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La java atomique

Quelques pistes de réflexion autour du démantèlement et de la relance du nucléaire

samedi 12 décembre 2009

Démantèlement des centrales de Brennilis, de
Chooz A, de Superphénix, du réacteur UNGG
de Bugey, du Laboratoire pour l’utilisation du rayonnement
électromagnétique (Lure) d’Orsay, de l’usine
de retraitement de Marcoule, d’unités de recherche,
de stations de traitement et d’entrepôts de déchets
nucléaire du CEA àFontenay-aux-Roses, de l’accélérateur
de particules Saturne de Saclay et de l’unité de
conditionnement de déchets nucléaires du site… Cela s’annonçait comme une bonne nouvelle.
Comme si, enfin, l’Etat et les industriels prenaient le
chemin de l’arrêt du nucléaire. Quelques chercheurs
pleuraient la perte de leur joujou et appelaient à« sauver
la recherche  ». Leur cas était difficile àdéfendre
car il existait bien peu de personnes pour regretter
leur boulot mortifère. Les écolos se réjouissaient de
cette possibilité de sortie progressive – la seule question
étant celle du « bon  » ou du « mauvais  » démantèlement
–, et se frottaient les mains de pouvoir occuper
un rôle de contre-experts en matière de technologie.
Le démantèlement induisait quelques gros
détails de déchets nucléaires àrégler, tout le monde
s’accordait sur ce point mais, dans l’ensemble, tout
était pour le mieux dans le moins pire des mondes.

Pourtant, il y a quelque chose qui cloche
là-dedans...
Le terme démantèlement est
d’abord un terme fourre-tout qui cache des réalités
disparates. S’il y a des cas où il signifie « fermeture  »
d’installations nucléaires civiles ou militaires, dans
bien d’autres, il n’est en fait qu’une « rénovation  »
pour faire durer plus longtemps un parc nucléaire
vieillissant, ou encore une « adaptation  » àune nouvelle
donne économique et politique.

Ainsi, certaines installations étaient tout bonnement
obsolètes et n’étaient déjàplus utilisées depuis
longtemps. Dans cette douce France où il fait bon vivre,
la recherche dans le domaine nucléaire est une
priorité depuis les années 50 et, de ce fait, de nombreux
laboratoires demandaient un sérieux dépoussiérage.
Les accélérateurs de particules Saturne 1 et
Saturne 2 construits dans les années 50 et 60, destinés
àla physique des hautes énergies sur le site du
CEA de Saclay, ne fonctionnaient plus, respectivement
depuis 1977 et 1997. Ils ont été démontés au
début des années 2000. Et comme l’entreposage des
déchets sur place commençait également àsérieusement
vieillir, les fà»ts ont été reconditionnés, la station
de tri et les installations de la salle de commande rénovées.
Et si quelques-uns de ces fà»ts se sont rompus
lors de leur extraction du puit d’entreposage en 2002
et qu’un début d’incendie s’est déclaré en 2003, cela
n’a pas provoqué de « contamination extérieure, ni
eu d’impacts sur les travailleurs  », selon les dires du
gendarme du nucléaire (ASN). Et, rassurons-nous, le
site de Saclay n’est pas prêt d’arrêter ses activités nucléaires
puisqu’une usine de production de capsules
contenant des matières radioactives àusage médical
(CisBio), rachetée par l’industriel allemand Schering,
s’inscrit àla pointe de la recherche en médecine nucléaire.
Comme ça, quand on sera en train de crever
d’un cancer lié aux saloperies diverses et variées de ce
monde, ces charmants scientifiques pourront nous
bombarder de rayons qui créeront peut-être d’autres
cancers, mais qui constitueront un « moindre mal  »
pour les cobayes que nous sommes.

