion, d’une chimère, d’une Blonderie, — àtes dépens. Est-ce que c’est toi qui profiteras des victoires du Groupe ?

Dictature ! Dictature !… Pauvre homme blond ou brun, tu porteras le fardeau des contraintes, comme avant, en personne. Quant aux jouissances du pouvoir, c’est par délégation, comme avant, que tu en goà»teras les jouissances…

Marc Lefort
L’Ordre Naturel n°6, 13 janvier 1921.

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