Accueil > Articles > Vieilleries > Marianne se soà »le, populo s’amuse !

Marianne se soà»le, populo s’amuse !

Par Albert Libertad (juillet 1906)

dimanche 14 juillet 2013

14 juillet ! Les fenêtres se bariolent de bleu, de blanc, de rouge, de jaune. La Marseillaise se beugle par les rues.

14 juillet ! Les marchands de vin sont en joie : pas de pain àla maison, les derniers sous se jettent sur le zinc.

14 juillet ! Les chauvins et le badauds « gais et contents  » vont acclamer les petits soldats ; le tableau truqué de la grande armée nationale.

14 juillet ! L’épicier du coin, le notaire véreux, l’exploiteur adroit, l’assassin légal vont recevoir la juste récompense de leur dévouement àla république.

14 juillet ! De longs et filandreux discours promettront beaucoup : promesses fallacieuses qui s’en iront loin au vent avec la dernière pétarde du dernier feu d’artifice.

14 juillet ! « Le peuple, il en a d’la réjouissance.  »

Quel anniversaire fêtes-tu donc ? Quel souvenir glorieux te fait-il recouvrir de ce décor mensonger ta vie habituelle de labeur et de misère ?

14 juillet ! La Bastille est rasée ; une ère de liberté est ouverte.

Ah ! tu veux rire, bon Populo, la Bastille est rase : que sont donc autour de nous ces bâtisses mornes, aux murs élevés, aux fenêtres grillées. Sont-ce des séjours paradisiaques ?

La vieille Bastille est rasée…soit.

La Santé et Saint-Lazare, les centrales et les bagnes, Nouméa et la Guyane, Biribi et Aniane… la Bastille est ressuscitée. Les casernes et les usines, l’atelier et le Gros Numéro, le couvent et le collège… la Bastille est ressuscitée.

Ah ! tu veux rire, bon populo, une ère de liberté est ouverte. Dis-moi donc quel jour, quelle heure tu es libre…Libre, entends-tu ?

Du berceau àla bière, tu passes par l’école, l’atelier, la caserne et encore l’atelier ; tu te maries, tu te syndiques, tu meurs selon des formules, éternel jouet de l’autorité sous toutes ses formes : père, prêtre, patron, gouvernant, galonnard. Est-ce cela ta liberté ?
La Bastille n’est pas rasée. La liberté est encore àvenir.

Ta fête est un leurre.
Ton 14 juillet est une mascarade
.

Crois-moi, bon Populo, la Bastille àrenverser ne tombe pas sous les coups tangibles de ta force brutale. Tu pourras détruire successivement des centaines de bastilles, accrocher àla lanterne des milliers d’aristocrates, raccourcir des dizaines de Capet, la Bastille sera debout, l’ère de la liberté sera àvenir.

L’ennemi le plus âpre àcombattre est en toi, il est ancré en ton cerveau. Il est un, mais il a divers masques : il est le préjugé Dieu, le préjugé Patrie, le préjugé Famille, le préjugé Propriété. Il s’appel Autorité, la sainte bastille Autorité, devant laquelle se plient tous les corps et tous les cerveaux.

Peuple, tant que le monstre existe, il ne saurait y avoir ni repos ni fête.

Chaque jour de perdu est un jour de recul.

En lutte, peuple, pour plus de bonheur, pour plus de beauté.

Mais, sache-le bien, la lutte n’est pas contre telle ou telle bastille, contre tel ou tel maître, elle est contre « la  » Bastille sous toutes ses formes, contre « le  » maître, sous toutes ses faces.

Pour tuer le poulpe, il faut frapper àla tête, car les membres renaissent. Pour détruire la Bastille, il faut démolir l’autorité, base fondamentale, car les murs se rebâtissent.

Et le jour où le monstre sera abattu, si tu en as le désir encore, tu pourras fêter le 14 juillet ; la Bastille sera rasée, la terre enfin libérée verra des hommes libres.

Or donc, sus àl’autorité !

Albert Libertad, in l’anarchie 12 juillet 1906