Mais ne soyons pas mauvaise langue. C’est exact,
il existe des cas où le démantèlement correspond bien
àdes « arrêts  ». Le réacteur de Chooz A (c’est-à-dire
la partie la plus ancienne) a bien été stoppé, puis vidé
du combustible nucléaire et, enfin, des installations
annexes démontées. Cela ne veut cependant pas dire
qu’il y a arrêt des activités nucléaires : les autres réacteurs
(Chooz B) continuent àfonctionner et, en plus,
le site a été candidat pour accueillir l’EPR, de nouvelle
génération. Cela ne veut pas dire non plus que les habitants de la région et les travailleurs du secteur
arrêtent de bouffer du nucléaire et d’en mourir. Bien
au contraire. Le démantèlement impliquerait, selon
EDF, la production de dizaines de milliers de tonnes
de déchets toxiques et radiotoxiques, dont dix mille
sous forme liquide seraient, après quelques mois d’entreposage
de « contrôle  » et de « neutralisation  » sur
place, déversées dans la Meuse. Ce n’est certainement
que la énième couche de pollution qui vient s’ajouter
àcelles drainées par deux siècles de développement
industriel. Néanmoins, les ordures radiotoxiques, soidisant
« limitées  » et « inévitables  », en provenance du
démantèlement de Chooz A causent des dégâts autrement
plus durables. Et, comble du comble, cette zone
dévastée va obtenir le label de « Parc naturel régional
 » ! Le démantèlement n’est alors qu’un cache-misère
pour nous faire croire qu’il est possible de « réhabiliter
 » des territoires contaminés.

Le nucléaire a cet avantage considérable :
la radioactivité n’est pas visible et ses conséquences
se font souvent sentir bien des années après,
quand il est déjàtrop tard. Ces chers nucléocrates ont
donc pu vérifier une nouvelle fois le proverbe : « Pas
vu, pas pris !  »

C’est pourquoi notre esprit décidément tortueux
a eu envie de se pencher sur les rapports pondus par
les différentes autorités nucléaires en matière de démantèlement.
Ces dernières expliquent ouvertement
que les experts et les industriels ne bénéficient pas
encore de savoir-faire, étant donné les « nouveaux  »
problèmes posés. Mais, grâce àleurs compétences
et àleur sens des responsabilités, il ne faudrait pas
se faire de souci. Aucun démantèlement ne s’est mal
passé, àleurs dires, et chaque « retour d’expérience  »
se présente comme un « succès  ». Et de nombreux
rapports sont làpour « l’attester  ». Alors qu’habituellement
la discrétion est de mise sur les activités
relatives au nucléaire, le sujet du démantèlement est
loin de subir le même genre d’omerta. Si les nucléocrates
sont aussi prolixes, c’est que l’un des enjeux est
de produire des bilans qui seront utilisés pour établir
les normes autorisées et les certifications au niveau
international. De cette manière, ils auront les mains
encore plus libres puisque le système de réglementation
aura été taillé sur mesure.

En attendant, ils en conviennent, il reste encore le
problème des déchets inhérents aux démantèlements
àrégler, mais des solutions technologiques seraient
en cours d’élaboration. A Bure, dans la Marne, les
scientifiques font preuve d’un fantastique esprit d’invention
pour nous faire avaler qu’ils sont capables de
prévoir et de contrôler l’évolution des terrains et des
déchets nucléaires sur des centaines de milliers d’années
 : on enterre toujours plus profond, on parie sur
l’étanchéité de la roche et le tour est joué !

Tous ces rapports donnent l’impression que l’important
est surtout que le nucléaire ne soit pas une
source d’inquiétude. En somme, en faire un processus
socialement acceptable. Pour ici et pour ailleurs.
Comme l’Etat et les industriels espèrent bien vendre
des installations nucléaires àl’étranger pour répondre
aux besoins en tous genres du capitalisme, il y
a grand intérêt àfaire mine de pouvoir passer le balai
en profondeur, àmettre en scène une apparence
de propreté. Et si la relance du nucléaire ne s’est pas
exactement traduite par la vente de nombreuses centrales,
la mise en avant de savoir-faire en matière
de démantèlement permet de faire croire que toute
la chaîne du nucléaire est « maîtrisée  » : d’un bout à
l’autre, il faut donner l’illusion que cette technologie
ne pose aucun problème insurmontable àlong terme.
Or, la fin du processus et la question insoluble : « Que
faire des installations en fin de vie ?  » faisaient figure
de talon d’Achille. Dans ces conditions, le démantèlement
ne prépare en rien la sortie du nucléaire, mais
garantit son acceptation sociale au niveau national et
international.

