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A propos de l’appel au camp de Valognes

mardi 22 novembre 2011

Publié il y a presque deux mois, l’appel de Valognes a commencé àcirculer dans des cercles qui sont hostiles au nucléaire. Je rappelle que la gare du même
nom, située dans le Cotentin, est l’avant-poste ferroviaire
de l’une des principales usines de recyclage des poubelles
nucléaires mondiales, celle de La Hague. Des tentatives de
retarder les trains Castor, qui en repartent pour envoyer les
ordures les plus radioactives vers des centres de stockage en
Europe, en particulier en Allemagne, ont déjàeu lieu, sans
trop de succès. L’appel propose donc d’organiser dans la région de Valognes, en sus du « traditionnel rassemblement  » le camp échelonné sur deux jours d’où partiraient « actions et réflexions ».

L’initiative est àpremière vue séduisante. Malheureuse-ment, àla lecture attentive du texte, force est de reconnaître
qu’y règne la conception réductionniste du nucléaire, saupoudrée de phrases radicales, qui domine dans le milieu
écologiste. Par suite, d’amples discussions auraient été nécessaires, non pas pour arriver àquelque accord intégral, mais
pour détecter les convergences possibles, sonder les divergences probables et explorer ce qu’il était possible d’effectuer
ou non ensemble, car les aspirations des individus dépassent
parfois le carcan des identités auxquelles ils s’identifient. Or,
il est difficile, très difficile même, d’entamer de telles discussions avec les aficionados de l’appel. Ils les évacuent au pré-texte habituel, propre àla militance, que l’heure n’est plus àla
théorie, mais àla pratique. D’autant que le départ du dernier
Castor pour Gorleben est proche. En d’autres termes, leurs
positions ne sont pas discutables. Il n’y a plus qu’àles accepter et àles appliquer. Repoussant l’idéologie autoritaire de
l’urgence, je prends donc le temps de noircir du papier, sans
négliger le reste, mais au contraire pour lui apporter plus de sens. Sachant que l’essentiel de ce que je résume ici a déjà
été mille fois formulé au cours des dernières décennies, en
France et ailleurs.

