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Le “sourire du banquier†...

Chronique de la chasse aux pauvres en banlieue nord-est

mardi 4 juin 2013

[Note de Non Fides : Nous publions ici ce texte du site "Le Cri Du Dodo" car nous en partageons le contenu et l’analyse des rapports de gentrification urbaine qui frappent les quartiers où nous vivons. Cependant, nous sommes bien plus réservés quant au slogan de fin, assez typique des milieux squatters/gauchistes européens, et qui fait son retour en force depuis quelques temps du côté de certains squats du village dans le village de Montreuil/Bagnolet. Nous profitons de cette occasion pour dire quelques mots.

Nous reprochons au slogan "la maison est àcelles et ceux qui l’habitent" d’être en contradiction directe avec celui qui le succède : "détruisons la propriété privée". Si beaucoup de riches ont pour habitude de posséder plusieurs propriétés, pour les louer comme les sales rentiers qu’ils sont, ou pour faire office de résidence secondaire (ou plus) quand tant d’autres n’arrivent même pas àse payer une cage àpoule, la plupart de leurs maisons sont habitées, et nous affirmons sans sourciller qu’elles leur appartiennent aussi.

Pour être plus clair, les maisons des riches, nous sommes pour leur expropriation (qu’ils y habitent ou non). A partir de là, nous ne pensons pas que les maisons sont àcelles et ceux qui les habitent, mais àcelles et ceux qui les exproprient, mais dans une tension révolutionnaire qui leur est propre. Car l’expropriation des maisons des riches et des propriétaires (àne pas confondre avec le milieu contre-culturel "squat"), n’est qu’un moyen qui peut servir àtoutes les fins, et qui ne porte en lui rien de subversif a priori.

Attention toutefois àne pas comprendre les choses àl’envers, nous ne disons pas que l’expropriation de logement est àbannir, c’est un moyen de survie comme il en existe plein d’autres dans la misère ambiante de la vie sous domination capitaliste. Nous disons juste que de la survie àl’action révolutionnaire il y a un saut qualitatif àfranchir.]

Cette expression, « le sourire du banquier » est le doux nom d’une pub plastifiée que les habitant-e-s de Bagnolet et Montreuil ont pu recevoir dans leurs boîtes aux lettres le mois dernier.

Et ce n’est même pas une blague…

Une pub avec des fleurs qui sourient et qui proposent des partenariats avec la banque pour devenir propriétaire…

La logique est imparable : « devenez propriétaire de votre logement » et donc « plus de problème » ! Sauf que l’ultime majorité des gens qui vivent dans les quartiers populaires de la banlieue parisienne n’ont évidemment pas les moyens d’investir dans la propriété (plus de 70% sont locataires rien que pour Bagnolet par exemple).

L’opération consiste donc à« offrir » un crédit. C’est le grand jeu du « tous proprios » (c’est-à-dire « particuliers ») : en clair tous et toutes endettéEs… Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette opération vise àdoublement endormir les locataires non-propriétaires. D’une part en leur faisant miroiter la fausse solution de propriété àcrédit, et d’autre part en faisant croire aux plus pauvres que « tout le monde » peut « devenir proprio ». Ce qui est bien évidemment faux…

Le prix de la vie ne fait qu’augmenter. Les petits commerces locaux sont remplacés par des enseignes plus chères (souvent de type « bobo »), et dans les supermarchés, les prix augmentent aussi. A Bagnolet comme dans pas mal d’autres villes en banlieue, les propriétaires –de concert avec la mairie– font monter les prix de l’immobilier en faisant jouer la spéculation. Mais ce qu’on appelle la spéculation n’est qu’un rouage dans un processus beaucoup plus vaste. Processus qui va consister notamment àlaisser les logements ou d’autres bâtiments vides pendant des années (moins de logement disponibles = rareté = augmentation des prix). Ainsi, dans le même temps, la mairie utilise les bâtiments et terrains qu’elle possède en posant des projets d’infrastructures qui correspondent àla nouvelle population qui s’installe progressivement sur le quartier telles que médiathèque, jardins particuliers, théâtres, etc. Infrastructures dont ne bénéficient évidemment jamais ou presque les quartiers les plus pauvres et dont le contenu marchand ou culturel est clairement àdestination des riches.