Certes, direz-vous, il y a des voix qui s’élèvent
contre cet état de fait.
Il y a bien quelques
écologistes citoyens qui condamnent telle technique
pour en prôner telle autre. Dans l’ensemble, il faut se rassurer, experts et contre-experts veillent pour nous.
Il y a malencontreusement encore quelque chose qui
cloche là-dedans. Que le réacteur d’une centrale soit
coupé en petits bouts pour être emmené ailleurs (La
Hague, Sibérie, Somalie, Maroc, Adriatique...), qu’il
soit coulé dans du béton àla mode du sarcophage
de Tchernobyl, etc., ces « solutions  » ressemblent à
des chimères : elles ne solutionnent rien du tout. Les
dirigeants d’Areva ou du CEA ont en plus le toupet
d’affirmer que la majeure partie des déchets nucléaires
est recyclable. Mais l’arnaque consiste àdire que
ce qui est envoyé àl’étranger est réutilisé alors qu’ils
savent pertinemment qu’il n’en est rien ; àdire aussi
que ce qui est balancé dans la flotte n’existe plus et que
ce qui finit par faire des remblais de route ne présente
aucun risque notable ! Il est socialement délicat de
laisser des pics énormes de radioactivité sur les lieux
même qui la génèrent, alors on dissémine aux quatre
coins de la planète ce dont on ne peut, de toute façon,
pas se débarrasser. La ficelle est un peu grosse, mais
tant que cela passe, ces chers cerveaux radioactifs
n’ont pas de raison de s’arrêter. Ils se disent en plus
« concernés par l’avenir  ». Preuve en est, ils seront
présents au sommet de Copenhague sur le climat en
décembre 2009, car ils se sentent investis d’une « mission
 » : faire passer l’une des plus grandes saloperies
de l’histoire humaine pour une énergie « propre  ».

On appréciera au passage le relatif changement
de façade. Ce n’est plus tabou d’évoquer le problème
des déchets dans les médias. Il faut dire aussi qu’en
quelques décennies, le choix nucléaire a généré de
telles nuisances et de telles menaces pour la vie planétaire
qu’il est devenu impossible pour le pouvoir
de continuer àle gérer comme autrefois : ce bon
vieux temps où il lui suffisait de pratiquer la négation
pure et simple des problèmes qu’il pose. Alors l’Etat
continue en partie àpratiquer cette politique du secret,
mais ajoute également une deuxième couche de
« transparence  » et une troisième de « démocratie  »,
faisant mine d’associer les « citoyens  » àla gestion du
désastre en cours. L’administration des montagnes
d’immondices radioactifs en est l’un des meilleurs
exemples, avec une recette qui s’est un peu affinée :
continuez ànier le gros des problèmes, avouez-en
une partie médiatiquement, surtout faites semblant
d’attraper le taureau par les cornes, prenez l’avis de
vos opposants d’hier qui seront ravis d’avoir enfin le
rôle de conseiller du prince qu’on leur a refusé pendant
si longtemps, mélangez le tout : tout le monde
en conviendra, vous aurez limité, déplacé, différé les
risques..., àdéfaut de les supprimer. En somme, face
aux dangers du nucléaire que vous ne pouvez plus
cacher, avouez vos difficultés, consultez quelques experts
et même des contre-experts, vous pourrez alors
demander aux populations en sursis de faire confiance
àla technoscience de demain pour résoudre les
problèmes créés par celle d’aujourd’hui.

