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Notes sur l’anarchisme insurrectionnaliste

mercredi 11 février 2009

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L’anarchisme insurrectionnaliste n’est pas une solution idéologique àtout les problèmes sociaux, un produit sur les étals du marché des idéologies et des opinions, mais une pratique en mouvement qui vise àmettre fin àla domination de l’Etat et àl’écoulement tranquille du capitalisme. Nous ne sommes pas àla recherche d’une société idéale fournie clé en main, ni d’une utopie consommable.

A travers l’histoire, la plupart des anarchistes, hormis ceux qui pensaient que l’Etat s’effondrerait de lui-même, ont été des anarchistes insurrectionnalistes. Plus simplement, cela signifie que l’Etat ne fanera pas petit àpetit àla manière d’une fleur. Voici la raison pour laquelle les anarchistes doivent attaquer, car l’attente, c’est la défaite. Ce qui importe, c’est la mutinerie ouverte et la diffusion d’une pensée et de pratiques subversives parmi les exploités et tout ceux qui subissent la domination. Voici quelques pistes sur les implications que les anarchistes insurrectionalistes souhaitent dessiner quant àce problème global. Si l’Etat ne peut pas tomber de lui-même, comment alors en finir avec son existence ?

Il s’agit donc, dans un premier temps, d’une pratique qui se concentre sur l’organisation de l’attaque. Ces quelques lignes ne sont en aucun cas closes ou terminées, elles doivent être l’objet d’un débat constant.

I] L’Etat ne disparaîtra pas seul ; Attaque.

  L’Etat ne se fanera pas, contrairement àce que semblent penser nombreux anarchistes. Non seulement retranchés dans la position abstraite de l’attente du grand soir, certains condamnent même les actes de ceux pour qui la construction d’un nouveau monde dépend de la destruction de l’ancien. L’attaque, c’est le refus de la médiation, de la pacification, du sacrifice, de l’accommodation et du compromis.

  C’est àtravers l’acte et sa mise au point, et pas uniquement àtravers la propagande, que nous ouvrirons le chemin àl’insurrection. Bien que la propagande ait un rôle important dans la clarification de l’agir. L’attente n’apprends que l’attente. Dans l’acte, on apprend l’agir.

  La force d’une insurrection provient de son caractère social, non de son degré de militarisation. Le mètre-étalon pour évaluer l’importance d’une révolte généralisée n’est pas le conflit armé, mais plutôt son amplitude et sa propension àrendre opérante la paralysie de l’économie et de la normalité.

II] Auto-accomplissement contre gestion de la révolte.

  En tant qu’anarchistes, la transformation profonde de cette société est notre point de référence constant, peu importe notre activité et peu importe le contexte. Mais le mythe de la révolution n’est pas uniquement un mythe pour servir de point de référence. Précisément parce que c’est un événement concret, il doit être construit quotidiennement par des tentatives plus modestes qui n’ont pas toutes les caractéristiques d’émancipation de la révolution sociale. Ces tentatives plus modestes sont des insurrections. En elles, la rencontre des plus exploités et des minorités les plus sensibles aux phénomènes de domination ouvre la voie àl’implication de strates encore plus large d’exploités, dans un flux de rébellion qui pourrait amener àla révolution.

  Les luttes doivent être développées, tant àcourt terme qu’àlong terme. Des stratégies claires sont nécessaires pour permettre aux différentes méthodes d’être utilisées de façon coordonnée et fructueuse.

  Action autonome : l’auto organisation des luttes signifie que ceux qui luttent sont autonomes dans leurs décisions et dans leurs actions ; àl’opposé total d’une organisation de synthèse qui essaye toujours de prendre le contrôle des luttes. Les luttes qui sont mises sous tutelle et dirigées par une organisation de direction unilatérale sont facilement intégrables dans la structure du pouvoir de la société présente. Les luttes Auto-organisées sont par leur nature incontrôlables lorsque étendues àtravers le terrain social.

III] Incontrolabilité contre gestion de la révolte : propager l’attaque.

  Il est impossible de jauger le résultat d’une lutte spécifique par avance. Même une lutte limitée peut avoir les conséquences les plus inattendues. Aucune méthode ne peut permettre de garantir le passage des insurrections diverses - limitées et circonscrites - àla révolution.