***

D’après l’appel, la France constituerait, depuis
Fukushima, la grande exception résistant mordicus àla pro-pension à« sortir du nucléaire  », qui caractériserait d’autres
Etats, àcommencer par l’Allemagne. Certes, au sein du club
des Etats qui participent depuis des décennies àla nucléarisation du monde, la position de la France est assez particulière. D’abord, elle est membre du club très fermé des cinq
grandes puissances nucléaires, issues de la Seconde Guerre
mondiale et de la Guerre froide, les inamovibles du Conseil
de sécurité de l’ONU. A ce titre, elle partage le rare privilège
de posséder des armes thermonucléaires, bien plus dévastatrices que les armes nucléaires classiques qui, elles, sont
beaucoup plus disséminées àtravers le monde, principalement depuis la chute du Mur et l’arrivée sur la scène mondiale de puissances régionales avec lesquelles le club des
cinq doit désormais compter.
Ensuite, de tous les Etats qui avaient misé sur le nucléaire civil, l’électronucléaire en premier lieu, la France est
la seule àl’avoir réalisé dans de telles proportions. L’installation de l’EPR àFlamanville montre qu’elle n’a pas l’intention
d’y renoncer. De plus, au-delàdes frontières de l’Europe des
Douze et des Etats-Unis, la construction de nouvelles centrales nucléaires est àl’ordre du jour. La France y participe
directement et indirectement, àtravers des consortiums et
des institutions européennes comme Euratom. Sans compter que, dans l’Hexagone et ailleurs, la durée de fonctionne-ment des anciennes centrales est, en règle générale, prolongée, àl’exception de l’Allemagne. La grande vaincue de la
Seconde Guerre mondiale, puissance nucléaire civile, mais
pas militaire, est depuis longtemps partie prenante de la diversification du marché de l’énergie, en particulier grâce à
la position particulière qu’elle occupe en Europe depuis la
réunification, au carrefour des réseaux d’énergie primaire en
provenance des quatre points cardinaux.
Enfin, dans la période actuelle, marquée par la globalisation accrue du capital et la crise du modèle de l’Etat nation,
la France participe de bon nombre de projets nucléaires, ci-vils et militaires, en cours. Même installés dans l’Hexagone,
comme ITER àCadarache, ils n’en sont pas moins financés,
gérés, organisées, etc., àl’échelle mondiale, par les Etats nucléaristes, Allemagne comprise, des consortiums mondiaux
et des institutions internationales, comme l’AIEA, au caractère supranational de plus en plus affirmé, bien qu’elles
dépendent encore des principaux Etats membres du club
nucléaire. Le nucléaire d’aujourd’hui exige en effet la mise
en place, en matière de recherche, de telles installations pharaoniques qu’elles outrepassent les moyens dont dispose tel
ou tel Etat, même ceux de la France, n’en déplaise àl’orgueil
national hérité du gaullisme. Bref, le monde n’est plus celui
qui présida àla mise en route du programme militaire et
civil hexagonal, issu du partage de la planète entre grandes
puissances et entre blocs, au lendemain de la dernière boucherie universelle. Période historique où l’Etat nation àla
française jouait des coudes en misant gros sur la carte nucléaire. Par suite, àmoins de monter au pinacle les dernières
déclarations de Berlin relatives àl’électronucléaire installé
en Allemagne et d’oublier le rôle déterminant que joue le nucléaire, en particulier en version kaki, comme pilier de
la domination du capital et comme source de la puissance
des Etats, rien n’indique que le monde soit en train de sortir
du crépuscule inauguré par Hiroshima. A moins de croire
àla fable de la réduction du nombre de missiles qui cache
la modernisation de l’arsenal nucléaire, pour répondre aux
besoins de la domination en matière de gestion des guerres
localisées et de destruction des foyers de révoltes àl’échelle
planétaire. Chose que n’évoque pas l’appel, pas plus que les
écologistes lorsqu’ils parlent de « sortie du nucléaire  ».