Il y a toujours quelque chose qui cloche
là-dedans…
Les gourous de l’atome ont beau rivaliser
d’imagination, la question ne peut se réduire
au choix d’une solution technologique qui présuppose
que la sà»reté de la chaîne nucléaire pourrait être
« bien faite  ». Le problème est plus fondamental : il
est d’avoir mis en place et de participer àun processus
qui, quel que soit le bout par lequel on le prend,
est monstrueux. Monstrueux par les millions d’années
de durée de vie des radioéléments, monstrueux
par les bombes dont la capacité de destruction n’est
plus àdémontrer, monstrueux par le caractère « insidieux
 » du nucléaire dont quelques microparticules
respirées ou ingérées suffisent àprovoquer cancers et
leucémies bien des années plus tard, monstrueux par
le contrôle et la militarisation qu’il implique, monstrueux
par la colonisation de la liberté qu’il induit.
Dès lors, l’Etat joue le rôle du pompier pyromane :
il se présente comme celui qui assure la sécurité présente
et àvenir des populations, comme celui dont
on ne peut se passer. Mais il oublie de préciser que
c’est lui qui met en place ce merdier. Tout se passe
comme s’il n’y avait plus de pilote àbord de l’avion :
on continue ce qui a été démarré, on essaye tant bien
que mal d’éviter le pire, on améliore ce qui peut l’être,
on essaye même d’être pionnier en la matière, on fait
quelques profits au passage, mais sans jamais plus interroger
ce qui a été et ce qui reste encore un choix.

Le démantèlement n’est alors qu’un épisode supplémentaire
de la transformation de la planète en
laboratoire grandeur nature. Et ce processus a commencé
depuis longtemps, en particulier dans le domaine
militaire où il peut parfois prendre le nom de
« désarmement  ». Contrairement aux assertions des
médias qui voudraient nous faire croire qu’il vient
de débuter, le démantèlement n’est pas une « nouveauté
 ». Les missiles stratégiques avec des têtes au
plutonium ont été, par exemple, mis au clou depuis
des lustres.

Mais alors, répondrez-vous, il reste un
domaine
où le démantèlement constitue une
véritable avancée ! Vous pourrez même ajouter que
si ce monde n’est pas parfait, il ne faut pas être aussi pessimiste car les Etats ne sont plus engagés dans les
mêmes folies qu’hier. Vous appuierez votre raisonnement
par quelques exemples savamment choisis,
comme le fait que les grandes puissances ont signé
de nouveaux traités de non-prolifération nucléaire
en 1995-1996, que les essais àMururoa ont bien
pris fin, ou encore la récente décision de fermer
prochainement le vieux centre d’essais nucléaires de
Moronvilliers, en Champagne... Et vous conclurez :
« C’est un progrès, tout de même !  »

Il y a malheureusement encore quelque chose
qui cloche là-dedans… Des voix mal intentionnées
susurreraient àvotre oreille une évidence bien gardée
 : les Etats ont fait de nécessité vertu. Les gigantesques
missiles datant de la Guerre froide étaient
bons pour la ferraille et La Hague, entre autres lieux,
sert de cimetière aux matières nucléaires qu’ils portaient.
Quant aux essais de bombes nucléaires, puis
thermonucléaires, de très forte puissance, après cinquante
années de recherche, il n’y avait plus aucune
amélioration majeure àen attendre. Ce sont donc des
raisons techniques, mais également stratégiques, qui
permettent de comprendre ces changements d’orientation
cachés sous les doux noms de désarmement et
de démantèlement.

Avec Iter àCadarache ou avec le Laser mégajoule
établie sur le site du Barp, àcôté de Bordeaux, lequel
doit prochainement produire des micro-explosions
thermonucléaires, ce sont, entre autres choses, de
nouvelles armes qui se préparent, grâce àl’étude plus
fine de la physique des explosions. Et le terme anodin
de « simulation  » qui recouvre ces gigantesques installations
vise àfaire croire aux populations qu’elles
sont sans danger.

