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Grèce : L’évasion des onze, Roupakiotis et le retour des prisons aux années 90
mardi 14 mai 2013
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M. Roupakiotis [Ministre de la Justice] a annoncé de nouvelles mesures sous le prétexte de l’évasion massive réussie à la prison de Trikala [1]. Évidemment, il lui paraît incompréhensible qu’il existe des hommes qui réclament leur liberté sans faire de marchandages sur la procédure. Ainsi, il ne se contente pas des représailles de genre nazi et du principe de responsabilité collective qui s’est appliqué en ordonnant des descentes d’EKAM [unité anti-terroriste] dans beaucoup de prisons du pays. Descentes durant lesquelles les EKAM ont causé des dégâts dans les cellules et sur les objets personnels des prisonniers, tandis que dans de nombreux cas ils ont agi violemment en hommes de main du pouvoir.
De nouvelles mesures que M. Roupakiotis crie sur tous les toits avec une naïveté malsaine que seul un M. Dendias [Ministre de l’Intérieur] pourrait imiter. Il a cédé une partie importante du contrôle des prisonniers à des forces de police tandis qu’il annonce la mise en place d’une prison disciplinaire à super-haute sécurité ! Il rétablit donc deux mesures que les luttes sanglantes menées par les prisonniers durant la décennie ’90 avaient fait abroger. Luttes que M. Roupakiotis, alors qu’il exerçait la profession d’avocat et non celle de marionnette de la troïka, avait trouvées justes.
Naturellement, il n’est pas étonnant que le dogme de la loi et de l’ordre s’applique aussi dans les prisons. Ce n’est pas surprenant car c’est son terrain naturel et que les prisonniers en sont par excellence le sujet. Mais il ne faut pas seulement être incapable en tant que ministre, mais complètement idiot pour ne pas comprendre que ces mesures ne signifieront pas la fin des évasions, mais la fin des évasions sans effusions de sang.
En peu de mots, la vie du prisonnier, qui est de toute manière déjà difficile et presque dénudée de tout droit, viendra être alourdie par les entrées et fouilles à volonté de la police dans l’espace personnel - ici la cellule - et le retour de n’importe quelle vendetta de leur part, comme expliqué dans ma précédente lettre à propos des fouilles - représailles qu’ont mené les EKAM dans les prisons de Trikala et de Korydallos. À partir de là , chaque prisonnier qui résiste à cette humiliation devra s’attendre à la prison disciplinaire super-haute sécurité où il sera dépourvu - "limité", comme ils le disent élégamment au ministère - de lien avec le monde dehors. Le prisonnier restera donc totalement vulnérable à l’arbitraire étatique, car s’il y a un moyen de résister à n’importe quel abus d’autorité, c’est la communication pour rendre publique sa situation.
La corruption de l’administration pénitentiaire, dans les prisons grecques, peut certes parfois ouvrir la voie à l’évasion. Mais M. Roupakiotis devrait apprendre que la corruption dans les prisons grecques est un choix administratif, qu’elle est une soupape de sécurité et non une faiblesse. Durant la dernière décennie, l’administration pénitentiaire a préféré la carotte de la corruption au fouet de la tolérance zéro pour maintenir un certain niveau de paix sociale dans les prisons, parce qu’elle sait très bien qu’elles sont un chaudron en ébullition...
Un chaudron en ébullition, parce que M. Roupakiotis et tous ses prédécesseurs ne se sont jamais demandé pourquoi tant de milliers de personnes entrent en prison, mais seulement comment se sont évadés les 11 [de Trikala] et voilà tout. Parce qu’ils n’ont jamais contrôlé pourquoi tant de milliers de personnes sont condamnées à des peines hideuses et lourdes avec des preuves qui ne tiendraient même pas face à un tribunal de bistrot. Qu’il laisse les prisons disciplinaires à leur place dans les limbes de l’histoire, et qu’il s’occupe des problèmes qui sont réellement de ses compétences. C’est-à -dire comment fonctionne la justice pénale en Grèce, où les tribunaux distribuent les peines "au pif", comme s’ils notaient seulement le volume du dossier, menant les prisons à la surpopulation.
Et enfin qu’il visite une fois une aile de détenus, en dehors des bureaux du directeur et du gardien-chef, pour voir comment y vivent les gens pendant des années interminables. Et s’il admet que même lui ne tenterait pas de s’échapper à tout prix, alors il pourra prendre toutes les mesures qu’il veut...
Tasos Theofilou
Détenu à prison de Domokos
2 avril 2013
[Traduit du grec par nos soins de Tameio.]