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Om sweet om

L’édifiante histoire du Stonedhenge Festival, des Convoys, des Mutoids…

dimanche 21 février 2010

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En général, la vie dans les rues, et les grands
rassemblements sociaux autres que ceux
rattachés directement àla consommation de masse et
médiatisés par elle sont regardés de façon extrêmement
suspicieuse par l’Etat britannique. Lequel planifie
et organise sciemment l’environnement pour s’y
opposer. Les espaces àl’air libre, tels que les places
publiques des villes continentales où les individus
vont simplement s’étendre, se rencontrer et établir
des relations sociales sans réaliser aucune activité
particulière de consommateur – comme consommer
de l’alcool, écouter de la musique, faire du sport –, à
titre de justification pour appartenir àtelle ou telle
forme d’association officielle, sont difficiles àtrouver
ici. De plus en plus, lorsque vous souhaitez occuper
de l’espace, vous devez payer pour avoir l’autorisation
de le faire.

Les festivals libres sur des terrains ruraux squattés
dans les années 1970 constituaient, en grande
partie, des extensions du massif mouvement des
squats londoniens de la même époque. Les premiers
participants étant principalement des hippies ruraux
et des squatters londoniens, de telles rencontres
étaient le prolongement de leur mode de vie organisé
autour de la résistance au travail et dépassant les
limites propres àla structure familiale isolée. Déjà,
de tels festivals permettaient au moins aux chômeurs et aux parents célibataires d’échapper, àbon marché, àla métropole urbaine. Ils
procuraient aux parents et aux enfants des environnements sà»rs et spacieux au sein
desquels il était possible de vivre plus indépendamment les uns des autres, libérés de
certaines de leurs limitations habituelles, telles que la pression due àla survie dans
des espaces confinés et la nécessité de la surveillance parentale constante.
Les premiers petits festivals annuels de Stonedhenge, ainsi que d’autres antérieurs à
eux, étaient organisés àl’initiative de deux àtrois cents personnes et l’ingérence du
marché étaient consciemment limitée au strict minimum. La nourriture était acquise
et partagée collectivement, ceux qui ne pouvaient pas
la payer n’y étaient pas obligés, et les divertissements
en tous genres, par exemple musicaux, étaient
spontanés et informels, par contraste avec ce qui arriva
ultérieurement. A ce stade, les drogues qui furent par
la suite au centre de l’économie du festival et de sa vie
sociale étaient librement distribuées ou vendues sans
bénéfices, et leur consommation n’était pas encore
aussi fétichisée qu’elle le devint plus tard [1].

Comme le festival gonflait d’année en année, il dura plus longtemps, occupa plus
d’espace et les forces du marché le dominèrent de plus en plus. La place occupée
par la musique et les orchestres devint dominante, avec des scènes où le rock était
mis en vitrine et àpartir desquelles la concurrence prit de l’ampleur pour attirer
l’attention du public. Par suite, la masse de ceux qui allaient au festival était réduire
au rôle d’auditrice passive. De toute façon, la technologie des groupes de musiciens se
pavanant sur scène était inévitablement hors de son contrôle, entre les mains de cette
élite restreinte – l’accès aux coulisses et aux planches était filtré – et le seul rôle qui
lui restait était « d’encaisser les sons  ». Quant àla communication d’informations
d’intérêt général, elle était maintenant ravalée àla diffusion « d’annonces publiques  »
contrôlées par le système de sonorisation du podium principal. Il était impossible
d’échapper au bruit constant dudit système dans le périmètre du festival.
De plus, des secteurs important de l’espace furent occupés par des mercantis vendant
toutes sortes de marchandises dans leurs camionnettes et sur leurs étalages. Et
comme d’autres festivals d’été étaient mis sur pied dans diverses régions du pays, il
devint possible de passer la saison en voyageant de l’un àl’autre. Ce qui contribua à
la formation de groupes permanents de voyageurs itinérants. Certains, àla recherche
de moyens de survie, développèrent encore plus l’économie festivalière en vendant de la nourriture, de la drogue, etc., avec profit. Comme de tels groupes se multipliaient,
la presse commença àmythifier les plus combatifs, comme The Convoy, bien qu’il y
en ait eu d’autres avant que le Convoi pour la paix soit constitué.
A la fin des années 1970 et au début des années 1980, de jeunes punks firent
régulièrement leur apparition au festival de Stonedhenge de même que sur les
scènes des squats londoniens. Bien que le punk soit en général anti-hippy, l’orchestre
anarcho-punk Crass et le mode de vie politique, influent, qu’il affichait relevaient
largement de la remise au goà»t du jour du festival « hippy  » originel et de la scène des
squats auxquels ils avaient pris part avant leur mutation punk. Mais, dans les toutes
dernières années de Stonedhenge, quelque 40 000 à50 000 personnes assistaient à
cette manifestation culturelle qui durait un mois. L’éthique du marché y était devenue
prédominance, avec des poteaux indicateurs signalant l’emplacement des dealers de
votre drogue favorite, telle quelque manifestation surréaliste issue de fantasmes
libertariens ultraréformistes : « l’économie sans contraintes  ». Des centaines de
milliers de livres sterling ont dà» changer de mains dans des transactions de drogue.