En réalité, les Etats, même les derniers arrivés
dans le club de l’Agence internationale de l’énergie
atomique (AIEA) épaulée par l’Organisation mondiale
de la santé (OMS), ne veulent pas faire machine
arrière en matière d’armement nucléaire. Les grandes
puissances, elles, mettent simplement au rebus ce
qui ne fonctionnait plus, ou ce qu’il était impossible
d’utiliser pour des raisons politiques. Il n’est en effet
pas envisageable de provoquer des Hiroshima tous
les quatre matins. Avec ces nouveaux laboratoires, elles
veulent développer des armes nucléaires ayant des
puissances bien moindres qui soient socialement acceptables
et donc utilisables. L’ONU, l’AIEA et l’OMS
refusent d’ores et déjàde ranger l’uranium appauvri –
massivement employé par les armées de la Coalition
depuis la guerre du Golfe – dans la catégorie des
munitions nucléaires. Car, désormais, les fins stratèges
militaires craignent moins les oppositions entre
grandes puissances àla sauce Guerre froide que des
conflits entre mafias et Etats locaux, ainsi que des révoltes
incontrôlables – des « guérillas urbaines  » aux
« guerres de bidonvilles  » – pour reprendre leurs termes.
En dépit de ces nouvelles saloperies de bombes
qui brouillent la distinction théorique entre armes
nucléaires (propres àla dissuasion) et armes conventionnelles
(destinées au combat), il faut néanmoins
souligner un point : cela ne sera jamais autre chose
que des « scénarios  », des plans imaginés. A l’épreuve
de la réalité, il en va souvent autrement que ce que
souhaiteraient ces têtes pensantes du Pentagone et
d’ailleurs, comme les bourbiers irakiens et afghans
l’attestent.

Décidément, il y a quelque chose qui cloche
là-dedans.
Le « démantèlement  » cache
en fait le renouvellement et la modernisation du
parc nucléaire civil, militaire et, particulièrement,
expérimental. La « relance  » est donc bien plus vaste
que ce que les lobbies écologistes et nucléaristes
entendent pas làquand ils se focalisent sur le problème
énergétique. Il n’est pas seulement question de
la construction de nouvelles centrales, que l’on soit
« contre  » la filière électronucléaire comme tel ou tel
groupe antinucléaire, ou « pour  », comme EDF. Les
uns et les autres sont suffisamment fous pour vouloir
cogérer le saccage actuel et ont en plus le toupet de
se présenter comme « réalistes  ». D’un côté, face au
« manque  » et àla « pénurie  » qui guette, il faudrait
substituer aux centrales des champs de buildings en
forme d’éolienne et accepter un écologisme de caserne,
avec toujours plus de règles et d’obligations
volontaires dans un monde toujours moins vivable ;
et, de l’autre, face aux besoins de plus en plus importants
de la société, les Etats n’auraient pas le choix
et devraient nécessairement faire appel au nucléaire
avec tous les problèmes qu’il induit. Les uns comme
les autres passent sous silence l’ensemble des enjeux
que recouvre la relance du nucléaire : celle-ci se comprend
mal sans prendre en compte la question de la
puissance des Etats.

En tout état de cause, cela suit l’évolution
du capitalisme moderne
 : la production
reste encore un élément central, mais sa maîtrise dépend
de plus en plus des innovations scientifiques et
technologiques. Sans ces dernières, des parts notables
des activités et des institutions du capitalisme – de l’industrie àl’armée – sont désarmées. Le nucléaire
n’échappe pas àcette nouvelle règle : en plus
de vendre des centrales àl’étranger, les Etats comme
la France et les Etats-Unis cherchent àêtre àla pointe
de la recherche et cela constitue pour eux un véritable
« atout  ». La Ligne d’intégration laser (LIL) est
ainsi àpeine terminée sur le site du Barp qu’elle est
déjàprise d’assaut par les chercheurs du monde entier,
quémandant des réservations pour avoir l’incroyable
bénéfice de profiter de quelques minutes de
« simulation  ».