  Ce dont le système a peur, ce ne sont pas tant les actes de sabotage en eux-mêmes, que leur capacité àse diffuser socialement. Chaque individu qui dispose même des moyens les plus modestes peut atteindre des objectifs, seul ou avec d’autres. Il est matériellement impossible pour l’État et le capital de surveiller les outils de contrôle qui opèrent tout le long de son territoire. N’importe qui souhaitant réellement contester la société de contrôle peut apporter sa contribution théorique et pratique propre àce dessein. L’apparition du premier lien brisé coïncide avec la diffusion des actes de sabotage. La pratique anonyme d’auto libération sociale pourrait s’étendre àtous les champs, en cassant les codes de prévention mis en place par le pouvoir.

  De petites actions, donc facilement reproductible et exigeant peu de sophistication les rendant accessibles àtous, sont par leur simplicité et leur spontanéité, incontrôlables. Elles permettent également de desacraliser les développements technologiques les plus avancés dans le domaine de la contre-insurrection.

IV] Conflictualité permanente contre médiation avec les forces institutionnelles.

  La conflictualité doit être vue comme un élément permanent de la lutte contre le pouvoir. Une lutte àlaquelle il manque la conflictualité finit toujours par nous pousser dans les bras de la médiation avec les institutions et nous habitue àdéléguer et àcroire en une illusoire émancipation par le biais des politiciens et des décrets parlementaires, parfois jusqu’àparticiper nous-même ànotre propre servitude et ànotre exploitation.

  Il pourrait peut-être y avoir des raisons individuelles àdouter de la tentative d’atteindre ses buts par des moyens violents. Mais quand la non-violence en vient às’élever au statut de principe inviolable et que la réalité est divisée en « bien » et en « mal », les arguments cessent d’avoir de la valeur et l’on voit tout en termes de soumission et d’obéissance. Les fonctionnaires du mouvement alter mondialiste, en se distançant et en dénonçant d’autres pratiques ont clarifié un point en particulier : ils voient leurs combat - auquel ils se sentent attachés par le devoir - comme une simple réclamation au pouvoir, un service demandé àsa majesté.

V] Illégalité ; L’insurrection ce n’est pas juste brà»ler une banque.

  L’anarchisme insurrectionaliste n’est pas une morale de la survie : nous survivons tous de diverses façons, souvent dans un compromis de tout instant avec le capital, selon notre position sociale, nos « talents  » et nos goà»ts. Nous ne sommes certainement pas moralement contre l’utilisation de moyens illégaux pour nous libérer des chaînes de l’esclavage salarié afin de vivre et de continuer nos projets. Cependant nous ne faisons pas de fétichisme de l’illégalisme et ne le transformons pas en quelque religion que ce soit, avec ses martyrs et tout ce qui s’en suit. C’est un moyen parmi d’autres. Un bon moyen, mais un seul parmi d’autres.

VI] Organisation informelle ; ni organisation permanente, ni activisme, ni révolutionnaires professionnels.

Parti et syndicat contre l’auto organisation.

  Des profondes différences existent àl’intérieur du mouvement révolutionnaire : La tendance anarchiste portée sur le qualitatif et l’auto organisation et la tendance autoritaire, quantitativiste et pour la centralisation des luttes.

  L’organisation sert aux tâches concrètes. Ainsi nous sommes contre le parti, le syndicat et contre l’organisation permanente, lesquels tentent tous de synthétiser les luttes et tendent àdevenir les éléments d’une intégration àl’Etat et au capital, plutôt que de participer àleurs destructions. Leur but finit par devenir àmot plus ou moins couverts leurs existences propres. Dans les pires cas ils commencent d’ailleurs par construire leurs organisations avant même de retrouver ou de créer une lutte. Notre tâche est d’agir ; l’organisation en est un moyen. Ainsi nous sommes contre la délégation de l’action ou de la pratique àune organisation : nous avons besoin de l’action généralisée qui mène àl’insurrection, pas de devenir des gestionnaires de nos luttes. L’organisation ne doit pas être le moyen de la défense de certains intérêts, mais de l’attaque de certains autres.