***

Rien ne montre mieux les limites des conceptions
des auteurs que leur approche des relations entre le nucléaire, l’économie, l’autre nom du capital, et l’Etat : « A voir
l’Etat français engloutir depuis des décennies des milliards en
pure perte, on se dit que s’il s’agissait d’un individu, cela ferait
bien longtemps qu’on l’aurait mis sous curatelle.  »
Ici, l’appel
retombe au niveau de celui des économistes d’ATTAC qui
cherchent àdéterminer au compas la différence entre capital productif, créateur de bénéfices, et capital improductif,
générateur de pertes sèches, voire de dépenses parasitaires
inutiles, ce qui n’a plus aucun sens depuis belle lurette. Du
point de vue de l’économie prétendument réelle, telle que
l’imaginent les derniers idéologues de la société industrielle
d’antan qui fulminent contre la finance, les monstres comme
ITER représentent du fric jeté par les fenêtres. Mais du point
de vue du capital réel et des Etats, la question de la puissance
est décisive et tend même àenglober celle de la recherche de
bénéfices, au sens habituel du terme. En particulier, la puissance réelle dépend de plus en plus de celle de la technoscience. Donc, la dépense est justifiée !
Le rôle de l’Etat étant occulté, la fonction du nucléaire est
limitée àla production et àla distribution d’électricité, sans
remettre en question la notion d’énergie, pas plus que celle
d’économie. Les citations qui suivent le montrent : « La nécessité de nous opposer au nucléaire ne signifie pas qu’il faille lui opposer les énergies alternatives, sous peine de nous retrouver
aux côtés des nouvelles mafias industrielles  »
 ; par suite, « la
ligne de partage n’est pas entre le nucléaire et les énergies alternatives mais entre la production d’énergie centralisée, commerciale et gérée par en haut, et la production décentralisée,
contrôlée localement et renouvelable ; production en contact
direct avec les besoins qu’elle doit satisfaire. C’est seulement à
l’échelle locale que se dissout l’alternative entre le nucléaire et
la bougie : car làles besoins existants peuvent se donner les
moyens de la production qui leur est nécessaire, et en retour les
possibilités de production peuvent redéfinir intelligemment les
besoins.  »
Les auteurs ne posent même pas la question d’en
finir avec le capital et l’Etat, condition sans laquelle la sortie
globale du nucléaire relève du leurre, et évoluent dans les li-mites de l’idéologie des besoins, qui est celle de l’économie.
Des besoins définis par des associations locales n’en restent
pas moins des besoins, notion qui n’a de sens qu’àpartir du
moment où l’activité humaine est devenue du capital. Prenant leur distance envers les côtés centralisateurs du pro-gramme officiel du parti écologiste, les auteurs reprennent à
leur compte les illusions propagées depuis des décennies par
les apologistes de l’économie marginale, celle qui oppose, à
titre de panacée universelle, la décentralisation de la production et de la consommation àla centralisation, bref ce que les
adeptes de la décroissance nomment parfois l’économie de
proximité. « Big is bad and small is beautiful  », c’est dans les
illusions marginalistes issues de la baie de San Francisco, qui
sont récupérées et intégrées depuis des décennies au monde
de la domination modernisée, que les rédacteurs de l’appel
puissent leurs références.
Cette conception est compatible avec l’écologisme, tel
qu’il prédomine dans les associations écologistes de terrain,
constituant bon gré, mal gré, même en renâclant et en stigmatisant l’électoralisme du parti d’Europe Ecologie, le vivier
dans lequel celui-ci puisse des forces. A partir de telles pré-misses, il n’est guère étonnant que l’appel de Valognes soit
soutenu par des associations écologistes locales, voire régionalistes, en particulier en Bretagne, et que les Amis de Tarnac, ses supporters frénétiques, participent, ce mois-ci, au
dernier salon Marjolaine, le temple du capital bio, recyclable,
durable et organisé en réseaux, sur le thème : « De la nécessité de se réapproprier les savoir-faire par soi-même. Dans la
perspective d’une société moins énergivore, la relocalisation
semble une réponse appropriée. Les savoir-faire permettant
d’acquérir une meilleure autonomie et tenant compte des
ressources locales ont un avenir florissant. Les intervenants
àcette table ronde possèdent une partie de ces connaissances
qui, demain, constitueront de véritables trésors. Ils ont consenti àvenir les partager avec nous.  »
L’idéologie de la décroissance, en somme.