La tendance est au regroupement international
des principaux opérateurs, en particulier électriciens,
et au modèle intégré d’activités, avec tout ce
que cela comporte de « partenariats  » et de constitution
de « pôles de compétitivité  ». On comprend par
conséquent que la filière nucléaire porte beaucoup
d’attention àce qui fera la technologie de demain :
la Recherche et Développement (R & D), mais aussi
les questions de réglementation au niveau mondial
avec une application spécifique pour produire des
dossiers de certifications et de normes autorisées qui
seront donc réalisées sur mesure ; le développement
de l’amont du cycle – gisement, recherche de nouvelles
techniques de conversion et d’enrichissement
– et de l’aval – filière d’élimination et de déplacement
des déchets – ; la formation, avec l’essor de nombreux
masters, séminaires et conférences ; et, enfin, la mise
en place d’un panel d’industriels capables de répondre
aux besoins de toute la chaîne du nucléaire. C’est
àqui aura le pôle d’activités le plus compétitif et le
plus attractif. C’est àqui, d’EDF et d’Areva, deviendra
le spécialiste mondial en démantèlement avec la caution
de l’ASN. C’est àqui, de Bouygues, de Cegelec
Energie, de Vinci, et même de l’ONG Wise Paris
Investigation Plutonium, se positionnera en première
ligne, aux côtés d’autres firmes spécialisées dans
le nettoyage et la réhabilitation de zones contaminées,
telles qu’Onet Industrie et Techman. Il ne faudrait
pas oublier les derniers vampires, style Adecco
ou Manpower, qui envoient chaque jour davantage
d’intérimaires se faire irradier sur les sites nucléaires,
ainsi que tous les autres prestataires de services, etc.
« Business & Development  », leur avenir est plein de
promesses...

En fin de compte, tout ce remue-ménage autour
de la relance du nucléaire et du soi-disant démantèlement
vise àfaire accepter aux populations l’inacceptable
 : survivre au milieu de la merde nucléaire, avec
l’Etat dans le rôle du protecteur puisque c’est au nom
de « notre  » sécurité. Il est accompagné, dans la gestion
de ces lendemains-qui-ne-manqueront-pas-dedéchanter-
encore, par les cervelles bouillonnantes de
la recherche nucléaire. En fin stratège, il a su associer
les ONG et autres groupes écologistes qui, grâce à
leur critiques partielles et superficielles du nucléaire,
permettent àce manège de continuer àtourner
avec, comme crédit supplémentaire, d’être démocratique.
En témoigne les protestations platoniques de
l’association Tchemoblaye, membre du réseau Sortir
du nucléaire, envers le projet de Laser mégajoule…
au motif que la Ligne d’intégration laser déjàexistante
suffit amplement ! A les écouter, ce prototype
ne serait pas synonyme de course aux armements et
n’aurait aucune incidence sur la recherche militaire.
Est-il nécessaire de préciser qu’une partie de ces écologistes
àla sauce Réseau sont des chercheurs qui,
tout en faisant mine d’avoir quelques préoccupations
d’avenir, tiennent àleur travail en préférant ne pas en
voir les conséquences. Voilànotamment pourquoi il
n’y a pas à« sauver la recherche  ». Entendus ou non,
leurs argumentaires ne font jamais qu’aménager un
existant qui n’est pas plus vivable.

