Accueil > Articles > Sur le monde carcéral > Correspondances Carcérales > Lettre de Bruno et Ivan depuis les prisons de Fresnes et Villepinte

Lettre de Bruno et Ivan depuis les prisons de Fresnes et Villepinte

avril 2008

vendredi 25 avril 2008

Toutes les versions de cet article : [Deutsch] [English] [français] [italiano]

Salut àtous les copains, àtous ceux qui ne sont pas résignés àla situation que nous vivons : occupation policière des rues, des villes, rafles, expulsions, arrestations, difficultés quotidiennes, dépossession de nos vies ; cette situation qui nous pousse àcéder une part grandissante de nos vies aux chefs en tout genre, àceux qui président ànos destinées, au pouvoir. Si nous prenons le parti de la révolte, c’est pour toutes ces raisons, pour retrouver le pouvoir sur nos vies, pour la liberté de vivre.

Nous avons été arrêtés le 19 janvier. Nous sommes deux en prison, le troisième est sous contrôle judiciaire (il passait par làet avait le tort de nous connaître). Nous avions en notre possession un fumigène que nous avions fait en mélangeant du chlorate de soude, du sucre et de la farine. Enflammé, ce mélange produit un fort dégagement de fumée. Nous projetions de l’utiliser àla fin de la manifestation qui allait ce jour-làdevant le centre de rétention de Vincennes. Notre idée : se rendre visible auprès des sans-papiers enfermés, sachant que la police tenterait sà»rement de nous empêcher d’approcher du centre. Nous avions aussi des pétards pour faire du bruit et des crèves-pneus (clous tordus) qui peuvent être disposés sur la route pour empêcher les voitures de passer.

Pour la police et la justice, le prétexte est tout trouvé, nous avions les éléments pour une bombe àclous. Voilàce dont nous sommes accusés :

 Transport et détention, en bande organisée, de substance ou produit incendiaire ou explosif d’éléments composant un engin incendiaire ou explosif pour préparer une destruction, dégradation ou atteinte aux personnes.

 Association de malfaiteurs en vue de commettre un crime de destruction volontaire par l’effet d’un incendie, d’une substance explosive ou de tout autre moyen de nature àcréer un danger pour les personnes, commis en bande organisée.

 Refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales ou de photographies lors d’une vérification d’identité.

 Refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné àl’identification de son empreinte génétique par personne soupçonnée de crime ou délit.

Ça fait froid dans le dos. Voilàpour les faits, nous allons tenter d’y apporter une réflexion.

Ce n’est évidemment pas au regard de ce que nous détenions ou de ce que nous projetions de faire que nous avons été traités de la sorte. L’État criminalise la révolte et tente d’étouffer toute dissidence « non-autorisée  ». Ce sont nos idées et notre façon de lutter qui sont visées, en dehors des partis, des syndicats ou autres organisations. Face àcette colère que l’État ne parvient ni àgérer ni àrécupérer, il isole et désigne l’ennemi intérieur. Les fichiers de police et des renseignements généraux construisent des « profils-types  ». La figure utilisée dans notre cas est celle de « l’anarcho-autonome  ». Le pouvoir assimile cette figure àdes terroristes, construisant une menace pour créer un consensus auprès de sa population, renforcer son contrôle et justifier la répression.

C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui en prison. C’est la solution choisie par l’État pour la gestion des illégalismes, des « populations àrisque  ». Aujourd’hui il faut enfermer plus pour plus longtemps. Les contrôles, toujours plus efficaces, et les sanctions qui font peur assurent àceux qui détiennent ou profitent du pouvoir une société où chaque individu reste àsa place, sait qu’il ne peut pas franchir les lignes qu’on a tracées pour lui, qui l’entourent et le compriment, sans en payer le prix. Si nous luttons aux côtés de sans-papiers, c’est que nous savons que c’est la même police qui contrôle, le même patron qui exploite, les mêmes murs qui enferment. En allant àla manifestation, nous voulions crier en écho « Liberté  » avec les prisonniers, montrer qu’on était nombreux àentendre la révolte qu’ils ont menée pendant plusieurs mois. Allumer un fumigène, tenter de s’approcher le plus possible des grilles de la prison, crier « fermeture des centres de rétention  », avec la détermination de vouloir vivre libre. Cette lutte, dans laquelle on peut se reconnaître, est un terrain de complicités àconstruire, un lieu possible de l’expression de notre propre révolte.

Nous ne nous considérons pas comme des « victimes de la répression  ». Il n’y a pas de juste répression, de juste enfermement. Il y a la répression et sa fonction de gestion, son rôle de maintien de l’ordre des choses : le pouvoir des possédants face aux dépossédés.

Quand tout le monde marche en ligne, il est plus facile de frapper ceux qui sortent du rang.

Nous espérons que nous sommes nombreux et nombreuses àvouloir posséder pleinement nos vies, àavoir cette rage au cœur pour construire et tisser les solidarités qui feront les révoltes.


Bruno et Ivan, avril 2008

En Italien.
En Anglais.

Cliquer ici pour plus d’info sur les affaires en cours