  L’organisation informelle est basée sur le nombre de compagnons liés par une affinité commune ; son élément propulsif est toujours l’action. Et plus large sera la gamme de problèmes que ces compagnons affronteront, plus grande sera leur affinité. Il s’ensuit que l’organisation réelle, la capacité effective àagir ensemble, c’est-à-dire savoir où se trouver, l’étude et l’analyse collective de problèmes et le passage àl’acte, tout dépend du niveau d’affinité développés, et n’a aucun rapport avec un programme, une plate-forme, des drapeaux ou des partis plus ou moins camouflés. L’organisation anarchiste informelle est donc une organisation spécifique qui se réunit autour d’une affinité commune, de façon contingente.

La minorité anarchiste « et  » les exploités/dominés.

  Nous sommes des exploités et des dominés, c’est pourquoi notre tache est d’agir. Cependant certains critiquent toute les actions qui ne sont pas partie intégrante d’un mouvement social large et visible, ils nous reprochent d’agir « Ã la place du prolétariat  ». Ils conseillent l’analyse et l’attente, en lieu et en place des actes. Supposément, nous ne sommes pas exploités « Ã côté des exploités  » ; Il ne s’agit que d’une nouvelle séparation entre l’exploité et les dits « subversifs  ».

  Les anarchistes actifs ne sont pas esclaves du nombre, ils continuent d’agir contre le pouvoir même quand la conflictualité dite « de classe  » est quasi-inexistante. L’action anarchiste ne doit donc pas viser àorganiser et àdéfendre la classe des exploités dans une gigantesque organisation, mais doit identifier les différents aspects de la lutte et les mener àbien, àleurs conclusions offensives. Nous devons aussi nous éloigner des stéréotypes de grandes luttes massives et du concept de la croissance infinie d’un mouvement qui doit tout dominer et tout contrôler.

  Le rapport avec la multitude d’exploités ne peut pas être structuré comme quelque chose qui doit àtout prix supporter le passage de temps, c’est-à-dire être basé sur la croissance àl’infini et la résistance aux attaques des exploiteurs. Il doit avoir une dimension spécifique plus réduite, décidément celle de l’attaque, pas celle d’une relation d’avant ou d’arrière-garde.

  Nous pouvons commencer àconstruire notre lutte d’une telle façon que les conditions de la révolte puissent apparaître et que le conflit latent puisse se développer jusqu’àéclater ouvertement. De cette façon, un contact peut s’établir entre les révoltés.

VII] L’Individu et le social ; l’individualisme et le communisme : un faux problème.

  Nous embrassons le meilleur de l’individualisme et le meilleur du communisme.

  L’insurrection commence par le désir des individus de se débarrasser des circonstances contraintes et contrôlées, par le désir des individus de se réapproprier la capacité de créer leurs propres vies selon leur convenance. Cela exige qu’ils surmontent la séparation entre eux et leurs conditions d’existence. Car làoù les privilégiés contrôlent les conditions d’existence de tous, il est impossible aux individus de réellement déterminer leurs existences selon leurs propres termes. L’individualité peut seulement fleurir làoù l’égalité d’accès aux conditions d’existence devient la réalité sociale. Cette égalité d’accès est le communisme ; Ce que les individus font de cet accès, libre àeux et àceux qui les entourent. Il n’y a aucune contradiction entre l’individualité et le communisme.

VIII] Nous sommes les exploités ; nous sommes la contradiction, il n’est plus l’heure d’attendre.

 Certainement que le capitalisme contient des contradictions profondes qui le pousse vers des procédures d’ajustement, mais son évolution a toujours visé àgerer en ses termes les crises périodiques qui l’affligent et qu’il afflige. Mais nous ne pouvons pas nous bercer dans l’attente de ces crises. Quand elles arriveront, elles seront accueillies comme il se doit, si elles répondent aux exigences pour accélérer les éléments insurrectionnels. Ainsi le temps est toujours mà»r pour l’insurrection. Nous remarquons que l’humanité pourrait avoir mis fin àl’existence de l’état àchaque instant de son histoire. Une rupture dans la reproduction continuelle de ce système d’exploitation et d’oppression a toujours été possible.


Texte original en anglais paru chez Venomous Butterfly et Willful Disobedience, dans le N°2 de la revue Killing king Abacus, en 2001.
Traduction par Non Fides, 2009.
Nous nous sommes permis d’adapter quelque peu ce texte, sans toutefois ne jamais dévier de son essence. Pour lire le texte dans sa version originale, cliquez ici.
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