***

Bien qu’ébranlé par la catastrophe de
Fukushima, le glacis nucléaire ne cède pas. Nous sommes
àmille lieues de l’interprétation donnée par l’appel d’après
lequel « partout dans le monde, le tissu de raisonnements spécieux, de promesses mirifiques et de mensonges éhontés avec
lequel se soutenait le lobby nucléaire se déchire  »
. Comme la
crise hier, la catastrophe travaillerait aujourd’hui en quelque
sorte pour nous, àl’insu des gestionnaires de la domination.
La réalité des oppositions actuelles au nucléaire, en particulier au Japon, montre qu’il n’en est rien : isolées, dispersées,
limitées dans leurs perspectives et dans leurs moyens, elles
restent, àquelques exceptions près, dépendantes de leur relation avec le pouvoir d’Etat dans lesquelles elles voient encore le protecteur possible face aux firmes nucléaires comme
Tepco. En Allemagne même, les oppositions massives et par-fois plus radicales qu’ailleurs dans le Wendland ne sont pas
liées àFukushima.
Comme toujours, l’optimisme de commande est utile
pour faire passer des vessies écologistes pour des lanternes
subversives. Et les contradictions entre Etats pour la paralysie potentielle de la domination dont nous n’aurions plus
qu’àprofiter pour « relancer le mouvement antinucléaire en
France  »
et « qui sait, vaincre  ». Comme si des avancées larges
et substantielles sur le terrain de l’hostilité au nucléaire
étaient possibles en l’absence de poussées subversives plus
générales contre le capital et l’Etat, dont elles seraient alors
partie intégrante. Perspective étrangère àl’appel puisqu’il
attribue principalement la poursuite du nucléaire àla démence présumée du « lobby nucléariste  » hexagonal et à
« la passion nationale des grands équipements  » qui amèneraient la France àêtre le « malade en plein délire qui divague
dangereusement dans le concert des nations  » alors que « les
Etats les plus lucides laissent derrière eux le monstre incontrôlable  »
. Pour l’appel, même ITER est labellisé aux couleurs de
la France. La responsabilité du maintien en vie suspendue
du monstre incomberait pour l’essentiel aux derniers dinosaures du CEA, incapables de supporter, comme quelque espèce en cours de disparition issue de la glaciation nucléaire,
l’appel d’air porté par d’autres Etats, tels que l’Allemagne.
Les auteurs reprennent àleurs comptes la vulgate écologiste
la plus répandue dans les milieux et les lobbies qui tentent
d’utiliser les contradictions, réelles ou supposées, au sein de
la CE, pour faire pression sur le CEA.
C’est la même position moralisatrice et manipulatrice qui présida àla création du réseau Sortir du nucléaire
lorsque Superphénix fut mis en sommeil par Jospin, alors à
la tête de l’Etat, sur recommandation pressante du Conseil de
l’Europe, présidé par l’Allemagne. Suspension d’activité dans
laquelle les leaders autoproclamés du Réseau virent, àtord,
poindre l’aube de la dénucléarisation en Europe. Ils croyaient
pouvoir peser sur les décisions d’Etat àcondition de mettre
la pression et de trouver des alliés dans les partis, les lobbies
et les associations écologistes. L’appel de Valognes participe
àla même illusion lorsqu’il prétend que, depuis Fukushima
et les promesses faites par l’Allemagne, « la seule garantie de
l’exécution effective des décisions prises est justement la permanence et la puissance du mouvement. On a assez joué avec nos vies. Nous ne nous laisserons pas gérer dans le cadre de la
dénucléarisation comme on a pu gérer notre nucléarisation.  »

C’est la définition même du lobbying que l’on nous présente
ici comme de la fine stratégie radicale. Les aficionados de
l’appel partent donc en quête d’alliés sur de telles bases. Ils
en trouvent, en priorité dans le marigot des associations
écologistes, sans compter les syndicalistes recyclés àl’écologisme de SUD-Rail. Oui, le même SUD qui voulait participer au Grenelle de l’environnement, àtitre de partenaire
du pouvoir d’Etat, au nom du panachage du nucléaire avec
des sources d’énergie alternatives, et qui n’appelle jamais les
salariés de la SNCF àboycotter les Castor, mais seulement la
direction à« avertir les personnels concernés par ce type de
transport de la nature du chargement  »
et àles « former au
risque potentiel encouru  »
. Dans l’Ouest, même Europe Ecologie soutient l’appel. On a les amis que l’on mérite.

