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Une vie sans Etat ni argent ni autorité au-dessus de nos têtes ?

Edito de Lucioles n°5

lundi 12 décembre 2011

Cela fait un an que nous diffusons ce bulletin dans les rues de Belleville, àla sortie du métro, dans les bars, librairies, laveries, àchacun sa manière de se le procurer. Pourtant, ce sont toujours les mêmes questions qui nous sont posées. C’est quoi l’anarchie ? Comment vivre sans argent, sans Etat, sans prisons, concrètement. Au préalable, nous répétons toujours que nous ne sommes pas des politiciens et que nous ne faisons pas de la politique. Tout simplement, nous ne prétendons pas posséder de recette, de programme ou de solution livrée clé en main àla misère de ce monde. Nous ne souhaitons pas que les gens nous suivent, aussi vrai que nous ne voulons suivre ni obéir àpersonne, nous ne sommes pas des militants. Il appartient àchacun de trouver sa propre façon de lutter, de porter des coups àceux qui nous pourrissent la vie, aucune nécessité de rendre des comptes àquiconque. Nous ne voulons pas d’une énième organisation inutile dont le seul but serait de se perpétuer dans de vieilles formes malgré l’évolution rapide du monde, nous sommes des individus, pas des soldats. Mais si nous n’avons pas de solution, alors pourquoi lutter ? Parce que nous faisons le pari qu’un monde libéré au maximum de la domination est possible, et si nous nous trompons, alors tant pis, au moins nous n’aurons jamais trahi nos désirs profonds de liberté, au moins, nous avons rêvé, mêmes éveillés, alors que tant d’autres se sont noyés dans la misère et l’isolement. Dans ce numéro, comme dans les numéros précédents et futurs, nous parlerons de liberté. Qu’il s’agisse de la liberté en général, de divers épisodes de liberté ou d’entraves àcelle-ci. Alors bonne lecture.

Nous nous opposons par tous les moyens qui nous semblent justes, àtout ce qui se place sur le chemin de notre liberté. Pour cette raison, nous voulons en finir avec l’Etat, avec tous les États. Nous voulons en finir avec l’économie et nous débarrasser de toute forme d’autorité, qu’elle soit institutionnelle, formelle ou informelle, physique, morale ou mentale. Bien sà»r, il ne s’agit pas d’un jeu consistant àpisser plus loin que tout le monde : abolir toute forme d’autorité, dans nos bouches, ne signifie pas abolir l’autorité de soi sur soi-même. Entendre par là, notre capacité àcontrôler avec justesse nos sentiments et nos passions au gré des événements, àfaire preuve de discernement dans nos façons de s’associer librement avec nos semblables.

Ce monde que nous portons dans nos cÅ“urs est incompatible avec celui-ci. Et toutes les tentatives du passé ont montré qu’il ne servait àrien d’essayer d’expérimenter la liberté totale dans son coin sans avoir préalablement détruit l’autorité. On s’amuse, on s’amuse, mais un jour ou l’autre, un propriétaire viendra réclamer ses terres, un flic ou un gendarme viendra défoncer la porte, la société se venge toujours de ses marges. Pour ces quelques raisons nous voulons détruire la société, par l’intelligence si possible, et par la force si nécessaire. Tout ce qui affaiblit le pouvoir, le déstabilise, l’abolit et qui ne perd pas de vue le monde débarrassé de toute domination que nous portons dans nos cÅ“urs, tout cela est bon, c’est de cela que se nourrit ce journal.
Oui, nous sommes révolutionnaires, et nous n’avons pas peur de le dire. Il n’est question d’aucune clandestinité, nous sommes prompt àporter nos idées avec nous dans la rue, àfaire nos propositions de rupture avec l’existant àquiconque veut bien prendre son temps pour discuter. La police a beau nous harceler, nous incarcérer, nous tuer, nous sommes des millions àtravers le monde àcombattre l’ordre, de mille manières différentes, anarchistes ou non, révoltés avant tout.
Notre but n’est pas de faire peur, il n’est pas non plus de se donner une bonne image ni d’être respectables, notre but est la transformation du monde et des rapports qui régissent les relations entre humains. Nous voulons uniquement vivre nos existences libérées de toute contrainte extérieure, des chefs, des flics, des juges, des profs, des citoyens et de toutes les autres canailles. Peut être bien que faire peur ànos ennemis ne nous dérange pas plus que ça, certes, mais cela n’est en aucun cas un but profond de notre action.