Le pouvoir et ses conseillers auront beau
dire, il y aura toujours
des problèmes gigantesques
liés au nucléaire. Des problèmes qui n’ont pas
de solutions dans ce monde car ils ne concernent pas
exclusivement les retombées sanitaires présentes et
futures crées par cette technologie, mais aussi la manière
dont elle nous dépossède encore plus de notre
vie. La puissance du nucléaire décuple celle de l’Etat
ainsi que la peur qu’il inspire et grâce àlaquelle il domine.
Et cette dernière est bien plus large que la peur
du gendarme : depuis la peur d’être atomisé façon
Hiroshima àla peur de manquer d’énergie jusqu’àla
peur de la moindre erreur. Or, depuis Tchernobyl, les
nucléocrates eux-mêmes reconnaissent que « l’erreur est humaine  », après l’avoir nié pendant des décennies,
lorsqu’ils promettaient d’être capables de domestiquer
le monstre, dans n’importe quelles circonstances.
Mais le nucléaire est le monde de l’urgence, le monde
des réactions en chaîne rapidement dévastatrices, et
donc aussi celui de la paralysie : il exige des individus
l’impossible, la connaissance préalable et totale de ce
qui peut advenir. Par suite, il interdit de prendre du
recul face àdes situations inattendues et exige alors
des prises de décision presque instantanées et lourdes
de conséquences. Il verrouille encore plus notre
présent et notre futur en nous rendant davantage dépendants
de la société existante. A commencer par la
dépendance envers les gourous de l’atome qui, aussi
diplômés soient-ils, confient de plus en plus la « sà»reté
des installations  » àdes ordinateurs, en espérant
qu’ils pourront réagir plus vite qu’eux. Mais làoù les
individus n’ont même plus la possibilité de faire des
erreurs et, au moins d’en discuter ensemble pour les
dépasser, la liberté est illusoire. Reste la liberté formelle
d’accepter, au supermarché des technologies,
celle déjàsélectionnée par l’Etat pour assurer la « satisfaction
 » de nos prétendus besoins énergétiques.
Reste la liberté concédée d’acquérir des marchandises,
de se vendre au plus offrant, d’échanger, d’entreprendre,
de se concurrencer. Reste la liberté mesurée
qui consiste àaccepter sagement leurs prérogatives et
àêtre des cobayes sous perfusion dans un monde de
plus en plus mortifère, sous peine de crever encore
plus vite. A cause de l’épée de Damoclès qu’il a installé
au-dessus de nos têtes, le nucléaire est parvenu à
instaurer un règne qu’aucun tyran n’avait pu concrétiser
àce point : la soumission durable.

Mais le nucléaire a beau ressembler àun monstre
tentaculaire, il n’en demeure pas moins un colosse aux
pieds d’argile. Comme la plupart des formes actuelles
de domination, son socle est fragile vu qu’il repose
aussi sur l’acceptation de ceux qui le subissent. Parce
que le nucléaire, par la puissance technologique qu’il
déchaîne et qu’il concentre dans les mains de l’Etat,
ainsi que par l’hypothèque sur la liberté qu’il crée,
fait partie des questions fondamentales àaborder, il
ne tient qu’ànous de s’en prendre àlui et au monde
qui le produit. Certes, personne de sensé n’a envie de
faciliter, par des actes intempestifs, la venue de quelque
accident aux conséquences tchernobylesques.
Mais, comme nous l’avons vu au cours de ces quelques
pages, l’univers du nucléaire n’est cependant pas
réductible aux installations nucléaires existantes. Il
est bien plus vaste qu’on l’imagine de prime abord :
des universités aux entreprises en passant par les institutions
écologistes, véritables supplétifs de l’AIEA,
du CEA, etc., chacun de ces acteurs permet au nucléaire
de perdurer et mérite donc notre opprobre.

Au fond, il s’agit d’opposer àleur liberté formelle,
concédée, mesurée et réglementée par l’Etat et ses
sbires, une liberté qui, loin de figer nos espaces et de
reconduire un système de normes et de lois impératives
pour tous et en toutes circonstances, accepte au
contraire le tâtonnement, dans une perspective antiautoritaire
qui refuse toute logique institutionnelle.
Un processus qui, sans en revenir aux conceptions,
aux moyens et aux institutions propres au monde
actuel, expérimente afin de se débarrasser de tout
autoritarisme en rejetant toute médiation prompte
àréinstaller des mécanismes de domination. Une liberté
sans recette, une tension attentive et exigeante.

Et puis, comme disait l’autre, l’important, ce
n’est pas la puissance de la bombe, mais ousqu’elle
tombe…

Novembre 2009.


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