Ou alors la mairie rachète de nouvelles friches qu’elle laisse vides. La nouvelle population est donc composée quasi-exclusivement de bourgeois qui sont les seuls àpouvoir racheter les nouveaux logements construits ou ceux rénovés après avoir été laissés délibérément vides pendant des années, et parfois même plusieurs dizaines d’années. C’est ce que la mairie appelle « la rénovation » -ou- « restructuration urbaine ». C’est ce que d’autres –comme nous– appellent la gentrification (même si ce terme ne résume pas l’ensemble du processus d’urbanisation et ses implications).

Mais ce phénomène n’est évidemment pas le fait du hasard, et repose aussi sur cette escroquerie qui consiste àfaire miroiter aux pauvres l’accès àla propriété qu’ils n’auront jamais, ou pas les moyens de rembourser, du moins sans s’endetter sur des années.

Aussi, la carotte du crédit et l’illusion de la “maison àsoi†ne font que participer àcette forme pernicieuse de domestication de classe. D’une pierre deux coups : il permet de dégager les plus pauvres d’un quartier en vue d’une espèce de ségrégation sociale et spatiale (en les reléguant àdes ghettos) tout en enchaînant àun mode de vie “au dessus de leurs moyens†ceux et celles qui sont restés et ont cédé au chantage de l’ascension sociale.

Mais le slogan du “tous propriétaires†est bel et bien un mensonge.

Car en effet, si chacun-e “possédait†réellement son logement, il n’y aurait plus de propriété foncière, c’est-à-dire de propriétaires dont le « métier » est de gérer ses locataires (ou plutôt de percevoir leurs loyers…). Et àpartir de là: àquoi servirait la propriété privée ?

Comme les prix ne sont évidemment pas les mêmes partout, les nouvelles populations plus aisées qui s’installent dans le quartier « restructuré » ne pourraient pas être làsi elles étaient aussi pauvres que les autres. Souvent, une fois le quartier gentrifié, ce qu’on appelait autre fois « l’aristocratie ouvrière » (ourièr-e-s “cadres†, salarié-e-s un peu « parvenu-e-s », etc) constituent en général la population la moins aisée de ces quartiers « rénovés » une fois le processus achevé.

Car en plus des professions intellectuelles, culturelles et de commerces « huppés » (riches et branchés), beaucoup des nouveaux locataires ou propriétaires sont de jeunes rentiers, ou des « petits propriétaires » qui perçoivent des loyers de gens plus pauvres qu’eux, et qui vivent en marge du centre ville restructuré. En définitive, sous le mensonge de la « mixité sociale » (qui n’est jamais que temporaire et toujours oppressive) le projet de « restructuration urbaine » (lorsqu’il réussit àatteindre ses fins) se traduit systématiquement par une chasse aux pauvres et leur éloignement vers la périphérie, et la constitution de nouveaux ghettos pour riches.

Car en effet, si la plupart des pauvres s’en vont généralement sous la contrainte de la cherté de la vie vers des quartiers moins chers, beaucoup restent sur place en attendant les expulsions locatives (lorsque plus d’argent pour payer le loyer) ou même àla rue parce qu’ils ou elles n’ont nulle part où aller, sont hébergé-e-s de manière précaire par des ami-e-s, dans les centres dégueulasses du 115, ou àla rue.

Làaussi, ànouveau, la mairie entre en jeu. Dans certaines villes, on supprime les bancs en les remplaçant par d’épaisses barres de fer où il est impossible de s’allonger.

Ailleurs, on va utiliser des ultrasons ou un répulsif odorant pour chasser les sans-abris d’une cour, ou d’un lieu. A Montreuil, une milice (l’A.S.V.P) semi-spécialisée dans les expulsions a même été mise en place par la Mairie, et est devenue célèbre pour ses frasques, sa violence et ses expulsions improvisées.

En attendant, c’est sà»r, les proprios, promoteurs et banquiers gardent le sourire :

Ils comptent les billets.

Mais la maison est àcelles et ceux qui l’habitent : détruisons la propriété privée !

Repris du Cri Du Dodo.