Avec ce journal, nous essayons modestement de contribuer àla pollinisation de la révolte contre l’existant, àla discussion et àla diffusion de nos idées, souvent appelées « anarchistes  ». Et si nous souhaitons imposer notre liberté àquiconque aurait pour volonté de l’entraver, nous ne souhaitons pas particulièrement imposer l’anarchie àquiconque n’en voudrait pas. De toute manière, l’anarchie est affaire de relations consenties, de libre-association des individus et d’entraide, autant de choses qui nécessitent la réciprocité et la volonté de mettre la main àla patte sans y être forcé par une autorité quelconque, fut-elle anarchiste.

Lorsque les médias nous décrivent telle une horde de barbares assoiffés de sang, comme des terroristes, ils ne font qu’entretenir un fantasme qui fait bien leur affaire. On pourra alors attribuer des pratiques répandues et vieilles comme le monde àde petits groupes d’agitateurs iconoclastes reconnus afin de pouvoir les isoler, et d’une pierre deux coups, de pouvoir bannir ces pratiques en les qualifiant de criminelles, hors-la-loi ou terroriste. Nous parlons bien sur de toutes les formes de rétributions sociales vieilles comme la domination : L’attaque, la vengeance sociale, le sabotage, l’incendie, l’émeute ou le scandale en font partie. Les insurrections ne sont pas menées par quelques bandes d’anarchistes organisés en tant que tel, mais par des foules de révoltés. A travers l’histoire, les anarchistes ont toujours participé aux révoltes et aux insurrections de leur temps, mais ils n’ont jamais cherché àen prendre la tête, ils ont toujours lutté àl’intérieur comme àl’extérieur de toute révolution afin de se débarrasser des chefs. Nous ne sommes pas des adorateurs de la violence, celle-ci n’est qu’un moyen adapté pour parvenir ànos fins, elle est nécessaire mais elle n’est en rien une fin en soi.

Si tu n’es pas prêt àremettre en question cette vie de merde, alors nul besoin que ce journal n’effleure même que ton groin. Si tu es prêt àmettre ta vie en jeu pour protéger la domination, alors tu es un problème et nous devrons nous combattre jusqu’àce que l’un de nous cède, et nous ne cédons pas. Si par contre, tu es prêt àte mettre en jeu pour en finir avec ce triste monde fétide, et bien alors, peut être bien que ce journal t’intéressa parce qu’il y est question de rage, de liberté, de la guerre sociale en cours depuis toujours. Il est le produit de la libre-association de quelques anarchistes dans le but ponctuel de sa conception et de sa diffusion. Il s’agit d’emmerder nos ennemis, de pointer du doigt les responsables de notre oppression et de donner de la force ànos amis, amants, compagnons, frères et sÅ“ur de lutte qui se sentent isolés dans cette vallée de larmes.

Voilà, peut être comprends-tu mieux maintenant ce que nous voulons faire avec ce bout de papier. Qui sait, peut être pouvons nous nous entendre pour conspirer contre ce monde, quitte àjeter quelques coups d’épée dans le vent comme Don Quichotte, quitte àen finir une bonne fois pour toute avec le pouvoir.

On ne sait jamais.

« Que le poète transforme sa lyre en poignard !
Que le philosophe transforme sa sonde en bombe !
Que le pêcheur transforme sa rame en une formidable hache.
Que le mineur sorte des antres étouffantes des mines obscures armé de son fer brillant.
Que le paysan transforme sa bêche féconde en une lance guerrière.
Que l’ouvrier transforme son marteau en faux et en haches.
Et en avant, en avant, en avant !  »

Renzo Novatore, 1921

[Extrait de Lucioles n°5, bulletin anarchiste du Nord-Est de Paris, novembre/décembre 2011.]