Il n’est pas évident de comprendre pourquoi l’Etat
a permis si longtemps àde telles choses de perdurer
et de prendre de l’extension. Mais dans l’un des
cas au moins, ses motifs sont devenus limpides
ultérieurement. En 1976 – deux ans après la massive,
brutale et controversée répression du libre festival de
Winsor en 1974, lequel était localisé sur Great Park
dans Queen’s Back Garden –, Sid Rawles, politicien
hippy et porte-parole autoproclamé, négocia l’utilisation
de Watchfield, aérodrome désaffecté dans le comté de Berkshire, àtitre de
site de remplacement. Comme le raconta plus tard l’un des flics mis en cause [2], ce
festival fut utilisé comme point de départ de l’Opération Julie, laquelle fut couronnée
de succès grâce àl’infiltration et àla destruction de la principale organisation
productrice de LSD dans le monde àl’époque.
Quand l’Etat liquida finalement Stonedhenge en 1985, l’économie saisonnière dont
les itinérants avait fini par dépendre prit fin avec lui. L’ pendre Lune de leurs fractions s’adapta
en rentrant en ville et commença àoccuper de vastes espaces industriels vides où elle
pouvait vivre et acquérir des revenus en faisant payer aux gens les spectacles culturels
qu’ils montaient eux-mêmes. La Mutoid Waste Compagny incorporait l’étalage
de leurs sculptures de junkies, faites de débris industriels, dans les fines parties d’entrepôt qu’elle leur préparait. Comme dans n’importe quel club, les Mutoids
avaient mis des videurs àla porte et ils faisaient payer plus de 25 livres sterling par
tête pour l’utilisation de leur espace squatté. A l’image de toute autre avant-garde
artistique, laquelle joue communément le rôle de rampe de lancement pour ce qui
veut devenir plus rentable et aller dans le sens du vent, la Mutoid a capitalisé sur ses
origines « alternatives  ». Récemment, les Mutoids ont été payés 14 000 livres sterling
pour concevoir la publicité de bières blondes hollandaises et leurs sculptures ont été
exposées aux Docklands, au cours de l’extravagant concert de Jean-Michel Jarre, avec
présentation àla loge royale.

Les festivals ont reconduit toutes les forces mais aussi les faiblesses de la contreculture
qui les a engendrés. Tandis que des participants se considéraient comme les
héritiers conscients de l’expérience des Diggers du XVIIe siècle, àtravers l’occupation
massive du sol et la vie collective, il coexistait avec de telles tendances les habituelles
confusions et illusions sur les modes de vie alternatifs. Le repli de certains d’entre
eux sur des causes perdues comme le mysticisme, et l’usage des drogues pour
échapper àla réalité encouragèrent la croyance selon laquelle, dans les limites du
festival – ou même dans votre propre tête –, des « zones libérées  » avaient été créées.
Il est vrai que, pendant les dix ans de Stonedhenge, les flics n’ont pas pu nettoyer le
festival et que, àl’occasion, ils ont été attaqués et jetés dehors (le seul moyen qui leur
restait était la destruction ou la récupération), mais le capital dispose des plus subtils
moyens pour maintenir sa domination. L’absence de critiques pratiques durables des
relations marchandes conduisit àces conséquences inévitables.
Les centres squattés qui ont émergé sur la scène des squats londoniens àpeu près àla
même époque que les festivals connurent le même processus de commercialisation.
La tentative initiale de récupérer et de transformer l’usage de l’espace en le libérant
de la domination du marché fut progressivement remise en cause par les forces
marchandes se réimposant d’elles-mêmes et dominant, comme d’habitude, les
relations sociales.

Texte tiré du recueil No reservations,
publié àLondres àla fin des années 1980.



[1En soulignant ces aspects
positifs, nous ne tentons
de romancer ou d’ignorer
les limites des premiers
festivals. Ils ressemblaient
déjàen partie àdes camps
de vacances autogérés ou à
des camps de loisirs pour
pauvres et marginaux…

[2Voir, parmi d’autres,
l’opuscule nommé Busted,
l’un des livres écrits par
le détective Richarson, le
« flic hippy  » infiltré dans
le monde des festivals
alternatifs et totalement
impliqué dans l’Opération
Julie…