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Lettre d’Isa et Farid

dimanche 25 mai 2008

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Lettre d’Isa et Farid, depuis les prisons de Lille-Sequedin et de Meaux, mai 2008

« Plus faible sera l’opposition, plus étroit sera le despotisme  » Orwell, 1984

Tout est parti très vite. Nous étions deux lorsque notre véhicule a été contrôlé par les douanes àVierzon. La fouille a abouti àtrouver dans un sac des manuels de sabotage et de fabrication d’explosifs, le plan de nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs, disponible sur internet, et une petite quantité de chlorate de sodium. Sans doute la réunion de ces éléments donnait au contenu un sens particulièrement subversif... D’autant que Farid était fiché par la police politique pour son militantisme anticarcéral et son combat auprès des sans-papiers et des mal-logés. Quant àIsa, elle n’était connue d’aucun service de police.

Immédiatement la sous-direction antiterroriste de Paris s’est saisie de l’affaire. Les perquisitions n’ont en réalité rien donné si ce n’est qu’elles ont permis de mettre sous scellé des pétards, des tracts et des revues engagés, censés corroborer l’idée d’un projet terroriste. Ce que nous réfutons catégoriquement.

Peut-on dès lors accuser quelqu’un d’un crime qu’il n’a pas commis et qui n’a pas été commis, sur des simples suspicions reposant sur des documents qui ne prouvent rien en soi ? En réalité c’est la dimension politique qui a conduit àla lecture d’une telle menace. Cela signifierait que la lutte, la révolte est un crime dont tout manifestant en colère, dont tout homme libre et engagé est coupable... ?

Nous avons été placés sous un régime de garde àvue de 96 heures, avec la possibilité de rencontrer un avocat àl’issue seulement des 72 heures. Nos ADN ont été pris de force et celui d’Isa aurait été retrouvé le printemps dernier sur un « dispositif incendiaire  » retrouvé devant le commissariat du 18ème arrondissement de Paris. Jusqu’àprésent, l’enquête ramait. Isa a nié toute relation avec cette affaire. Par ailleurs, l’ADN est un outil fortement controversé : dans ce genre d’affaire, il est toujours utilisé pour accuser la personne mise en examen, et la pseudo-objectivité scientifique vient clore tout débat.

Tous deux n’appartenons àaucun groupe politique mais faisons partie de ces gens que vous avez sans doute croisé lors de manifestations, de rassemblements, de réunions publiques, de concerts de soutiens, de projections de films, supports àdébats... ; présents dans la lutte sociale et liés par le mouvement collectif.

Peut-être avez-vous entendu parler dans la presse des « anarcho-autonomes  ». Lorsque le grondement et la rage de la rue s’expriment avec de plus en plus de détermination, l’Etat a besoin de dire, pour mieux diviser, que le mécontentement est noyauté et manipulé par des groupes radicaux, extrémistes, aveuglés, et fascinés par la violence ; d’où l’existence de ce genre de catégorie censée désigner une figure imaginaire dont il faut se méfier et qui représente la limite àne pas franchir, la menace de l’illégalité, de la répression, de la criminalisation... En somme c’est une stratégie pour taire et effrayer tous ceux qui se lèvent pour des idées, contre l’oppression, pour la liberté... Nous avons ainsi été étiquetés, malgré nous... vague notion qui soudainement cacherait des groupes organisés pour le terrorisme, cherchant ànuire « par l’intimidation et la terreur  ». Nous sommes devenus une menace terrible pour l’Etat... Il faut diaboliser le visage du quidam pour être crédible, en déployant toute l’artillerie du langage !

Nous avons donc été écroués sous mandat de dépôt avec la mention « détenu particulièrement surveillé  » ou « détenu àhaut risque  », ce dernier étant propre àla maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Autant dire que nous n’avions pas fini de réaliser les enjeux et les répercussions de cette paranoïa et hystérie du pouvoir. Nous sommes soumis àune surveillance intense. Ainsi, sans être jugés, sans être condamnés, nous sommes proies àun acharnement politique qui s’efforce de fabriquer et de fantasmer au travers de nous, l’existence d’un réseau terroriste ultra dangereux. Maintenant que ce postulat est posé, tous les raccourcis sont possibles, toutes les interprétations doivent aller dans ce sens, tous les éléments sont traduits de sorte àce qu’ils viennent le justifier. Tout cela est particulièrement inquiétant et délirant. En quatre mois de détention provisoire nous avons eu le temps de sentir quelle était la logique de destruction, de vengeance et de punition de l’Etat vis-à-vis de ses sujets « insoumis  » ; de subir son autoritarisme notamment par des transferts entre maisons d’arrêt et des mesures d’éloignement arbitraires compromettant sévèrement la défense. Depuis peu nous avons appris que le dossier de « Créteil  » avait été joint au nôtre, histoire de rassembler les « anarcho-autonomes  »...

Nous ne voulons pas être les pantins des enjeux du pouvoir d’institutions politiques et répressives : ne laissons pas l’Etat écraser les espaces de lutte...

Isa [1] et Farid [2], depuis les prisons de Lille-Sequedin et de Meaux, mai 2008

En Italien.

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