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Pris dans la toile

samedi 1er avril 2017

En quelques décennies, le monde entier a été recouvert par différentes nouvelles toiles. Internet, réseau de téléphonie mobile & co… Avec quelle rapidité cette toile allait se développer, àquel point elle se tisse de manière toujours plus serrée… quasiment personne n’aurait osé le prédire. Les câbles en fibre optique tirés comme des veines sous les villes, les signaux vibrant dans l’air àtoujours plus haute fréquence, les antennes, les modems, les portables, le wifi, le home monitoring, les objets « intelligents  », les smart cities…

Aujourd’hui, on parle de manière inflationniste de réseaux sociaux, de mise en réseau, de toile, etc. Ces concepts se frayent un chemin dans le vocabulaire des entreprises, de la politique, de groupes d’intérêts et de cercles d’amis… en réalité, on en entend parler presque partout. Cela correspond àune transformation complète des théories sur l’organisation, ce qui ne devrait pas surprendre, puisqu’en même temps l’ensemble de la société se restructure sur de nouvelles bases.

Mais quel est le but d’une toile ? C’est clair : une araignée tisse sa toile pour attraper des insectes qu’elle peut ensuite dévorer vivants. Un pêcheur a besoin de filet pour attraper des poissons. Alors àquoi sert le magnifique nouveau réseau qui s’étend sur le monde entier, élaboré par différentes entreprises et institutions étatiques et dont le développement semble sans fin ? Et bien, ceux qui le tissent et le financent visent avant tout àune chose : le Capital. Tout ce qu’attrape ce réseau se transforme en informations sous forme de zéros et de uns, en informations potentiellement exploitables représentant davantage de capital pour les « up to date  ».

Ce réseau se déploie depuis maintenant quelques décennies, et beaucoup y voient encore un bon potentiel de développement. Pourquoi ne pas intensifier son extension au-dessus de l’architecture urbaine ? Le faire pénétrer dans les appartements ? Ou même àl’intérieur des corps humains ? Cela fournirait bien plus d’informations encore. De l’information détaillée, de l’information supposément susceptible de refléter l’ensemble de la réalité, ce qui équivaudrait àencore beaucoup plus de capital. Du capital sous forme de sécurité, de contrôle, de vitesse, de prévisions et de prévisibilité…

La restructuration actuelle destinée àperpétuer le capitalisme provoque aussi des changements dans les rapports sociaux. Cela se dessine depuis longtemps. On renonce de plus en plus àcertaines choses aujourd’hui quelque peu démodées, même si cela pourrait bien sà»r changer encore àl’avenir. Dans la famille, àl’école, au travail, les comportements personnels directement et ouvertement autoritaires se transforment au fur et àmesure que la relation humaine directe et non médiée passe en tant que telle progressivement àl’arrière plan. Ils cèdent régulièrement la place àla logique de réseaux collaboratifs, des réseaux "transparents" constituant dans le meilleur des cas une maille productive supplémentaire dans la grande toile. La domination en devient de plus en plus impersonnelle, et il est toujours plus difficile de voir selon quel algorithme nous sommes en train de danser, comment il a été programmé et qui contrôle le programme… Comme des mouches dans une toile d’araignée, nous voilàbien englué-e-s, àla différence près que selon toutes les apparences, il semble que nous ayons été privé-e-s de l’instinct de nous faufiler et de tout simplement essayer de nous échapper en volant. Souvent, nous ne savons même plus ce que voler veut dire.

A mon avis, en tant qu’anarchistes, nous ne devrions pas accepter si facilement le discours des réseaux etc. La toile est un filet pour attraper, dans lequel on s’empêtre et duquel on peut àpeine sortir. Nous devrions bien plus baser nos luttes sur une organisation souple, une libre association pouvant toujours et directement être déliée par celles et ceux qui y participent àpartir du moment où cela fait sens, et préférer le rapport non médié, refusant les normes sociales et toute hiérarchie, au-delàdes algorithmes et des programmes.

Et pendant que manifestement beaucoup tombent littéralement comme des mouches dans la toile, appâté-e-s ad nauseam par des images scintillantes, des commodités et des gadgets faciles, nous ferions mieux de réfléchir àcomment passer àtravers les mailles du filet, comment en briser les fils, jusqu’àce que l’ensemble de la toile se déchire !

[Traduit de l’allemand du journal anarchiste Dissonanz n°43, Zurich (Suisse), 16 février 2017, pp. 1-2, par Brèves du Désordre.]