***

Par rapport àl’écologisme, la spécificité de l’appel
réside essentiellement dans les moyens d’action qu’il préconise et dans le refus de l’électoralisme. « C’est par un geste
fort porté collectivement àl’intérieur même du pays le plus
nucléarisé du monde que sortir de cette impuissance devient
tangible.  »
Bien entendu, l’idée de bloquer, ou pour le moins
de retarder, des Castors et de déterminer dans quelles conditions et avec quels moyens il est possible de le faire n’est pas
àrejeter a priori. Mais le « geste fort  » en question est censé
révéler au grand jour l’hostilité latente au monde, ici au nucléaire, puis l’orienter et la généraliser. Comme s’il répondait
explicitement àquelque chose qui préexisterait implicitement et qui n’attendrait plus que lui pour devenir visible.
En la matière, l’appel reprend àson compte l’idéologie du scandale d’origine surréaliste. C’est pourquoi il pré-sente de façon hypertrophiée la situation dans l’Ouest de la
France : « Il existe d’ors et déjàdes collectifs locaux constitués
ces derniers mois àla suite de Fukushima, ainsi que des personnes qui s’organisent contre le projet de ligne THT dans la Manche, en Mayenne et en Ille-et-Vilaine.  »
En réalité, en Bretagne, les comités en question sont partis du Réseau, principalement parce qu’ils étaient écœurés par le bureaucratisme
de leurs leaders et par leurs tractations électoralistes. Associations d’indignés du nucléaire, leurs limites sont évidentes
et ils sont, àquelques exceptions près, sur les positions de la
nouvelle coordination Stop Nucléaire, dont les propositions
ne dépassent pas le cadre du slogan polymorphe et vide de
sens précis de « sortie immédiate du nucléaire  », en réalité de
« sortie immédiate de l’électronucléaire  ». Pour Stop nucléaire,
la question de l’Etat, de même que celle du nucléaire militaire, est évacuée. Reste le nucléaire civil, dont le maintien
est attribué, comme d’habitude, àla volonté du lobby nucléariste. Par suite, elle propose donc àl’Etat, mais sans le dire,
de fermer dans les plus brefs délais les centrales nucléaires
au prétexte que « des solutions existent  », telles que « l’utilisation maximale des capacités hydroélectriques et des centrales
thermiques existantes  »
, associée « Ã la construction rapide de
centrales àcharbon, au fioul et au gaz  »
, sans attendre « le développement hypothétique des énergies renouvelables  ». Elle
ne se distingue donc du Réseau que par le choix des prétendues solutions alternatives. Pour le reste, les comités de la
coordination Stop THT sont en perte de vitesse. Le souffle
initial qui, il y a quelques années, laissait présager la tempête
est retombé, dispersé par les chicanes politiciennes d’Europe
Ecologie, des maires et des associations comme la Confédération paysanne, qui ont jeté leur poids dans la balance pour
neutraliser, au nom du moratoire sur les THT, les velléités
d’en découdre les plus conséquentes.
_ Ni en qualité, ni en quantité, les très faibles résistances
dans l’Ouest de la France ne peuvent être comparées àcelles
qui existent dans le Wendland, même si les oppositions en
Allemagne ont leurs limites, comme le montre l’importance
du parti des Grünen, premier du genre en Europe. Par suite,
il est impossible de « nous approprier  » telles quelles les « méthodes  » d’Outre-Rhin, àmoins de croire àla vertu mobilisatrice des formes sans contenu. L’appel àrassembler des
forces àValognes, vu la faiblesse de « l’ancrage local  », risque
de reposer surtout sur la transhumance de personnes et de
groupes venus d’ailleurs, situés àgauche de la gauche officielle. Donc, de ressembler aux concentrations hors-sol, dont
Toronto fut la caricature. A supposer que la police laisse faire.

***

Le texte additionnel, publié àla suite de la manifestation de Rennes, donne l’impression de tenir compte de la
situation en soulignant que « le geste fort ne suffit pas  » et en
proposant de multiplier les « harcèlements  » contre « l’industrie nucléaire  ». Mais, en guise de « précisions  », il est surtout
ponctué de propos sibyllins sur la nécessité de reprendre en
main nos propres vies. Mise en garde larvée contre l’esprit
hiérarchique dont font preuve les plus acharnés partisans
de l’appel ? Peut-être, pourtant, la mise àjour ne concerne
pas l’essentiel. Pire, les belles envolées contre la dépossession
sont anéanties par des phrases du genre : « Les lieux précis ne
seront dévoilés que quelques jours avant fin novembre pour
amoindrir les pressions policières.  »
Dévoilés par qui ? Par
des organisateurs autoproclamés d’activités qu’ils affirment
ne pas vouloir effectuer seuls, mais qu’ils proposent àdes
cercles bien plus larges.
Par leur approche, ils réduisent àzéro l’idée même
d’activités réalisées sur le mode affinitaire. De façon générale, l’ampleur et la multiplication des affinités découlent
des conditions du combat et aussi des premiers concernés,
dans les populations locales. Choses qui font aujourd’hui
défaut dans la presqu’île du nucléaire. Il en résulte que l’affirmation de la reprise en main de nos vies couvre l’autoritarisme dans la préparation et dans la réalisation de l’action,
sous prétexte de faire preuve de discrétion face àla police.
Comme si celle-ci n’était pas déjàau courant pour l’essentiel
de ce qui se trame et de ce qui est annoncé àgrands sons de
trompe depuis deux mois et n’y était pas préparée. Comme si les poses de conspirateurs ne servaient pas, lors d’actions
non clandestines, même lorsqu’elles ne sont pas autorisées,
àimpressionner les naïfs et àles mener par le bout du nez
en méconnaissance de cause. Sans qu’ils puissent même dia-loguer sur le contenu et les formes suffisamment àl’avance
pour réfléchir par eux-mêmes, pour prendre du recul, etc. Le
procédé est vieux comme le militantisme.

