Accueil > Articles > Sur le monde carcéral > Correspondances Carcérales > Lettre de Damien depuis la maison d’arrêt de Villepinte (Octobre (...)

Lettre de Damien depuis la maison d’arrêt de Villepinte (Octobre 2008)

« J’espère que dehors vous vous amusez bien, et que la crise fait des ravages  »

samedi 25 octobre 2008

Salut àtous, quelques nouvelles de Villepinte, je suis toujours
làdans la même cellule. La prison est surpeuplée, 1 000 détenus
pour 690 places ; il faut attendre six-sept mois pour être
seul […]. J’écoute pas mal la radio, notamment les émissions
sur FPP. Bon c’est un peu fourre-tout FPP. Tu peux avoir deux
émissions àla suite qui disent des trucs politiquement contradictoires,
mais c’est quand même bien plus intéressant que
tout le reste qu’on peut entendre. Et encore une fois, ça permet
de savoir un peu ce qui se passe dehors. Voilà.

Ensuite, les journées se répètent, assez identiques. J’ai pris
mes marques petit àpetit, je connais mieux et plus de gens ce
qui permet aussi de se retrouver autour de certaines discussions.
Évidemment il n’y a pas d’homogénéité entre les prisonniers
du chef d’entreprise dans des activités illégales au
mec qui a pété un plomb àun moment (pour des raisons passionnelles
ou autres) en passant par ceux qui ont fait un peu de
business pour sortir la tête de l’eau, on partage pas forcément
plus entre nous que le fait d’avoir un numéro d’écrou. Il y a
aussi beaucoup dans mon bâtiment 1/3 environ de latinos qui
se sont fait attraper àRoissy en passant de la coke. C’est dur
pour eux, ils n’ont personne ici, ils ne parlent pas le français.
Ils n’attendent que de se faire expulser vers leur pays àla moitié
de leur peine, s’ils ont de la chance.

De mon côté ça va àpeu près, je m’habitue àl’enfermement,
àla répétition des journées identiques. Ça m’impressionne
d’ailleurs, c‘est même un peu effrayant de voir comme on peut
s’habituer àcette fausse vie. On s’habitue àtout, comme on
dit. Ces temps-ci j’ai plus de mal avec l’infantilisation permanente,
le fait de devoir demander pour tout et l’arbitraire total
du règlement, qui donne l’impression de changer au jour le
jour en fonction des surveillants et de leur humeur. C’est fatigant
et humiliant de se sentir dépendant de se sentir àla merci
de leur bon vouloir ou de leur mépris pour les douches, pour
recevoir ou non des CD, pour pas qu’ils oublient de te sortir
de cellule, ou pour aller au sport, ou pour un rendez-vous
médical. C’est dans toutes ces petites interactions de merde
qu’on sent que la prison cherche àte rabaisser, àte faire plier
en permanence, àte faire sentir que t’as fauté et que tu dois
expier.

La semaine dernière, il y a eu une évasion d’un mec qui a
échappé àson escorte en allant àl’hôpital. C’était drôle, les
surveillants avaient l’air vraiment dégoà»tés, comme un affront
fait àtoute leur fonction. […] Pendant les journées d’extraction,
tu sens vraiment tout le poids de la justice qui te traque
dans ton corps, dans ton passé. En une journée, t’as quatre
fouilles ànu, l’aller-retour entre la prison et le tribunal sous
escorte, des heures d’attente dans les cellules pourries du
dépôt, des dizaines d’ERIS cagoulés partout (bon ils étaient là
pour le procès Ferrara, pas pour moi…), une juge qui cherche
dans ton passé ce qui pourrait lui servir àcharge dans ton instruction,
c’est un peu lourd tout ça. Voilàpour les nouvelles de
mon côté.

J’espère que dehors vous vous amusez bien, que la crise fait
des ravages et amène spontanément les masses àsortir dans les
rues et que vous en profitez ; bref, j’espère qu’il se passe plein
de trucs dont évidemment mon Libé quotidien ne parle pas.
Je pense bien àvous, àbientôt.

Damien.

Lettre publiée dans L’Envolée N°24.