***

Par leur proposition de concentration àValognes, les
auteurs de l’appel prétendent dépasser les limites des oppositions antérieures au nucléaire, en particulier la mobilisation
de Malville, alors qu’ils les reconduisent dans des conditions
bien moins favorables et que le programme électronucléaire
est réalisé depuis des décennies dans l’Hexagone.
La tentative d’occuper le site de Malville est présentée de
façon caricaturale, comme pure opération hors-sol, ce qu’elle
n’était pas. Car, enfin, dans la mesure où le nucléaire est, par
excellence, l’épée de Damoclès qui plane au-dessus de toutes
nos têtes, il est logique qu’il nous concerne tous, et pas seulement ceux qui sont domiciliés autour des installations nucléaires, en construction ou déjàconstruites. En ce sens, la
mobilisation de Malville était justifiée. A l’époque, il y avait
des comités Malville, parfois localisés àdes centaines de kilomètres du site, en France et ailleurs en Europe, hostiles à
l’installation du gigantesque surgénérateur plutonium-sodium dans l’Isère, vu le danger énorme qu’il représentait. Et
qu’il représente toujours, car, même stoppé, il est très difficile d’en extraire les milliers de tonnes de sodium radioactif, chauffé en permanence àl’électricité pour rester liquide,
condition nécessaire pour les évacuer àla petite cuillère,
pendant des décennies.
La mobilisation a échoué, entre autres choses àcause
de l’incapacité des organisateurs de la coordination dominée par les écologistes àprendre la mesure de la violence
de l’Etat qui avait décidé de marquer làla limite àne pas
dépasser et, donc, de tuer si nécessaire. Par suite, bien peu de personnes s’étaient préparées àaffronter de tels degrés
de violence étatique et croyaient que des pressions de masse
pacifistes suffiraient àfaire reculer l’Etat. De plus, les organisateurs jouaient aux conspirateurs afin de contrôler la situation et de réduire au silence les individus et les cercles plus
radicaux qui risquaient de compromettre leur opération
spectaculaire. Car, dans l’esprit des leaders, elle devait servir
de marche-pieds àla constitution de leur parti. Ce qui fut
malheureusement le cas.

***

J’aurais pu détaillé plus mes critiques. Mais je pense
avoir soulevé l’essentiel. A la lecture de l’appel et dans les discussions avec les individus qui s’y identifient, j’ai compris
que certains d’entre eux croyaient défendre des positions
sans pareilles et ouvrir des brèches prometteuses, au-delàde
la zone frontière dans laquelle les oppositions antérieures,
parfois même les plus radicales, avaient perdu le nord. « Du
passé, nous faisons table rase  »
, c’est la posture la plus partagée par les partisans les plus ambitieux de l’appel de Valognes. Par malheur, le passé le plus détestable est bien là,
àpeine caché par des poses et des phrases àprétention radicale. En ce sens, l’appel ne dépasse pas les bornes de ce
qui est acceptable par les idéologues citoyennistes qui occupent la scène de la contestation du nucléaire. Il n’y a làrien
d’essentiel àpartager. Bien qu’il soit possible de faire des
rencontres intéressantes àValognes et sans faire preuve de
mépris envers ceux qui veulent tenter l’expérience, parfois
en prenant de la distance envers l’appel, je ne veux pas participer àdes réunions et àdes opérations placées sous le signe
de la hiérarchie et destinées àfavoriser l’autovalorisation des
leaders autoproclamés. Je préfère m’abstenir.

Paris, le 16 novembre 2011
Peter Vener. Correspondance : petervener@free.fr